Chapitre 12 : Alka
Maya avait invité Alka à assister à la répétition du défilé de sa nouvelle collection. Cette dernière avait accepté avec plaisir. Elle admirait la créativité et la fantaisie de son amie.
Assise dans un Aero sofa partagé avec deux jeunes femmes, déjà croisées dans les soirées de son amie, elle réfléchissait. Maya tardait à se montrer. Elle devait être en train de faire les dernières retouches sur ses mannequins. Alka espérait qu’elle n’était pas trop nerveuse.
En attendant, elle tenta de se mettre dans l’ambiance, de partager l’excitation fébrile de ses compagnes. Il se murmurait que cette année pourrait être l’Année de Maya : celle qui la verrait sélectionnée pour les Grands Défilés, sous la Bulle des Gouvernants. Cétait l’objectif que caressait tout styliste nanotech digne de ce nom. Maya pouvait réussir, Alka en était convaincue. Elle avait toutes les qualités requises depuis longtemps : Elles étaient ensemble à l’école et Maya montrait déjà un talent certain pour la programmation nanotech des tissus. Depuis, elle avait un nouvel atout dans sa manche : son nouveau joujou s’était révélé être, même si elle ne l’avait pas acheté pour ça, une mine de créativité. Tous les voyants étaient au vert.
L’attente commencait à peser à Alka. Elle balaya la pièce du regard en espérant les apercevoir, mais ils brillaient par leur absence. Un soupir lui échappa sous l’œil surpris de ses voisines. Alka baissa les yeux. Bien sûr, soupirer était inapproprié. Les autres ne pourraient pas comprendre cette étrange frustration qui la tenaillait.
Cet HC l’obsédait. Elle avait passé des heures à visionner les enregistrements des drones. Cet homme était sorti un jour de nulle part comme pour venir en aide à ses bénéficiaires. Sans lui, ils seraient tous morts ou presque. Plus elle cherchait, plus le mystère s’épaississait.
Elle ouvrit discrètement son Holopad pour afficher son journal personnel de recherches. Elle relut ses notes puis rajouta :
« Observation du spécimen en conditions écologiques sous Bulle
Recherche en cours : le spécimen sait-il lire ? … »
Sans faire part de ses recherches à Maya, cela aurait été trop embarrassant, elle avait quand même discuté avec elle de ses observations. Cette dernière avait répondu, avec son insouciance rieuse habituelle : « je te l’avais dit, c’est le plus beau que j’ai jamais eu… ». Noway, de toute évidence, ne lui avait livré aucune information.
La lumière se tamisa soudain pour prendre des reflets orangés ; jaune orangé plus exactement. Maya apparut, Noway à son bras, Elle se tenait droite mais Alka savait qu’elle devait être très stressée. Alka se tendit aussi.
« Spécimen en bonne forme physique, pas de signes de fatigue, de surmenage. Comportement adapté à la situation » nota-t-elle rapidement.
Maya ne voulait pas seulement un partenaire pour ses ébats. Elle exigeait une histoire d’amour, à chaque fois. Elles en avaient déjà discuté. Maya s’était emportée « je veux être courtisée, désirée, séduite ! Je veux courtiser, me rendre désirable… et séduire. Faire l’amour, ce n’est pas seulement une célébration des sens. C’est une connexion, un lien intime. Là, ça surpasse tout ! »
Alka lui avait opposé que c’était un simulacre de relation amoureuse, qu’il n’était pas possible de tomber amoureuse d’un HC, ils étaient trop différents, pas faits pour cet usage, cela ne pouvait pas matcher.
« Le sujet présente une expression faciale pouvant indiquer de la tristesse, de la déprime. Ne paraît pas ou peu s’intéresser à ce qui se passe autour lui.
Hypothèses : Mal du Dehors, environnement trop complexe à analyser, saturation sensorielle… difficulté/refus de répondre aux besoins de sa propriétaire »
Alka soupira discrètement. Pourquoi s’attachait-elle à perçer un mystère insignifiant au final. Un jour, Maya se lasserait de lui, comme de tous les autres qui l’avaient précédé. Alors, elle le vendrait au Dernier Cercle. Il finirait par y mourir au combat. Il se pourrait même que ce soit elle qui l’y conduise.
L’holopad se mit à vibrer frénétiquement, tirant Alka de ses réflexions. Elle le regarda avec étonnement juste avant de se rendre compte qu’elle le serrait si fort que bon nombre de programmes s’ouvraient et se refermaient sans raison.
Une alerte mentale résonna dans l’esprit de la Bullite. Dans un état second, elle remit de l’ordre sur son appareil puis, elle ouvrit son agenda. Sa prochaine séance d’Optimem était prévu trois jours plus tard. Trop tard. Elle vérifia si des créneaux étaient disponibles. Elle en trouva un le lendemain matin. Elle valida. Alors seulement, sa respiration s’apaisa.
Quand elle leva les yeux vers la scène, le défilé commençait. Maya s’était assise sur le côté, une main possessive sur le genou de Noway. Il y semblait complétement indifférent. Alka tâcha de se concentrer sur les modèles. Son amie le lui avait demandée.
Le premier mannequin portait une robe noire toute simple de prime abord puis la lumière baissa. Là, elle révèla toute sa complexité. À chaque pas, des pans de la robe se dépliaient et dévoilaient des rais incandescents enveloppés de rouge orangé changeants, comme des morceaux de soleils, ou de lave – lui avait dit Maya- qui paraissaient couler et laissaient une fugace traîne ignée sur les pas du modèle. Alka avait logué « lave » sur Xnet et c’était très ressemblant.
La suivante était vêtue d’une combinaison qui semblait refléter le ciel. Mais un ciel changeant, en lien avec son état émotionnel, elle fronça les sourcils et le ciel s’assombrit nettement. Maya avait rajouté cette programmation, car Alka ne se souvenait pas l’avoir vue lors des sims. Elle se demanda quel élément naturel serait à l’honneur lors du prochain vêtement.
Une jeune femme s’avança parée d’une robe décorée entièrement d’un dessin : un paysage qu’ Alka reconnut immédiatement. Le bustier représentait un ciel violet légèrement teinté de bleu profond et zébré de fins traits blancs, la jupe légèrement évasée et composée d’un agencement de blancs, beiges et ocres figurant de doux reliefs, certainement, érodés par le temps et l’humanité. Alka n’avait jamais visité cet endroit. Elle ignorait même s’il existait. Mais, elle l’avait déjà vu. C’était une œuvre de Noway. Il dessinait constamment… des paysages, des arbres, des montagnes.
Maya avait, bien entendu, rajouté sa petite touche : des hommes et des femmes en ombres chinoises arpentaient les collines au rythme des pas de la jeune mannequin et de légers nuages tournoyaient autour de ces épaules. C’était hypnotisant pourtant Alka préfèrait l’œuvre première, même si cela rajoutait à l’origine énigmatique de son auteur.
Alka jeta rapidement un coup d’œil à Noway. Toujours aussi impassible, on aurait pu le croire statufié.
« Le sujet ne présente aucune réaction à l’utilisation et à l’exposition de ses dessins. Il ne paraît pas non plus essayer de lire le bandeau d’informations concernant chacun des modèles… »
À chaque fois, il avait cette attitude. Pourtant, certains détails laissaient supposer que c’était une façade. Son regard se révèlait très vif parfois, sa façon de se déplacer : il était silencieux. Enfin, comme le disait si bien Maya, Il était taillé comme un Aero jet. Ainsi, il semblait rapide et puissant.
Voilà qu’elle recommençait ! Du coup elle avait raté le passage d’un mannequin. Maya serait contrariée. Alka fit l’effort de se concentrer. Elle possédait une excellente mémoire, avec un peu de chance, elle pourrait déduire des suivants lequel elle avait manqué.
Maya était sa meilleure amie. La seule, en vérité. Alka ne voulait pas lui faire faux-bond, surtout ce jour-là.
Après chaque défilé, connaissant son sens aigu du détail et de l’observation, Maya lui demandait un compte rendu minutieux. C’était très important pour elle. « Alka, J’ai besoin de ton regard cartésien, pragmatique sur mes envolées artistiques ! » répètait-elle souvent.
Elle se concentra donc, essayant de repérer des juges de la Bulle des Gouvernants dans l’assemblée, d’observer leurs réactions et de tout enregistrer, de noter mentalement ce qu’elle remarquait… Et de cesser de fixer cet homme.
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