3 décembre : Mon beau choco, roi des confiseries
Meryl planta ses belles dents blanches dans le chocolat noir qu’elle tenait entre ses doigts fins. Le goût du fruit rouge incrusté dans le cœur de la confiserie emplit petit à petit sa bouche. L’amertume du cacao se mêla au goût sucré de l’airelle. A moins que ce ne fut le sucre du chocolat qui se mélangeait à l’acidité de la baie. Les ingrédients s’imbriquaient à la perfection, tant et si bien qu’il était impossible pour la jeune fille de savoir à quelle saveur appartenait chacun d’entre eux.
Elle inspecta la bouchée cacaotée, ou du moins ce qu’il en restait. Elle constata avec satisfaction que sa morsure avait laissé une trace dans le dôme. Elle continua à le faire jouer entre son pouce et son index, à la lueur de la lampe qui éclairait la table à laquelle elle était assise avec sa mère. Cette dernière finit par perdre patience.
— Mais enfin, jeune fille, on ne joue pas avec la nourriture !
— Mère, je suis une adulte à présent ! s’agaça Meryl qui se sentait infantilisée.
— Raison de plus ! Et puis, peux-tu bien me dire qui est réellement adulte à dix-huit ans de nos jours ? Moi, quand j’avais ton âge, je m’apprêtais à me marier à ton père. Toi, tu ne sais même pas ce que tu veux faire de ta vie.
— Je le sais parfaitement, figurez-vous !
— Ah oui ?
En réalité, la fin de l’indécision de Meryl ne pouvait que se compter en secondes, voire au mieux en minutes. Mais l’énervement que sa mère provoqua en elle ne fit que consolider l’aplomb de la jeune femme. Celle-ci remit son élégant petit béret rose en place sur ses cheveux blonds bouclés, avant de s’exclamer :
— Je veux être chocolatière.
— Quoi ? C…C’est une plaisanterie j’espère, s’étouffa Margaret. Mais Meryl n’en démordit pas et prolongea son magnifique sourire pour affirmer d’un ton joyeux :
— Exactement. Vous voyez, Mère, à quel point ce petit croquant est minutieux ? Il comporte un bon nombre de facettes. Le travail que cela a dû demander pour le réaliser est tout bonnement incroyable ! J’aimerais être capable d’une telle précision un jour. Et les sucreries donnent du bo…
— Laisse-moi deviner, « ça donne du bonheur aux gens », c’est ça hein ? l’interrompit sa génitrice sur un ton dédaigneux avant de poursuivre : C’est une façon mièvre de voir les choses. Je ne t’ai pas élevée comme cela, Meryl !
— Il est certain que vous m’avez élevée pour être une jeune fille de bonne famille, Mère. Vous n’avez pas failli à votre tâche. Je dirais même que vous l’avez menée à bien avec un peu trop de passion. Mais, ce faisant, vous m’avez emmenée dans un nombre incalculable de salons de thé depuis que je suis en âge de marcher, voire avant. Les afternoon tea n’ont plus de secret pour moi. Quand je m’ennuyais, je m’imaginais souvent en cuisine. Et maintenant, je sais ! Ce chocolat est la révélation que j’attendais. Je veux être confiseuse !
La vieille femme se tapota la bouche à l’aide de sa serviette tout en faisant rouler ses gros yeux dans leurs orbites.
— Eh bien, si c’est comme ça, je te laisse ici, sans aucun moyen de paiement ! J’espère ainsi que, en te condamnant à faire la plonge dans un café, tu verras bien vite que les rêves ne payent pas les factures.
— Vous avez payé à l’avance, mère.
— Ah, flûte. Il est vrai…
— Et j’ai le numéro de téléphone de Père. Il me sortirait bien vite de ce pétrin, sans mauvais jeu de mot.... Et ma décision est prise. Je le répète, je veux être chocolatière ! Dans le pire des cas, je n’aurais qu’à faire comme vous et me marier à un homme riche ! la taquina Meryl. Sa mère fulmina tant et si bien que ses narines, pareilles à des nasaux, se gonflèrent et se dégonflèrent au rythme de sa respiration saccadée.
— Espèce de petite impertinente ! En tous les cas, je ne peux supporter d’en entendre davantage, lui répond madame Gilmore des magasins éponymes bien connus des Londoniens comme des touristes.
A ces mots, Margaret Gilmore sortit un minuscule mouchoir en tissu, tamponna ses yeux à peine mouillés, et le rangea dans son sac d’une taille aussi ridiculement dérisoire que le carré de coton qu’elle tenait dans ses mains gantées de dentelle blanche. Ensuite, elle se leva et s’en alla.
Meryl la regardait s’éloigner par la vitre avant de plonger ses lèvres dans son reste de thé à la rose. Le liquide frémit car la jeune fille fut prise de soubresauts. Ceux-ci étaient le résultat d’un mélange de rires à la fois nerveux, excités et amusés. Tout à coup, une ombre se dessina sur sa table. Meryl releva la tête. Lorsqu’elle remarqua une femme vêtue d’un tablier et d’une toque, elle se reprit bien vite.
— Mon dieu, ma mère n’avait pas payé finalement ? Je suis navrée, j’ai cru que c’était le cas, elle est partie et…
— Non non, rassurez-vous mademoiselle. Tout est parfaitement en ordre. Mais je n’ai pu m’empêcher d’écouter quelques bribes de votre conversation tandis que je vérifiais la qualité du travail de mes employés en salle. Vous avez décidé de devenir chocolatière, c’est bien cela ?
Meryl, n’osant comprendre, et impressionnée par l’aura du chef, déglutit. Malgré la quantité de thés qu’elle avait ingurgitée, ses lèvres et sa gorge étaient étonnamment sèches.
— Ou… Oui. Mais…En réalité, je ne saurais comment faire.
— Ce que j’ai entendu de votre bouche sur mon chocolat m’a fait très plaisir. C’est tout ce que je voulais entendre. J’ai justement besoin d’un apprenti. Normalement, je ne propose des stages qu’à des jeunes qualifiés, mais je vous propose d’apprendre sur le tas, à mes côtés. Et je vous demanderais, dans le même temps, un avis sincère sur mes prochaines créations. A ce propos, je n’attendrais pas que des éloges. J’apprécie également l’honnêteté dont vous semblez faire preuve. Alors, qu’en dites-vous ?
— Waouh, mais c’est merveilleux ! Bien sûr que j’accepte. Mais je ne saurais comment vous remercier…
— En vous montrant digne de ma confiance, tout simplement. Vous n’avez aucune qualification donc vous devrez travailler bien plus dur que n’importe qui dans mes cuisines, ce qui n’est pas peu dire. L’ensemble de mon personnel ne chôme pas. Vous sentez-vous à la hauteur ?
— Oui !
— Parfait, dans ce cas passez me voir demain le temps que je fasse votre contrat. Vous vous appelez Meryl Gilmore, c’est bien cela ?
— Oui ! Merci, merci ! Mais dites-moi…
— Oui ?
— Pourquoi en faites-vous autant pour moi ?
— J’adore les histoires de Noël, aussi mièvres puissent-elles paraître. Savez-vous pourquoi ?
— Je crains bien de devoir vous avouer que non…
— Car elles véhiculent de l’espoir ! J’ai conscience du fait que, avec votre nom, beaucoup de portes doivent vous être ouvertes. Mais peut-être pas celle que vous souhaitez. Alors je vous offre simplement une chance. Voyez ceci comme un cadeau de Noël.
— Mais nous ne sommes que le 3 décembre.
— Raison de plus !
Et c’est ainsi que, aujourd’hui, bien des années plus tard, la réputation de la chocolaterie Gilmore dépasse de loin celle des magasins éponymes.
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