07. A sa disposition

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Clothilde

Un soupir m’échappe en voyant mon futur époux entrer sur notre propriété en homme conquérant et fier, droit sur sa monture, comme si le monde ne pouvait pas lui résister. Et je panique. Vu l’heure, si mon père le croise, il va l’inviter à se joindre à nous pour le dîner et je n’ai aucune envie de le voir plus que de raison. J’aimerais autant profiter de mes derniers moments loin de lui, en famille, plutôt que de déjà devoir le supporter.

Oui, plus le mariage approche, moins j’en ai envie. Oh, je n’en ai jamais vraiment eu envie, c’est une évidence, mais à présent, la simple vue de sa personne me donne la nausée et fait monter en moi cette volonté farouche de liberté… Liberté que je vais perdre en rejoignant l’autel pour lui promettre amour et fidélité. Une jolie blague, quand on sait que cette union n’a rien d’un mariage d’amour.

— Thibault, le salué-je plutôt froidement en le rejoignant devant la fromagerie. Que fais-tu là ?

— Bonjour Belle Clothilde. Je voulais voir ma promise, ce n’est pas un crime ! Tu vas bien ? Aurais-tu quelques instants à m’accorder ?

Il va encore me mettre en retard. Isolde et les jumeaux s’occupent de la traite, je dois les rejoindre puis aller préparer le dîner. Père est parti au village pour je ne sais quoi, il ne devrait plus tarder à rentrer et s’attendra à ce que tout soit prêt à son retour. Et lui, il débarque ici comme si je devais être à sa disposition. Qu’il m’exaspère avec son petit sourire charmeur qui me laisse totalement de marbre !

Comme d’habitude, je flatte son cheval à la robe aussi noire qu’une nuit sans Lune et vais l’attacher à la barrière avant de lui servir de l’eau. Le tout sans un mot pour mon prétendant, qui me suit docilement. Je suis cependant surprise lorsqu’il attrape mon poignet pour m’arrêter dans mon élan, me retourne pour me faire face et me presse contre lui. Je retiens de peu un frisson en sentant son corps contre le mien, tout comme j’évite de grimacer, quand bien même son geste me dérange.

— Je ne suis pas très en avance, Thibault, j’ai encore mille choses à faire…

— Et moi, j’ai envie d’un baiser de ma si jolie promise. J’ai rêvé de toi, cette nuit, et si tu savais comme je te désire, jolie Clothilde.

Il joint le geste à la parole en entourant mon visage de ses mains et presse ses lèvres sur les miennes avec plus de vigueur que d’ordinaire. Je me fige, surprise par son geste, et suis cette fois incapable de retenir le frisson qui parcourt mon corps lorsque sa langue force la barrière de mes lèvres. Il me vole mon air et me maintient contre lui d’un bras possessif lorsqu’il sent que je cherche à m’éloigner, et je peine à le repousser avant de m’essuyer la bouche sans aucune grâce.

Rester calme. Ne pas lui hurler dessus. Ni lui dire qu’il me dégoûte. Et surtout, ne pas lui enfoncer mon genou là où il aurait sans nul doute très mal… Je dois penser très fort à mon père, mes frères et ma sœur, à la nécessité de cette union pour la ferme, sinon je vais craquer.

— Thibault, j’ai encore du travail…

— Tu es sûre que tu ne peux pas m’accorder un petit quart d’heure ? On peut anticiper un peu les choses, tu sais ? Il n’y a rien de répréhensible à ça.
— Pardon ? Je… je ne vois pas où tu veux en venir, Thibault. Et je te l’ai dit, j’ai encore du travail.

— J’ai envie de toi, Clothilde, me répond-il avant de poser à nouveau ses lèvres sur les miennes, d’une façon possessive qui me répugne.

Je sens ses mains se promener dans mon dos et descendre dangereusement, et je n’ai pas le temps de protester qu’il empoigne mes fesses avec rudesse. Je me sens totalement prise au piège et j’ai envie de hurler, mais il ne semble pas du tout se soucier de ce que je peux penser ou du fait que je n’ai aucune envie de sentir son sexe bandé contre mon ventre. Je tente de le repousser comme je peux, et j’ai follement envie d’embrasser Isolde en entendant sa voix froide et méfiante.

— Qu’est-ce que vous faites ?

Thibault met un petit moment avant de me relâcher. Il pousse un lourd soupir avant de fusiller ma petite sœur du regard. Elle croise les bras sur son buste et lui rend son regard sans rougir, apparemment furieuse.

— Rien, rien, m’empressé-je de lui répondre avant de lui offrir un sourire que j’espère rassurant. Thibault est passé me voir, et il s’apprêtait à partir.

— J'allais partir, en effet, renchérit-il non sans laisser traîner sa main sur mes fesses. A jeudi, j'ai hâte de te retrouver.

— C’est ça, à jeudi. Bon retour.

Et restes-y, pitié… Je me garde bien de le lui dire, encore une fois docile, même quand il pose une dernière fois ses lèvres sur les miennes, mais il doit sentir tout mon corps se tendre, il ne peut en être autrement, quand bien même il ne s’en formalise pas.

Je reste un peu hébétée en l’observant remonter sur son cheval et m’offrir un sourire en passant devant nous pour quitter la ferme. C’est la main d’Isolde qui se glisse dans la mienne qui me ramène à la réalité. Pas plus glorieuse que cet instant un peu hors du temps où j’ai compris que je ne m’appartenais déjà plus…

— Ne me regarde pas comme ça, petite sœur, soupiré-je en la serrant un instant contre moi. Tout va bien. Avez-vous terminé la traite ?

— Il n'a pas l'air très gentil, Thibault. Tu es sûre que tu l'aimes vraiment ?

— Ce mariage n’a rien à voir avec de l’amour, Isolde, soupiré-je en haussant les épaules. C’est comme ça, il va falloir faire avec. Et donc, la traite ?

— C'est fini, Clothilde. On a bien travaillé.

— Parfait. Rentrons alors, il faut préparer le repas.

Je lui souris en l’entraînant à la maison. Isolde ravive le feu dans la cheminée et nous nous nettoyons avant de nous mettre à la tâche. Les jumeaux débarquent après avoir rentré les poules, un panier bien garni d'œufs, et mon père et Maïeul arrivent alors que nous nous installons à table.

Le repas se passe dans un certain brouillard. J’ai du mal à passer outre ce qui s’est passé avec Thibault, et je crois ne jamais avoir autant eu envie de partir d’ici au beau milieu de la nuit pour ne plus jamais le revoir. L’idée de vivre avec lui me répugne davantage encore. Je me suis surprise à prier pour que le mariage n’ait jamais lieu, parce que, pour la première fois, il m’a réellement fait peur.

Je retrouve la réalité lorsque les jumeaux se chamaillent pour ne surtout pas aller se débarbouiller en premier avant d’aller au lit. Je prends la décision à leur place, envoyant un peu sèchement Nevel au bain tout en débarrassant la table. La maison grouille de vie jusqu’à ce que les trois plus jeunes se couchent. Comme d’habitude, je passe leur souhaiter bonne nuit et retrouve les enfants qu’ils occultent lorsqu’ils se mettent au travail. J’embrasse et câline les jumeaux, leur rappelle que nous travaillerons la lecture demain après-midi, ce qui les fait ronchonner, et je vais ensuite border ma sœur, dont le regard traduit son esprit encore préoccupé par ce qu’elle a vu devant la fromagerie. Je tente de la rassurer comme je peux, mais ne l’étant pas moi-même, mes mots me paraissent insipides et vides de sens.

Je retrouve finalement mon père et Maïeul, toujours installés à table, devant une nouvelle part de tarte aux pommes, et m’installe à leurs côtés en bâillant. Je grimace lorsque je constate que mon père me jette des coups d'œil sans oser entamer la conversation avec moi, et serre les dents lorsqu’il se racle la gorge. Que veut-il ?

— Vas-y, je t’écoute, ne puis-je m’empêcher de finalement l’interpeller.

— J'ai vu Thibault qui partait sur son cheval. Il n'est même pas resté pour me saluer. Vous vous êtes disputés ?

— C’est moi qu’il épouse, pas toi. Mais si tu veux te porter volontaire pour prendre ma place et recevoir ses attentions, je n’y vois aucun inconvénient…

— Il faut que tu fasses des efforts. On n'y survivrait pas si tu le mets en colère.

— Je fais déjà tout mon possible, Père. Tu ne penses pas que je donne déjà assez de ma personne en épousant cet homme ?

— Pourquoi est-il parti si vite, alors ? Tu aurais pu l'inviter à dîner, au moins.

— Il est parti rapidement parce qu’Isolde nous a interrompus alors qu’il me tripotait comme une vulgaire esclave dont il dispose comme il le souhaite, grommelé-je. Il était hors de question que je l’invite à dîner. C’est encore ma maison, et je suis libre de ne pas passer mon temps en sa compagnie.

— J'espère que tu ne l'as pas fâché… Tu sais qu'une fois que tu l'auras épousé, il fera de toi ce qu'il veut ? Pourquoi le rejettes-tu aujourd'hui ?

— Parce que je suis encore libre pour quelques jours et que je compte bien avoir mon mot à dire sur ce que je souhaite et ne souhaite pas, m’agacé-je. Tu m’enchaînes à un homme dont je ne veux pas, permets-moi de profiter de mes derniers moments avec vous et sans obligation pour cet homme aux mains baladeuses qui me donne envie de vomir !

— Non, je ne te permets pas ! s'emporte-t-il. Et je compte sur toi pour te faire pardonner jeudi… C'est ton devoir pour notre famille. Je ne fais pas ça par plaisir, ajoute-t-il plus doucement, mais on n'a pas le choix…

— Donc, je dois faire quoi ? Écarter les cuisses comme il le souhaitait aujourd’hui ? Le laisser me souiller avant même le mariage, au coin d’un bâtiment comme une vulgaire putain ? Je sais que je n’ai pas d’autre choix que de l’épouser, j’ai bien compris, merci ! Ça fait huit ans que j’assume tout ce qui doit l’être pour notre famille, tu permets que je garde un minimum de dignité en n’acceptant pas que ma première fois se passe en pleine nature avec un homme qui m’y oblige ? En fait, je ne te pose pas la question. Tant que nous ne sommes pas passés devant le prêtre, je ne lui appartiens pas encore, alors il ne me touchera pas, qu’importe ce que tu en penses.

— N'oublie pas que tu me dois respect et obéissance jusqu'à ton mariage, gronde-t-il. Alors, maintenant, c'est fini. Je ne veux plus t'entendre sur cette question, d'accord ? Et tu seras gentille avec lui la prochaine fois que tu le vois, c’est un ordre.

C’est ça, compte là-dessus. Evidemment, je ne le lui dis pas à voix haute, mais lui lance un regard sans doute suffisamment éloquent pour qu’il soupire lourdement et me fusille du regard. C’est lui qui a lancé le sujet et c’est à moi de me taire. Sérieusement, ces hommes qui se croient tout permis me donnent le vertige. Je ne comprends pas pourquoi ils devraient avoir le contrôle de nos vies. Je ne suis pas un vulgaire animal, pour l’amour de Dieu !

— Bonne nuit, énoncé-je simplement en me levant pour rejoindre la chambre que je partage avec Isolde.

Je sens que je vais avoir toutes les difficultés du monde à trouver le sommeil, ce soir. Entre la réprimande de mon père, l’approche du mariage et le comportement de Thibault tout à l’heure, j’ai tout le loisir de réfléchir et d’alimenter ma rancœur comme ma peur. Magnifique…

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