02. Les vikings se réveillent
Einar
J’admire la sculpturale Rhadia assoupie sur ma couche. La blancheur de sa peau contraste avec le marron foncé des rondins de bois qui forment les murs de mon habitation. Ses longs cheveux blonds sont désordonnés, témoins de la furie avec laquelle elle s’est donnée à moi. Je suis de plus en plus convaincu que ce qui l’excite, c’est la violence qui existe dans notre vie. Après chaque combat, elle s’offre à mes assauts avec envie. De mon côté, même si j’apprécie sa présence et les plaisirs qu’elle me procure, j’avoue qu'au-delà de l’aspect sexuel, je ne suis pas plus intéressé que ça.
Je m’habille rapidement et vais frapper chez Haldor. Je ne suis pas surpris de le voir sortir en compagnie de mon frère qui a l’air d’avoir aussi peu dormi que moi. Derrière eux, j’aperçois la jeune sœur de mon voisin qui fait un petit signe à son amant de la veille. Mon frère a le même type de relation avec elle que celle que j’entretiens avec Rhadia. Il en profite régulièrement mais ce n’est que pour le plaisir. Tous les deux, nous sommes jeunes, l’heure de se poser réellement avec une femme n’est pas encore arrivée.
Nous nous dirigeons vers les terres d’Haldor et nous mettons immédiatement au travail. L’air commence à bien se réchauffer en fin de matinée et nous nous arrêtons alors que le soleil est au plus haut afin de nous ménager un peu et de prendre une pause bien méritée.
— Haldor, je dois te laisser, il faut que je passe voir Ulrik, l’armurier. Mon bouclier a souffert hier et je dois voir s’il peut le réparer ou m’en fournir un nouveau.
— Tu reviens cet après-midi ?
— Oui, sauf s’il me demande de l’aider à finaliser le bouclier. Tu sais comment il est ? S’il le fait tout seul, il a peur que les Dieux n’apportent pas leur bénédiction aux armes qu’il confectionne…
— Oui, c’est sûr. Ou c’est une bonne excuse pour ne pas travailler seul, rit-il. A plus tard alors.
Je les laisse et vais dans la petite hutte qui sert d’atelier à Ulrik, après avoir récupéré mon bouclier à la maison. Rhadia est partie et je ne croise que Marguerite qui m’informe que ma mère est en conciliabule avec le Jarl. Comme d’habitude, elle essaie de l’influencer sans que personne ne sache si elle y parvient ou pas. En arrivant, je montre mon bouclier à l’artisan qui éclate de rire à ma suggestion de le réparer.
— Quoi ? Qu’est-ce qui est drôle ?
— Il t’en faut un neuf, l’ami, je ne suis pas un faiseur de miracle !
— Le miracle, c’est qu’il ait tenu. Tu as vu le coup de massue que je me suis pris ? Mon bras est encore plein de bleus. Tu en as un neuf en stock ou il faut qu’on en prépare un ensemble ?
— Tu as de la chance, j’en ai un petit stock. Il ne reste qu’à finaliser pour que tu mettes la main à la patte.
Je soupire car c’était couru d’avance. Je viens donc m’installer à ses côtés alors qu’il sort une magnifique pièce qu’il dépose sur la table qui lui sert d'établi. La courbure est parfaite, l’armature en fer a l’air solide.
— Eh bien, tu veux que l’on finalise quoi ? Tu as l’air d’avoir déjà bien bossé dessus. Et en plus, il est à ma taille. Je crois bien que tu l’as préparé juste pour moi ce matin, non ? Tu te doutais que j’allais venir te voir ?
— Non, mais j’aurais pu, s’esclaffe-t-il. Un peu de déco ?
— Tu pourrais me mettre quelques runes pour me protéger ? Je sens qu’avec la belle saison qui revient, on risque de devoir repartir combattre.
— On peut faire ça, évidemment. Je n’imaginais pas les choses autrement !
Souriant, je me mets à la tâche avec bon cœur et maintiens le bouclier alors qu’il dessine des arabesques dont il m’explique la signification. L’une symbolise la force, l’autre la protection, une autre encore la chance et enfin, la quatrième reste mystérieuse. Malgré mon insistance, il refuse de m’en donner la signification, se contentant de m’indiquer que c’est son secret de fabrication qui devrait me rendre presque invincible. J’avoue que ça me donne confiance, cette part de mystère. C’est la magie qui pourra me sauver la vie comme ce fut le cas avec le bouclier qui s’est juste fissuré hier.
Une fois le travail terminé, je remercie Ulrik et lui promets de le payer avec une part de mes récoltes. Alors que je sors avec le bouclier, je me dis que je vais profiter d’être ici pour aller saluer Rhadia. En effet, c’est la fille de l’artisan et sa demeure est juste à côté. Je pense que cela lui fera plaisir de voir le magnifique ouvrage de son père. Je frappe à sa porte mais personne ne répond. Par contre, j’entends des bruits et me demande si tout va bien. Je pousse la porte discrètement et suis surpris de tomber sur une paire de fesses nues bougeant en rythme et surplombant celle que je croyais être ma régulière et qui gémit sous lui, à même le sol. Certes, nous ne nous sommes rien promis mais je n’aime pas savoir qu’elle fornique avec un autre. Alors que je m’apprête à faire un scandale, l’homme se redresse et sort sa tête de sa poitrine. A ma grande surprise, c’est Bjorn, mon propre frère qui est en train de la besogner et de lui procurer pas mal de plaisir si j’en crois les cris qu’elle pousse. Rhadia se tape donc les deux frères ? Elle n’a vraiment aucune gêne.
Doucement, je referme la porte sans qu’ils aient remarqué ma présence et m’éloigne, préférant les laisser à leurs affaires. Je devrais être en rage, énervé comme jamais, mais tout ce que j’éprouve, c’est un peu de dégoût. Je ne suis même pas triste et me dis que si elle se permet ce genre de choses, ce n’est pas la femme pour moi. Et qui sait, si elle revient me voir, je ne dirai sûrement pas non à un peu de plaisir. En toute connaissance de cause, désormais.
Je m’apprête à rebrousser chemin et à retourner chez moi quand une voix familière m’interpelle. Je me retourne et découvre ma mère à la porte de la Halle, la maison centrale du village où se passent les conciliabules avec le Jarl. Comme à chaque fois qu’elle me regarde, j’ai l’impression de redevenir un petit garçon. Elle a cette capacité un peu folle de me faire oublier que je suis désormais un homme adulte tellement elle a l’air fière et décidée. Ses yeux bleus, presque aussi clairs que le sont les miens, me transpercent et semblent lire toutes les pensées que je pourrais vouloir lui dissimuler.
— Maman ? Tu as besoin de moi ? demandé-je en m’approchant d’elle.
J’essaie de ne pas baisser les yeux car je n’ai rien à me reprocher et que j’ai affronté pire épreuve, mais je dois faire un effort pour ne pas flancher.
— Oui, viens avec moi, il faut qu’on parle tous les deux, me lance-t-elle en tournant déjà les talons pour rentrer dans le bâtiment.
— De quoi veux-tu qu’on parle ?
Elle ne daigne pas me répondre et je la suis en soupirant dans le bâtiment communal, mon bouclier au bras. Je ne suis pas surpris de découvrir Olaf, notre jarl, assis sur une chaise imposante au centre de la pièce en train de discuter avec une partie de nos anciens. Ma mère est la seule femme mais cela ne semble pas la déranger plus que ça. Elle est impressionnante, même ici au milieu de tous ces fiers guerriers. Je m’installe près d’elle en essayant de ne pas faire attention à tous ces regards portés sur moi.
— C’est ici que tu veux qu’on parle tous les deux, Maman ? chuchoté-je le plus discrètement possible.
— Le sujet est commun. Tout le monde sait ici que tes compétences et tes capacités physiques font de toi un guerrier sûr et solide. Je ne t’ai pas initié aux armes et au combat pour que tu cultives ta terre. Tu pourrais nous être très utile.
— Utile à quoi ?
Elle ne me répond pas car Olaf a repris comme si je ne les avais pas interrompus avec mon arrivée peu discrète.
— Je disais donc que nous arrivons à une période propice pour remonter à bord de nos drakkars et partir à l’aventure. Cela fait trop longtemps que nous n’avons pas bougé. L’attaque d’hier le prouve. Je pense qu’il faut qu’on organise un raid avec les combattants des villages voisins pour éviter qu’on finisse par s’entretuer.
— Ah oui, s’exprime Ragnaf, un vieil ami de ma mère. Il faut que nos jeunes aillent prouver leur valeur. Et on a besoin de nouveaux esclaves. Notre dernier raid n’a pas ramené autant de richesses qu’on l’espérait, cette fois-ci, il faut qu’on soit encore meilleurs.
— L’hiver a été rude, nos réserves de nourriture sont au plus bas, il nous faut trouver des vivres en visant les terres fertiles, ajoute le Jarl en acquiesçant.
— Maman, chuchoté-je à nouveau. Tu ne veux pas leur dire que si on se concentrait sur nos récoltes, on n’aurait peut-être pas besoin de faire tous ces raids dont beaucoup ne reviennent jamais ?
— Ne me fais pas honte, gronde-t-elle à voix basse. Les femmes font ce qu’elles peuvent avec les terres, mais cultiver et chasser ne fait pas tout. Ton rôle est autre, Einar, il va falloir que tu l’acceptes.
Je n’ose manifester mon désaccord vu le lieu et les circonstances, sans oublier le respect que je lui porte, mais je n’en pense pas moins. Un jour, il faudra vraiment que je lui dise que même si je suis un bon guerrier, ce n’est pas du tout le rêve de ma vie. Personnellement, je n’aspire qu’à une chose : vivre paisiblement, sur mes terres, avec une femme qui sache me comprendre et m’aimer tel que je suis. Est-ce trop demander ?
Annotations