Chapitre 5.4 - Caetobria
Lorsque l’assassin rouvrit les yeux, il était solidement ficelé à une chaise à l’aide des embrasses de rideaux que Saira avait dégotées. Il vit March face à lui et changea immédiatement ses bras en métal pour tenter de se libérer.
March ne savait pas à quel point il était fort alors par précaution, il fit apparaitre une lame qu’il plaça sous la glotte de l’assassin. Saira glapit en observant l’arme à l’émeraude scintillante émerger de nulle part.
— Dommage que le métal ne couvre pas ta gorge, n’est-ce pas ?
L’assassin grogna de rage.
— Qui es-tu ? demanda March.
Il ne répondit rien et se contenta de le fixer dans les yeux. Le tisonnier était encore fiché dans son épaule alors March attrapa le bout qui en dépassait et le fit pivoter dans la plait. L’assassin hurla de douleur.
Du coin de l’œil, il vit Saira se couvrir la bouche pour étouffer une plainte, surement de dégout. Ce n’était pas le moment le plus glorieux de March, mais il se rassura en se disant qu’il n’avait pas d’autre choix. L’homme en face de lui était un tueur, il ne ferait que perdre du temps en essayant de le raisonner plus amicalement.
— Je veux des réponses, insista March.
L’assassin montra les dents, il était furieux. March lui avait ôté son masque, espérant le reconnaitre, mais aucun souvenir ne resurgit. L’assassin avait une petite cicatrice au coin de la bouche et la peau sous le masque était couverte de rougeurs suintantes, marquant une utilisation trop prolongée du camouflage.
— À quoi est-ce que tu joues Tempête ? demanda l’assassin. Achève-moi, qu’on en finisse.
Sa voix était rauque et hésitante, comme si elle était inutilisée depuis trop longtemps.
— Pourquoi m’appelles-tu ainsi ? Mon nom est Léon de Tassigny.
— Cesse de jouer avec mes nerfs. Nous sommes entre servants du Maitre, ton nom d’emprunt ne m’intéresse pas. Aurais-tu même renié ton vrai nom dans ta traitrise ?
— Léon de Tassigny n’est pas mon vrai nom… dit-il dans un soupir.
La confirmation ne le choqua pas, c’était comme s’il connaissait déjà cette vérité depuis le moment où il avait découvert ce nom d’emprunt. Cette demeure était à moitié vide pour une raison : ce n’était qu’une façade, une mascarade visant à donner du crédit à sa fausse identité.
March agrippa l’assassin par le col et approcha sa lame encore plus près. Un fin filet de sang coula sur sa gorge.
— Qui est ce Maitre et qu’a-t-il à voir avec tout ça ?
L’assassin se renfrogna, cette fois il semblait incertain, voire même déstabilisé par le comportement de March.
— Tu… tu ne te souviens pas…
L’assassin fixa quelque chose au plafond… non, pas au plafond ! Il fixait sa tête. March comprit et tira sur le capuchon qui couvrait le crâne de l’assassin.
Son crâne lisse était couvert du même symbole que portait March sous ses cheveux. March eut un mouvement de recul et un sourire de victoire se dessina sur la bouche de l’assassin.
— Le Maitre pense que tu l’as trahi, mais… tu as simplement perdu la mémoire.
Il se mit à rire.
— Pathétique. J’ai toujours dit qu’il était trop indulgent avec toi. Mais je savais que tu n’étais pas de poids pour cette mission, il aurait dû me la confier !
— March, tu connais cet homme ?
Il était tellement absorbé par les révélations de l’assassin, qu’il en avait oublié Saira. La jeune femme pleurait et son corps tremblait. Elle était terrifiée.
March lâcha son arme et elle disparut immédiatement. Il s’approcha de Saira et la prit par les épaules.
— Saira, je suis désolé. Je ne voulais pas te mêler à tout ça.
Elle sanglota, ses yeux croisèrent les siens, mais March n’aimait pas ce qu’il y voyait.
— Il… il a tué Julius. On doit prévenir la garde.
— Saira, la garde nous recherche.
— Nous ?
Elle se libéra de son étreinte, sans violence, mais avec détermination.
— Je n’ai rien à voir dans cette histoire ! Pourquoi faut-il toujours que les hommes m’attirent tant de problèmes ?
— Je… je suis désolé Saira. Il a des réponses sur mon passé, je dois comprendre qui je suis…
— Je ne suis pas sûr que ça en vaille la peine… S’il dit vrai, tu étais un tueur toi aussi.
Elle avait raison bien sûr, et March le savait. Il aurait pu se voiler la face en se créant un passé plus vertueux, mais depuis son débarquement à Drachima, les évènements violents n’avaient fait que se suivre et s’enchainer. Il attirait la violence et n’hésitait pas à s’en servir. March n’était pas une bonne personne, c’était un fait. Pourtant il voulait savoir, il voulait connaitre la vérité et…
Le bois craqua et l’assassin se libéra de ses liens comme s’il ne s’agissait que d’une tige pourrissante. Il tendit les mains vers ses cuisses et deux dagues courtes apparurent. Avec ses jarrets coupés, il n’aurait pu se battre, alors il tenta le tout pour le tout en lançant ses dagues sur March.
March s’interposa pour protéger Saira et fit appel à sa magie. Il expulsa d’une de ses mains une rafale plus puissante que toute celle qu’il avait utilisée jusqu’ici.
Les dagues voltigèrent en arrière et l’assassin fut projeté en plein dans le foyer de la cheminée. Les flammes furent attisées par le vent magique comme si on les avait nourries d’un galon de combustible.
L’assassin hurla de douleur alors que le feu le dévorait et commençait à se répandre au plafond. Son corps charbonneux tomba à genoux, figé telle une statue.
Cling.
C’était le bruit que firent ses bras métalliques lorsqu’ils se séparèrent du reste de son corps pour rejoindre le sol.
March prit Saira par le bras et l’entraina dehors. Les flammes n’avaient plus rien de naturel, plus vorace qu’un félin affamé devant une carcasse encore chaude. La maison ne serait qu’un tas de cendre d’ici peu. Et de toute façon, March n’y avait aucune attache, aucun souvenir. Il hésita un instant en voyant le corps de Julius s’enflammer à son tour. Trop tard, lui aussi avait payé le prix d’avoir côtoyer March de trop près.
À l’extérieur, l’épaisse fumée qui s’échappait des fenêtres attirait déjà les badauds. L’un d’eux s’approcha pour les aider, mais March le bouscula sans chercher à s’excuser. Il fallait faire vite. Si l’assassin avait trouvé Léon de Tassigny si facilement, d’autres le rejoindraient surement bientôt.
March se figea en apercevant deux soldats qui couraient dans leur direction. Un des deux mit la main au pommeau de son épée. Il avait reconnu March.
March entraina Saira vers une ruelle parsemée de maisons mitoyennes. Les deux gardes étaient sur leurs talons.
— Arrêtez-vous ! cria l’un d’eux.
March s’arrêta devant la porte d’une résidence et la fit jaillir hors de ses gongs d’un coup de pied. Ils s’engouffrèrent dans l’habitation alors que les épées étaient tirées hors de leurs fourreaux derrière eux.
Ils coururent ensemble à travers la petite maison jusqu’à se glisser par une fenêtre débouchant sur une rue parallèle.
La ruse ne leur donnerait pas beaucoup d’avance et Saira boitait encore à cause de sa jambe blessée. Il fallait se cacher, et vite.
March entraine Saira dans une écurie dont les portes étaient grandes ouvertes. Ils se cachèrent dans une stalle vide et attendirent. Les pas des gardes résonnèrent sur le pavé de la ruelle lorsqu’ils passèrent devant le bâtiment, sans prendre la peine de s’y arrêter. Saira soupira de soulagement. Puis elle frappa March au bras.
— Maudis sois-tu March ! murmura-t-elle. Je savais que c’était trop beau pour être vrai. Quelle sotte je suis d’avoir accepté un paquet d’or du premier venu ! J’aurais dû me douter que cela finirait mal.
— Je suis désolé, dit-il sincèrement. Je vais trouver un moyen de nous sortir d’ici, fais moi confiance.
— Confiance ? C’est bien ça le problème, je t’ai fait confiance et regard où nous en sommes.
Saira détourna le regard. Une larme coula sur sa joue. March l’essuya d’un revers de main et elle le laissa faire.
— Cet homme, pourquoi a-t-il tué Julius ? demanda-t-elle plus calmement.
— Parce qu’il était sur son chemin. C’est moi qu’il cherchait, Julius n’est qu’un dommage collatéral pour ce genre de personne.
— Il est comme toi, n’est-ce pas. Je veux dire… c’était un Mage ?
— Oui. Je voulais t’en parler plus tôt…
— Je sais. Je crois qu’au fond de moi j’avais compris depuis que Gomero nous a parlé de cette étrange rumeur. Mais… je préférais l’ignorer.
Saira lui prit la main et March se sentit immédiatement plus paisible. Le touché de sa peau délicate dans la sienne le réconforter, son cœur se mit à tambouriner dans sa poitrine.
— Je ne sais pas qui tu étais ou pourquoi ses hommes sont après toi, mais tu es un homme bon March. On a tous le droit à une deuxième chance. Crois-moi, je sais de quoi je parle.
— Il me faut des réponses Saira. Je dois comprendre ce que cet homme me voulait.
— On peut quitter la ville maintenant, je connais un endroit où on sera en sécurité.
— Non, c’est trop dangereux et avec ta jambe dans cet état on ne pourra pas voyager facilement. Il faut qu’on trouve un endroit où se cacher dans la capitale.
Saira s’exaspéra.
— Je sais où on peut aller, se résigna-t-elle. Le quartier des plaisirs, tu connais ?
C’était le quartier le plus malfamé de la ville. Une ruelle dépravée et dangereuse, qui n’avait d’égal que dans la Ville-Basse de Drachima.
— Tu crois vraiment qu’on y serra en sécurité ?
— Ton or nous achètera un peu de tranquillité, dit-elle en tâtant la bourse cachée dans sa veste.
— Dans ce cas, allons-y.
March se releva, entrainant Saira qui lui tenait toujours la main. Un bruit dans la ruelle le fit hésiter et il fit signe à Saira de s’arrêter.
— Par ordre du Roi, vous êtes en état d’arrestation, cria une voix à l’extérieur. Refusez de coopérer et j’enverrais mes hommes vous chercher.
March s’approcha de la porte de l’écurie pour observer les alentours. La rue était cernée des deux côtés par une troupe de la garde royale. Les deux gardes qui les poursuivaient avaient dû appeler du renfort. Pire, March aperçut même trois hommes à cheval qui rejoignaient le groupe : un Inquisiteur et ses deux Exécuteurs.
— March, qu’allons-nous faire ? paniqua Saira.
Il se tourna vers les nombreuses stalles occupées par des chevaux et une idée lui vint.
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