Chapitre 9.1 - Trahison

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Lecca n’avait pas l’habitude de rendre visite une seconde fois à ses prisonniers. Habituellement, il s’assurait que la première fois suffise. C’est donc avec regret qu’il rejoignit la cellule d’Egas Venaritin dans les geôles puantes du Mysterium.

Le médecin du Roi Fou n’était plus que l’ombre de lui-même. Il avait la peau sur les os, le corps crasseux et cachait ses mains mutilées entre ses jambes décharnées.

Lecca fit signe à Zera d’ouvrir la cellule. Redaelle le suivit pour libérer le médecin des chaînes qui semblaient bien trop pesantes pour lui.

Lecca s’approcha de sa victime, un pincement au cœur. Il l’avait peut-être puni plus sévèrement qu’il n’aurait dû, aveuglé par sa soif de réussir sa mission coute que coute. Mais il n’avait pas d’autres choix. Il avait passé plusieurs semaines à chercher toutes les pistes possibles, à remuer les archives poussiéreux du royaume et tous les indices pointaient dans la même direction. Une révélation qu’il n’aimait pas et qu’il avait besoin de confirmer par un témoin.

Il prit la gourde à sa ceinture et l’approcha des lèvres d’Egas qui y but amèrement.

— J’aurais dû prêter attention à ce que vous m’avez dit à Drachima.

Le médecin ne répondit rien, son regard était vide, perdu dans un recoin de sa cellule croupissante.

— J’ai encore une fois besoin de votre aide. Votre ami, le naufragé, il pourrait détenir des informations vitales au royaume.

Toujours rien. Lecca n’emploierait pas la force avec lui, c’était trop tard. À ce stade, la violence ne ferait qu’exacerber son repli sur lui-même. Il était proche de sombrer, c’était visible.

— Egas, s’il vous plait. Je ne lui veux pas de mal, je veux des réponses. Vous m’aviez dit qu’il avait perdu la mémoire, qu’il ne se souvenait plus de son identité. J’ai des raisons de penser qu’il a été utilisé par quelqu’un de puissant, pas seulement pour tuer le roi, mais aussi pour d’autres assassinats. C’est un véritable complot, regarder !

Lecca sortit le feuillet qu’il avait ramassé dans la main du roi.

— Ici, vous voyez ? Léon de Tassigny, c’était le nom du naufragé, du moins officiellement. J’ai des raisons de penser qu’il est responsable d’autres assassinats. Et à chaque fois, ces meurtres semblent avantager la couronne d’Algrava.

Redaell s’approcha.

— Où as-tu trouvé ça ?

La question surprit Lecca. Son Exécuteur savait habituellement garder sa place. Lecca n’avait pas partagé ses découvertes avec lui, trop occupé lui-même à déterrer la vérité dans les archives du royaume. Le nom de Léon de Tassigny semblait apparaitre à chaque occurrence d’un évènement politique majeur, mais il semblait autrement absent des rassemblements anodins de la cour.

— Sur la dépouille du roi, dit-il sans chercher à mentir.

Il se détourna de Redaell, en notant qu’il devrait rappeler sa place à l’Exécuteur lorsqu’ils seraient en privé.

— Egas, votre ami est sûrement en danger. S’il a perdu la mémoire comme vous l’affirmez, il ne sait pas dans quoi il est mêlé. Et je pense que ce n’est pas lui le responsable de la mort du roi.

Egas ne bougea pas. C’était peine perdue, Lecca devrait trouver un autre moyen. Il se releva, incertain de comment continuer son enquête.

Le médecin agrippa sa manche pour le retenir. Lecca put observer les doigts déformés par sa faute.

— March… murmura Egas d’une voix rauque.

— Quoi ?

— March, c’est le nom qu’il a choisi.

— Bien, très bien ! Continuous. J’ai des questions à vous poser à propos du Roi Husutan.

— Qu’est-ce que le Roi Fou vient faire dans tout ça ? demanda Redaell, décidément enclin à irriter Lecca.

Il lui jeta un regard noir.

— Redaell, laisse-nous !

— Je préfère rester, cet homme pourrait t’attaquer.

— Tu plaisantes ? Qu’est-ce qui te prend aujourd’hui ?

L’Exécuteur s’écarta en grommelant pour rejoindre Zera à l’extérieur de la cellule. Il resta tout de même proche, ce qui fâcha encore plus Lecca. Il règlerait ça plus tard.

— Vous étiez le médecin du roi. Vous rappelez-vous de faits étranges ayant eu lieu à cette époque ?

Egas tourna les yeux vers lui pour la première fois depuis son arrivée. Une lueur de vie semblait les habiter. Il n’était pas trop tard, le médecin n’était pas perdu après tout.

— Vous me promettez de protéger March ?

— Je vous le promets. Je sais que vous avez une fille dans la ville, je m’assurerais aussi qu’elle ait tout ce qu’il lui faut.

Egas acquiesça et lui tendit une main mutilée qu’il serra délicatement.

— J’ai passé beaucoup de temps avec le roi avant sa mort. Sa condition ne faisait qu’empirer alors j’ai dû lui procurer de nombreux soin. Je n’étais pas le seul à lui rendre visite, un Inquisiteur venait régulièrement lui parler.

— Un Inquisiteur ? Qui était-ce ?

— Vous le connaissez bien. Il a été rapidement promu après la mort du roi.

— Vous voulez dire… le Haut-Mysteriarch Weisz ?

— Lui-même. J’étais habituellement congédié lors de ces visites, mais une fois, je me rendais dans la chambre du roi sans savoir qu’ils étaient en pleine conversation. J’ai donc attendu sur le pas de la porte, pensant qu’il était mieux de ne pas les déranger.

— Avez-vous pu entendre leur conversation ?

— Oui, j’ai tout entendu. Ils parlaient de Magie et du pouvoir qu’ils pourraient en tirer pour le royaume.

— C’est une hérésie, êtes-vous sûr de ce que vous avancez ? Si c’est le cas, cela pourrait remettre en cause toute l’autorité du Mysterium !

— J’en suis certain. Weisz cherchait à convaincre le roi de continuer les assauts sur Urraca. Selon lui, des reliques des Saint-Mages s’y cachaient. Lorsque le prince Lusutan s’est opposé à son père en faveur de la paix, Weisz s’est rangé de son côté, trahissant le roi mourant. C’est comme ça qu’il a été promu au plus haut rang du Mysterium lorsque la place était subitement vacante.

— Que voulez-vous dire ?

— Le Haut-Mysteriarch précédent a été retrouvé égorgé dans sa chambre.

— Un autre assassinat…

— J’ai eu le temps de réfléchir depuis mon arrivée ici… Je pense que c’est une preuve de plus de la culpabilité du Haut Mysteriarch. Les assassinats qui ont eu lieu à cette période semblent tous l’avantager d’une manière ou d’une autre.

Un claquement de fouet retentit dans la cellule. Egas porta les mains à sa gorge. Pourtant cela ne suffit pas à arrêter l’hémorragie et le sang se mit à couler le long de ses bras.

Lecca se tourna vers les Exécuteurs. Le corps massif de Zera gisait à terre, entouré d’une marre de sang. Redaelle tenait son fouet, dont la pointe acérée était marquée du sang d’Egas.

Lecca n’eut qu’un instant pour réagir. Il dégaina son épée pour parer un nouveau coup de Redaelle. La lame fixée à la pointe du fouet lui mordit le revers de la main et il lâcha son épée sous le coup de la douleur.

L’expression de l’Exécuteur était impossible à discerner derrière son masque. Avait-il perdu la tête ? Ou était-ce une trahison ? Et dans ce cas, pourquoi maintenant ?

Malgré sa curiosité, Lecca ne chercha pas à répondre à ces questions maintenant. Il était en mauvaise posture et devait sortir de la cellule avant que Redaell ne le transperce de son arme sordide.

Il lui fonça dessus alors qu’il armait son fouet pour un nouveau coup et le surprit. Lecca le bouscula, mais il eut tout de même le temps dégainé le long poignard qu’il portait à la ceinture. Lecca sentit la lame trancher la chair de sa cuisse.

Il ne s’arrêta pas pour vérifier l’ampleur de la blessure et détala dans le long couloir obscur aussi vite qu’il le pouvait malgré sa blessure.

Il devait trouver de l’aide au plus vite. Redaell devait agir seul, autrement il ne se serait pas débarrassé de Zera. Si Lecca parvenait à atteindre d’autres membres du Mysterium, il serait en sécurité.

Il tourna au coin d’une des cellules menant à la sortie, il y était presque… Le fouet claqua et son emprise se restera sur sa cheville. Lecca chuta sur le sol humide, ajoutant à la douleur de ses blessures.

Redaell le toisa, son poignard sanglant dans la main.

— Pourquoi ? demanda simplement Lecca.

— Ça n’a rien de personnel, Lecca. Je suis les ordres, c’est tout. Pour être honnête, je t’aimais bien, tu as toujours été juste avec moi… mais tu as franchi la limite, je ne peux plus rien faire pour t’aider.

Redaell leva son arme, prêt à frapper. Lecca leva sa main ensanglantée pour se protéger. Quel imbécile ! Et dire que pendant toutes ces années il avait trouvé la réaction de ses victimes face à la mort si naïve. Il ne valait pas mieux que les autres… Une ombre passa derrière Redaell et s’approcha à vive allure. L’inconnu frappa l’Exécuteur d’un coup de pommeau en pleine tempe. Redaell s’effondra sous le choc et son poignard tomba à terre.

Le nouvel arrivant s’approcha de Lecca et une torche révéla son apparence. Il portait les habits et le masque d’un Exécuteur. Il s’accroupit à côté de Lecca et retira son masque.

— Léon de Tassigny… murmura Lecca.

— Je préfère que l’on m’appelle March.

L’assassin lui tendit une main pour l’aider à se relever. Lecca hésita puis finit par accepter son aide, sa jambe lui faisait un mal de chien.

— Inquisiteur Lecca, j’ai besoin de votre aide, dit l’assassin.

Lecca n’en croyait pas ses yeux. La vérité n’était peut-être pas hors de portée après tout.

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