04. L’assemblée des guerriers

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Einar

Cet après-midi, nous avons terminé tôt les travaux dans les champs car le Jarl a convoqué une assemblée de tous les villageois un peu plus tard. Je rentre aux côtés de mon frère qui, pour une fois, ne va ni chez Rhadia, ni chez la sœur d’Haldor, et je me permets de lui en faire la remarque.

— Eh bien, je suis surpris ! Ce soir, on va se battre pour le baquet d’eau chaude à la maison ? m’amusé-je à le titiller. Ton amoureuse et la mienne ne sont pas disponibles ?

— Amoureuse ? ricane-t-il. Je me demande parfois si nous sommes vraiment frères, toi et moi. On dirait un enfant à qui Marguerite raconte encore ses histoires à dormir debout. Je n'ai pas d'amoureuse, Einar, l'amour rend faible. Et la réunion de ce soir est importante, pas le temps d'aller baiser.

Je soupire et je me demande s’il n’a pas raison. Nous sommes si différents sur tellement d’aspects que c’est difficile d’imaginer comment nous pouvons être frères. Même physiquement, nous ne nous ressemblons pas. Lui est plus petit que moi, même s’il n’a rien à m’envier au niveau puissance. Il est juste un peu plus trapu que moi, aussi blond que je suis brun. Et contrairement à moi, il refuse de se laisser pousser la barbe, cherchant toujours à avoir la peau aussi lisse que possible. C’est un peu sa façon à lui de se démarquer des autres et de mettre en valeur son sourire étincelant qu’il arbore fièrement à la moindre occasion. Il a trois ans de moins que moi mais depuis aussi longtemps que je m’en souvienne, il a toujours joué de ses charmes pour plaire à la gent féminine, sans se préoccuper de sentiments ou de faire attention à ne pas faire souffrir ses conquêtes. Nous avons d’ailleurs discuté de ce qu’il s’est passé avec Rhadia et il m’a juste dit qu’il était venu la voir, pensant me trouver mais comme j’étais absent, il en a profité pour essayer de voir s’il pouvait la faire crier plus que moi. Il était simplement déçu de ne pas y être arrivé, sans remords sur le fait que c’est avec ma régulière qu’il a couché. Impossible de lui en vouloir tellement il est convaincu de n’avoir commis aucune trahison. Et puis, c’est mon frère, je lui pardonne tout.

— L’amour, tu verras, ça te prendra un jour, j’espère. En tout cas, si tu veux, je te laisse le baquet en premier, mais tu me laisses un peu de réserve dans le broc pour que je puisse bien me rincer, d’accord ?

— Tu es sûr que tu auras le temps de te préparer si je passe en premier ? Si tu es du genre à faire un effort pour les femmes…

— T’inquiète, contrairement à toi, je n’ai pas besoin de faire d’effort pour leur plaire, le taquiné-je.

Il me donne une petite frappe sur le bras mais son regard rieur me fait comprendre qu’il accepte la plaisanterie sans se fâcher. Je le laisse donc aller se laver et rejoins Marguerite, toujours aussi discrète, qui est assise dans un coin de la pièce et qui prépare le repas.

— Ça va ? lui demandé-je en normand, sa langue maternelle. Tu as l’air préoccupée.

— J'ai entendu parler de ces histoires de raids alors, tu as raison, je suis préoccupée, mon grand. Mais ça va… ça va toujours.

— C’est Maman qui t’en a parlé ? Elle t’a dit quoi ?

Je suis surpris car Marguerite, du fait de son statut d’esclave, ne participe pas à la vie du village. Au mieux, les gens l’ignorent, parfois certains se moquent d’elle, même si le statut de ma mère et le fait que Bjorn et moi la considérons comme notre seconde mère la protègent bien.

— Mes oreilles traînent, Einar. Ce n'est pas parce que je suis mise de côté que je n'entends rien. Et j'en entends, crois-moi…

— Et tu as entendu quoi d’autre ?

— Rien d'important, si ce n'est que je serai bientôt en compagnie de personnes qui parlent ma langue et auront été enlevées à leurs proches…

Je suis sûr que ma mère lui a dit en pensant que ça lui ferait plaisir, mais Marguerite est quelqu'un de trop pur pour se réjouir du malheur qui va frapper ses compatriotes. Elle sait ce que c'est, une vie d'esclavage et d'exil et je comprends que même si elle s'y est fait, elle aurait pu vivre heureuse et paisible dans sa Normandie natale.

— Je suis désolé, Marguerite… La volonté des Dieux est parfois difficile à comprendre pour nous, simples humains.

— Je t'en prie, pas avec moi, Einar. Tu sais ce que je pense de vos Dieux, même si je respecte vos croyances. Le mien ne serait pas si cruel. Bref, je vous aime tous les deux malgré tout, peu importe..

Je connais son Dieu, elle nous en a beaucoup parlé pendant qu'on grandissait. Je me suis toujours dit qu'il devait être moins puissant qu'Odin ou Thor vu son incapacité à protéger les siens, mais c'est vrai qu'il a l'air moins implacable que nos Dieux. Et j'ai toujours été particulièrement réceptif aux mots de pardon et de bienveillance transmis par Marguerite, alors que mon frère ne jure que par la guerre et la violence.

— Tu as sûrement raison. Je vais aller me laver, vu que Bjorn a terminé ses ablutions. Je te raconterai la réunion de ce soir en rentrant. Je souhaite bien du courage à ceux qui vont être désignés. Les tiens doivent être prêts à se défendre désormais, même si ça fait deux étés que nous les avons laissés tranquilles.

— C’est possible, en effet… Tout ce sang n’a même pas encore coulé qu’il me donne la nausée. J’espère que ton frère et toi ne serez pas du voyage, même si j’imagine que Bjorn va se porter volontaire, le connaissant…

— Ce n’est pas lui qui choisit, heureusement, tenté-je de la rassurer. Et me concernant, je vais rester discret.

— Le Jarl ne dira jamais non à des guerriers supplémentaires, tu le sais aussi bien que moi.

Je soupire et la serre un court instant dans mes bras pour essayer de calmer ses angoisses. Ayant perdu beaucoup de temps, je me dépêche ensuite de me laver et c’est avec les cheveux encore humides que je me rends à la Halle avec Bjorn. Sans surprise, tous les hommes du village sont présents, quelques femmes aussi, dont notre mère qui semble particulièrement préoccupée ce soir.

Nous nous installons près d’elle, un peu en retrait, ce qui dénote bien qui est le chef de famille chez nous. Enfin, c’est comme ça que Bjorn voit les choses alors que pour moi, il n’y a pas vraiment de chef dans notre famille mais mon positionnement est plus un témoignage du profond respect que j’ai pour tout ce qu’a accompli notre maternelle depuis la disparition de notre père.

Les derniers s’installent sur des petits rondins ou à même le sol et le Jarl se lève et invoque la bénédiction des Dieux pour cette assemblée qu’il annonce être la plus importante de l’année. Ce cérémonial m’impressionne toujours et je l’admire s’adresser à chacun de nos protecteurs et leur demander de nous guider dans nos décisions. Lorsqu’il se rassoit, je suis surpris par le silence qui s’installe. Olaf ne nous a pas habitués à tant de mise en scène et j’observe les autres anciens qui sont comme nous dans l’expectative. Lorsque notre chef se relève à nouveau, lentement, il prend le temps de poser son regard sur chacun d’entre nous avant de prendre enfin la parole, d’une voix forte et particulièrement grave et solennelle.

— Les beaux jours arrivent et il est grand temps de reprendre la mer. Voici deux ans, nous avons profité de l’accueil chaleureux en Francie, et nous avons décidé de leur offrir une nouvelle visite. Evidemment, il nous semble évident qu’après nos derniers raids chez les Normands, ils ont dû déployer de nouveaux moyens de défense, mais c’est ce qui rend les choses encore plus excitantes, comme la redécouverte d’une femme après des mois d’absence.

De nombreux hommes, dont mon frère, poussent un cri enthousiaste en entendant cette nouvelle. Je ne comprends pas cet élan qu’ils ont pour la guerre et j’attends de savoir quel sera le niveau de la mobilisation.

— Il est évident que tous les volontaires sont les bienvenus, mais nous avons établi une liste afin que chaque famille qui reçoit la protection de notre village participe à ce raid. Autrement dit, chaque maison devra participer au voyage. Il nous faut le maximum d’hommes pour assurer la réussite de notre visite, même si nous souhaitons que le village reste protégé.

A nouveau, un cri guttural des hommes qui m’entourent. Ils doivent déjà s’imaginer les richesses et les prisonniers qu’ils vont ramener alors que je ne pense qu’à la mort certaine de quelques-uns d’entre eux, aux dangers du voyage en mer, de la guerre, aux aléas inhérents à ce type de voyages.

— Einar, tu prendras la tête d’un des drakkars, tout comme Arnald et Sigurd. Rejoignez-moi, je vous l’ordonne. Vos familles n’ont pas à nommer d’autres personnes. Pour les autres, je demande à tous les volontaires de nous rejoindre au centre de la Halle. Par Odin, je ne veux aucune hésitation.

Résigné, je me lève et le rejoins. C’est un honneur pour notre famille et une reconnaissance de notre loyauté tout comme de ma capacité à gérer des hommes. Et puis, cela permet de préserver mon frère qui pourra s’occuper de notre ferme pendant que je serai parti, un mal pour bien, pensé-je avant de le voir se lever et nous rejoindre, sous les yeux courroucés de notre mère qui cherche à le retenir et à le forcer à se rasseoir.

— Que fais-tu, Tyra ? gronde Olaf en la regardant avec intensité. J’ai dit que tous les volontaires sont les bienvenus. Cela vaut pour Bjorn aussi.

— Bien sûr, je… je souhaitais m’assurer qu’il n’hésitait pas, c’est tout, grince notre mère.

— Ce n’est pas le cas ! s’exclame mon frère en se dégageant de son emprise. Je viens combattre avec vous ! Que Thor couvre mon chemin de gloire et de succès.

Mais quel imbécile ! Et qui va s’occuper de nos terres s’il vient aussi ? Et que va faire notre mère si aucun de nous ne revient de ce raid ? Ce n’est pas comme si on partait faire un voyage pour le plaisir. On va piller, combattre, affronter des hommes qui vont tout faire pour se défendre et protéger leurs terres. Autant cela ne me dérange pas de me sacrifier pour notre famille, autant si j’avais pu y échapper, je n’aurais rien fait pour forcer le destin. Mais c’est trop tard pour ressasser tout ça, par son acte, il s’est engagé et ne peut plus faire demi-tour. Il ne me reste plus qu’à m’assurer qu’il reviendra sain et sauf de cette expédition. Cela sera mon devoir, non seulement parce que je serai à la tête d’un des drakkars, mais aussi et surtout parce que la famille, c’est sacré.

Autour de moi, les cris d’encouragement et d’excitation se multiplient mais je reste silencieux. Une nouvelle fois, il va falloir aller se battre et montrer à nos ennemis que nous sommes bénis par les Dieux, que grâce à leur aide, nous allons l’emporter et nous couvrir de gloire, quitte à n’en profiter que dans le Valhalla, notre paradis. Je finis par me joindre au brouhaha, il le faut si je veux que mes hommes me respectent. Je ne suis pas convaincu par l’utilité de l’opération mais, quitte à y aller, autant mettre toutes les chances de mon côté.

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