09. Panique normande

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Clothilde

— Dépêchez-vous un peu, les garçons !

J’aide Nevel à enfiler sa chemise et attrape son vêtement de nuit pour le ranger avec les autres dans mon panier. L’ambiance à la maison est oppressante depuis que le tocsin a sonné au loin, nous avertissant d’un danger imminent. L’époux d’Héloïse, Rainier, est passé nous voir pour nous avertir que des envahisseurs avaient mis pied à terre à quelques kilomètres d’ici et si, d’après les guetteurs, ils sont occupés à installer leur campement, nul doute qu’ils ne viennent pas pour profiter de la beauté du paysage. Depuis, c’est l’ébullition partout. J’ai vu nos voisins rentrer leur bétail et barricader leur maison, des carrioles pleines quitter le village, passant devant notre ferme, des chevaux partir au galop pour fuir davantage dans les terres…

Ici, ça n’a pas été beaucoup mieux. Notre père et Maïeul sont revenus du champ, nous avons rentré les brebis et les vaches dans leurs abris et étions en train de barricader comme nous pouvions l’accès, bien conscients que ça ne servirait pas à grand-chose, lorsque Thibault a débarqué avec sa carriole luxueuse et tape-à-l’oeil, nous proposant l’hébergement. J’aurais refusé s’il n’y avait pas les enfants, mais les mettre à l’abri derrière de hauts murs n’est pas une option. Qu’importe les intentions de cet homme, en définitive, tant qu’ils sont en sécurité. En outre, j’ai voulu rester ici pour m’occuper des bêtes, mais Thibault a refusé avec véhémence, et mon père également. Faire ses propres choix n’est définitivement pas envisageable avec ces hommes, il ne faudrait surtout pas que ce mariage n’ait pas lieu… Mais si le danger est bien présent, une petite part de moi se réjouit du risque qu’il soit repoussé. C’est terrible d’en arriver là, mais c’est dire à quel point l’idée de m’unir à cet homme me répugne.

Evidemment, et puisque je suis une femme de caractère selon mon futur époux, j’ai parlementé pour nos animaux. Si les envahisseurs mettent la main dessus, qu’en sera-t-il de notre ferme ? Isolde a supplié Thibault de nous laisser les emmener, mon père a négocié en ce sens, et après avoir perdu un temps infini en parlote, nous avons déjà fait un trajet avec le troupeau de vaches chez lui. Quelle joie de le voir grimacer lorsqu’il les a vues prendre leurs aises dans son beau jardin parfaitement entretenu !

Mon père et Maïeul sont partis emmener nos poules, accompagnés de deux serviteurs du Seigneur qui nous accueille, et nous devons partir rapidement en emmenant le troupeau de brebis. Quitter la maison sans savoir quand nous allons la retrouver et surtout dans quel état, me fait mal au cœur, mais nous n’avons pas le choix. Tout le monde sera plus en sécurité chez Thibault, je crois. Espérons, en tout cas, même si les histoires des précédentes invasions par ces Vikings qui sont racontées par les anciens nous montrent que ce ne sont pas quelques murs ou quelques douves qui les empêchent d’entrer où ils le souhaitent.

Je ne suis finalement pas beaucoup plus rassurée lorsque nous arrivons chez Thibault. Les garçons courent derrière les brebis pour les éparpiller tandis que mon père et mon cadet tentent tant bien que mal de créer un enclos pour nos animaux. Le beau parc de la demeure qui sera mon chez-moi une fois mariée ne ressemble déjà plus du tout à un beau jardin entretenu, et cela me réjouit beaucoup trop pour être sain.

Anne, l’une des servantes, me montre les chambres pour ma famille et je grince des dents quand elle me parle de celle d’Isolde… Mon prénom n’est mentionné nulle part durant cette visite, et je comprends que Thibault risque encore d’être trop entreprenant en me proposant de partager sa couche… J’ai presque envie d’aller me rouler dans la bouse pour le repousser.

— Des nouvelles de l’avancée de nos envahisseurs ? demandé-je à Anne en pliant soigneusement le vêtement de nuit d’Isolde sur son lit.

— Ils sont en train de s'installer dans la clairière du sans-souci. Notre seigneur pense qu'il faudrait aller les attaquer sans attendre mais tout le monde a peur et soit les gens fuient, soit ils se retranchent dans les châteaux. Personne ne veut affronter ces brutes sanguinaires.

— Ce qui me semble compréhensible, soufflé-je. Espérons qu’ils nous épargnent…

Je n’y crois pas vraiment. Si jamais ils décidaient d’attaquer le village plus au sud, cela ne les empêcherait pas de venir ici ensuite, à moins d’essuyer une défaite et de lourdes pertes qui les obligeraient à repartir…

Je n’ai pas le temps de ressortir pour m’occuper des bêtes, je retrouve tout le monde déjà installé au salon. Isolde et les jumeaux ont beau jouer les grands, je vois qu’ils ne sont pas du tout rassurés. Je m’installe sur la banquette entre Nevel et Alaric qui louchent sur l’assiette pleine de biscuits posée sur la table devant eux, et remercie Mélisande, la servante qui nous sert à chaque fois que nous venons dîner ici, pour la coupe de lait qu’elle m’apporte.

— J’espère que c’est notre lait, dis-je avec un sourire en coin en plongeant mon regard dans celui, très occupé à m’observer, de Thibault.

— Bien sûr. Maintenant que vos animaux ont pris possession de mes terres, il faut au moins qu'on en profite un peu.

Je me retiens de lever les yeux au ciel, mais mon cerveau fait évidemment le parallèle entre sa phrase et notre situation à tous les deux. Va-t-il vouloir en profiter également ?

— Doucement, les garçons, soupiré-je en tapant sur la main d’Alaric. Laissez-en pour tout le monde. Merci de nous accueillir, Thibault, c’est très aimable de ta part.

— C'était évident que je devais protéger la famille de ma future épouse. Et puis, comme ça, tu vas pouvoir prendre possession de ta nouvelle habitation en attendant que ces barbares repartent. Ce malheur va nous permettre de passer beaucoup de temps ensemble, conclut-il en ne me quittant pas du regard.

Magnifique… Le message est clair, et lui agit simplement par intérêt. Il espère m’amadouer pour que je me rapproche de sa petite personne… chose qui se confirme lorsqu’il propose à mon père d’investir ses quartiers, et à mes frères et ma sœur d’aller profiter de la bibliothèque ou de sortir s’amuser un peu. Je n’ai même pas le choix que de rester, apparemment, puisqu’il attrape ma main lorsque je me lève et me sourit de manière doucereuse. Moi, je me tends, et tente de masquer ma réaction du mieux possible.

— Anne m’a dit que tu voulais combattre dès maintenant ?

— Tout seul, je ne peux rien faire, malheureusement. Et puis, là maintenant, je crois que j’ai envie d'autre chose que de combattre. Tu veux que je te montre notre chambre ? Tu vas voir, le lit est très confortable.

Mes craintes étaient donc fondées… Puis-je seulement l’éconduire ? Je n’ai aucune envie de dormir avec lui. Notre chambre… Elle ne le sera officiellement que lorsque nous serons mariés, et lui se permet de prendre cette décision alors que je ne lui appartiens pas encore.

— Nous ne sommes pas mariés, Thibault, je ne peux pas partager ta chambre, lui dis-je poliment.

— Dans cette période d'incertitudes, il faut savoir s'adapter. Et nous ne commettrons aucun péché vu que tout sera régularisé dans quelques semaines devant le prêtre. Ne me dis pas que tu n'as pas autant envie que moi de t'offrir à mon amour !

Je ne réponds rien et entre dans la chambre alors qu’il me fait signe de le devancer. La pièce est grande, peut-être même fait-elle la taille de notre maison à la ferme, et tout est bien trop ostentatoire, bien loin de ma petite chambre partagée avec Isolde. Ici, tout respire l’argent. Le lit est majestueux, les meubles très travaillés, les tentures et tableaux aux murs, aussi magnifiques soient-ils, sont aussi bien trop tape-à-l’oeil à mon goût. Les tapis qui semblent doux et la grande cheminée en pierres sont les seuls éléments de la pièce qui me plaisent réellement.

Je me crispe en sentant Thibault se coller contre mon dos. Il pose ses mains sur mon ventre, ses lèvres dans mon cou dégagé par la natte qui retient mes cheveux, mais le frisson qui me parcourt n’a rien à voir avec du plaisir ou de l’envie lorsque je sens ses pouces caresser la naissance de mes seins avant qu’il ne les empoigne plus fermement. Les mots de mon père résonnent dans ma tête… Je compte sur toi pour te faire pardonner… Devrais-je me laisser faire ? Me laisser souiller par cet homme ? Je ne parviens pas à m’y résoudre, j’éprouve à nouveau ce besoin de fuir au plus vite, d’autant plus lorsqu’il commence à se frotter contre moi, me faisant sentir son excitation sans honte aucune.

— Je ne coucherai pas avec toi avant le mariage, Thibault, c’est non négociable, grincé-je en repoussant ses mains avant de m’écarter de son corps.

— Ne fais donc pas ta petite prude. Tu sais bien que c’est inévitable. Pourquoi attendre ?

— C’est un péché ! Il est hors de question que je m’offre à toi tant que le Seigneur n’aura pas béni notre union ! m’agacé-je.

— Oh ça va, je nous déclare mari et femme, répond-il, agacé. Par le Saint Esprit et tous les saints du Paradis, tu es ma femme devant Dieu. Allez, c’est bon, maintenant ?

— Bien sûr, mais je dois t’avouer que je ne me suis pas préservée pour le mariage, lui lancé-je avec sérieux.

— N’importe quoi, Clothilde ! Ton père n’aurait jamais permis ça, tu as plus d’honneur que ça. Laisse-moi vérifier, ma Belle.

En disant cela, il m’attrape par les hanches et me fait basculer sur son lit. Pour l’amour du ciel, cet homme ne pense-t-il donc qu’à ça ? Sa main glisse déjà sous ma robe, remontant le long de ma jambe alors que sa bouche kidnappe la mienne. Je ne sais pas par quel miracle je parviens à m’en sortir, mais je ne m'attarde pas près de lui et regagne la porte, restée ouverte.

— Tu as raison, j’ai plus d’honneur que ça. Suffisamment pour me refuser à toi avant ce mariage, d’ailleurs. Ne recommence plus jamais ça, sinon, je te le jure devant Dieu, tu pourras faire une croix sur ma vertu, j’ai suffisamment de prétendants pour pouvoir vivre une première fois avec un autre.

Bon, d’accord, étant donné que le mariage a été annoncé, je ne suis pas sûre que beaucoup de ces prétendants répondraient favorablement à ma demande pour ne pas contrarier le Seigneur Duval, mais je trouverais bien. En attendant, je me dépêche de quitter la chambre et sors même de la maison, attrapant mon châle au passage dans l’entrée. J’ai besoin de m’éloigner de lui, et je glisse un mot à Isolde pour lui dire que je retourne à la ferme et qu’elle l’annonce à notre père lorsqu’il se demandera où je suis. Les Vikings s’occupent de leur campement ? J’ai un peu de temps pour souffler, et la solitude ne me fera pas de mal. C’est si rare, au quotidien, que je devrais apprécier ce moment.

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