10. A l’assaut !

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Einar

Nous nous sommes levés avant même que le soleil ne fasse son apparition et avons pris le chemin vers le village que nous avions repéré. Un de nos drakkars fait route en même temps que nous. Si nous ne nous sommes pas trompés, il apparaîtra aux abords du village au moment où le soleil va se lever. Avec ses belles voiles et sa peinture rouge, il aura fière allure et cela va nous aider à effrayer les habitants. Comme dans tous nos raids, on joue beaucoup sur l’ambiance et l’atmosphère, et souvent, avant même de combattre, on a gagné car nos ennemis ont peur.

La lumière du jour commence à faire son apparition mais contrairement à ce que nous espérions, pas de soleil à l’horizon. Juste une terrible bruine incessante qui nous laisse trempés jusqu’aux os, l’eau parvenant à s’insinuer partout entre nos protections et dans nos vêtements. A chaque pas que nous faisons, nous nous enfonçons dans la boue et cela nous retarde et rend la progression extrêmement pénible. Je me demande s’il ne vaudrait pas mieux repousser l’attaque, mais l’air déterminé de mes camarades me fait comprendre que cette proposition ne serait pas bien reçue.

Le vent se lève et je ne peux m’empêcher de remarquer qu’il nous fait face. Non seulement, nous sommes transis de froid, mais je suis convaincu que cela va empêcher le drakkar de remonter la rivière.

— Runolf, je ne la sens pas, cette attaque. Tu as vu le temps ? Et maintenant le vent… Je crois que les Dieux ne sont pas avec nous, ce matin. Tu crois que je peux en parler aux autres ?

— Je crois qu’il vaut mieux que tu te taises… Ça ne changera rien à leur plan, regarde-les… Tous prêts à faire couler le sang, ils n’attendent que ça.

— Là, c’est le nôtre qui va couler… Je n’ai pas peur de mourir et d’aller me perdre au paradis avec les Dieux, mais si ça pouvait ne pas être aujourd’hui, ce serait mieux quand même, grommelé-je.

Runolf se contente de hausser les épaules et je le précède sur le petit chemin qui serpente sur les collines. Nous ne croisons personne sur le chemin et, même s’il est encore tôt, je trouve ça assez suspicieux. On ne voit même pas un chien errant ou un seul animal. Je pense que nous sommes attendus et que ça ne présage rien de bon. Mon mauvais pressentiment est confirmé lorsque nous arrivons à la première maison du village. Elle est abandonnée, les villageois ont mis des planches en bois sur les fenêtres et nous nous concertons pour savoir ce que nous allons faire.

— On n’a aucun effet de surprise, c’est sûr, ils nous attendent un peu plus loin. Si on y va, c’est la mort assurée, lancé-je aux autres.

— Nous sommes des guerriers, ce sont des paysans. Que veux-tu qu’ils puissent faire contre nous ? me demande Bjorn, toujours aussi assuré.

— Tu crois que parce que ce sont des paysans, ils ne vont pas se défendre ? Et le drakkar n’est pas là, nous n’avons que la moitié de nos forces… C’est folie de continuer.

— Le drakkar arrivera en renfort, arrête de t’inquiéter, s’énerve-t-il. Les Dieux nous ont guidés jusqu’ici, ce n’est pas pour rien !

— Oui, allons-y ! crient les autres. On veut du sang !

Les cris s’enchaînent et je suis le mouvement, entraîné bien malgré moi vers le centre de ce village où nous attend notre destin. Je sens comme un étau qui me serre la poitrine et je peine à suivre le rythme imposé par Bjorn et les autres. Runolf reste à mes côtés et a l’air aussi peu rassuré que moi mais lui aussi poursuit l’avancée.

J’ai beau m’y attendre, je suis tout de même surpris quand une clameur se fait entendre et que nous nous prenons une volée de cailloux lancée par un comité d’accueil déterminé à ne pas se laisser faire. Immédiatement, c’est le chaos le plus total, comme lors de chaque combat auquel j’ai participé. Nous levons nos boucliers et chacun d’entre nous se met en position pour affronter les villageois qui sortent de leurs cachettes tous ensemble. Ils se jettent sur nous avec une fureur comme seuls ceux qui défendent ce qui leur est le plus cher peuvent avoir. De ce que je vois, ils sont mal équipés, tous n’ont pas d’armes mais leurs bâtons peuvent faire très mal aussi. Et ils savent s’en servir.

Tous mes doutes sont maintenant oubliés, mes instincts de guerrier ont repris le dessus. Comme à chaque fois, c’est eux ou nous. Et je préfère clairement que ce soit eux plutôt que moi qui y reste. Je me jette à corps perdu dans la bataille mais ils sont plus nombreux que nous et petit à petit, ils parviennent à nous faire reculer et à nous repousser. C’est difficile de répondre à leurs coups, ils nous ont attaqués à un endroit où nous avons du mal à déployer nos armes et malgré nos efforts, je ne vois pas comment nous allons faire pour résister.

— A moi ! Me laissez pas, les gars !

Oh non, cette voix, c’est celle de mon frère. Je le cherche des yeux et le découvre entouré par une bande de normands armés de fourches, prêts à le trucider. Il est en mauvaise posture et je ne vois pas comment il va pouvoir s’en sortir, encerclé comme il l’est. Je crois que je suis le seul à l’avoir entendu, ou alors les autres n’ont pas le courage de faire demi-tour et d’aller à son secours, mais moi, je ne peux l’abandonner à son sort. Je pousse un cri et me redresse alors que la pluie cesse enfin de tomber. Je dresse mon glaive au-dessus de ma tête et bondis sur le villageois qui me poursuivait. Je ne lui laisse aucune chance et le transperce d’un coup vif qui le fait s’effondrer. J’enchaîne avec un gars plus jeune, pas beaucoup plus âgé que moi, et lui aussi passe de vie à trépas en quelques secondes. La route est libre et je m’élance vers le groupe qui cherche à éliminer mon frère qui parvient à les maintenir à distance en faisant des moulinets de ses bras. Je sens plus que je ne vois la présence de Runolf à mes côtés et suis heureux de savoir que je ne suis pas seul à foncer vers l’ennemi. Lui aussi rugit et nous courons vers le groupe dont certains commencent à se retourner vers nous.

— Par Odin ! Vous allez tous périr ! Personne ne s’en prend à ma famille !

Bjorn profite de l’inattention provoquée par mon assaut pour transpercer les deux villageois les plus proches de lui. Je m’occupe d’un rouquin qui cherche à me mettre un coup de fourche et suis sauvé d’un coup mortel par Runolf qui se jette, bouclier en avant, entre un ennemi et moi. Il est un peu sonné par la violence de la bourrade mais cela me donne le temps de réagir. Je crie encore plus fort et je crois que l’homme qui me fait face lit ma détermination dans mon regard qui doit être fou. Il fait volte face et se met à courir vers le haut du village, rapidement suivi par les autres villageois. Runolf veut s’élancer à leur suite, mais je le retiens.

— Attends ! Il faut attendre les renforts ! Et regarde, ils arrivent, maintenant que nous avons mis ces mécréants en déroute.

En effet, les membres de notre troupe nous rejoignent rapidement et nous profitons de cette petite trêve pour reprendre des forces et nous organiser pour la suite. Finalement, les pertes sont minimes. En raison de la pauvreté de leur armement, les dégâts chez nous sont finalement limités et nous n’avons perdu qu’un homme. Il y a quelques blessés mais ils survivront. Bjorn s’approche de moi et me serre dans ses bras. Je réponds à son étreinte fraternelle avec chaleur.

— Eh bien, on peut dire que tu m’as fait peur…

— Merci du coup de main, mon frère. A croire qu’ils se sont ligués pour attaquer le meilleur des nôtres en bande.

— Le meilleur ? Tu rigoles ? Le plus fou, oui ! Tu aurais dû m’écouter. Si tu étais resté avec nous, jamais tu ne serais retrouvé encerclé comme ça. Tu n’es pas tout seul à te battre, le réprimandé-je vivement. Notre force, c’est d’être ensemble !

— Es-tu toujours obligé de faire la morale à tout le monde ? soupire-t-il. Je n’ai pas rejoint le Valhalla, tout va bien, non ?

— Tu sais que tu m’as fait peur, abruti ? J’ai bien cru qu’ils allaient avoir ta peau ! Ne me refais plus jamais ça… Il ne manquerait plus que tu y passes. Tu imagines quel sort me réserverait Maman s’il t’arrivait un truc ?

— Les Dieux ont des projets pour moi, Einar. Ma mort n’est pas prévue pour aujourd’hui.

— Oui, heureusement, soufflé-je en le serrant contre moi avant de le relâcher, un peu honteux de m’être laissé aller à tant d’affectif. Désolé, Bjorn, j’ai vraiment cru que ta dernière heure était arrivée. Et merci Runolf, sans toi, je crois que j’étais bon aussi pour le Valhalla. Je t’en dois une.

— Pas de quoi. Au moins, maintenant vous savez que je ne tourne pas toujours les talons !

— Ouais, toi, tu as un cerveau au moins. Tu sais quand il faut y aller et quand il vaut mieux reculer. Pas comme cette tête brûlée qui se fait passer pour mon frère.

— Ça suffit, Einar, soupire Bjorn. Tu m’épuises. J’ai fait ce pour quoi je suis né, notre mère serait fière. Et de toi aussi, pour ton courage. Mais arrête de me juger.

Je ne réponds pas car nous sommes enfin rejoints par le reste de nos compatriotes dont le drakkar a pu accoster à proximité. Bjorn, reprend la tête de notre expédition et nous repartons à l’assaut sans un autre regard sur le charnier que nous laissons derrière nous. La guerre, ça n’a rien d’une partie de plaisir, je ne poursuis pas mon chemin pour me couvrir de gloire, même si je ne suis pas peu fier d’avoir réussi à retourner la situation. Non, je continue pour pouvoir veiller sur mon frère et essayer d’éviter que le pire n’arrive. Et avec un fou inconscient comme lui, je parie que je vais encore avoir fort à faire.

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