12. Le frérot prend les rênes

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Einar

Cette demeure est vraiment magnifique et je ne comprends pas pourquoi le propriétaire n’a pas cherché à défendre son domaine. On est entrés sans difficulté, à part un jeune homme un peu fougueux qui, seul, a cherché à nous bloquer le chemin, armé d’un simple bâton. Bjorn l’a désarmé sans souci et il a fallu que j’intervienne pour qu’il lui laisse la vie sauve. Je l’ai emmené dans une pièce où je l’ai enfermé avec quelques autres hommes qui se sont rendus sans résistance. Pas très courageux, ces normands. Il faut croire que leur résistance dans le village était tout ce qu’ils pouvaient faire.

Je parcours les couloirs et admire la propreté des lieux ainsi que la richesse des teintures et décorations dans chacune des pièces. C’est clair que quand on va partir, une bonne partie de tout ça sera dans nos caisses ! Je rejoins la grande salle à manger où Bjorn, conquérant, s’est installé en bout de table. Je suis surpris de voir que même les plus anciens se taisent quand il parle et qu’ils l’écoutent avec autant d’attention. Il faut croire que son attitude sur le champ de bataille les a convaincus qu’il a ce qu’il faut pour être un leader. Je suis sûr que si un drakkar a besoin d’un chef, il sera nommé sans hésitation. Je ferais peut-être même mieux de lui laisser le commandement du mien, il fait ça tellement plus naturellement que moi.

Je m’assieds sur un des bancs installés autour de la grande table et me dis que dans notre précipitation, nous n’avons pas pensé à libérer les personnes qui font le service. Rien à boire, rien à manger, ce qui est étrange vu le cadre dans lequel nous sommes. Une fois que tout le monde s’est installé, Bjorn se lève, prend la parole et sa voix puissante retentit dans la pièce.

— Mes chers camarades, je tiens d’abord à vous féliciter ! Nous avons réussi à conquérir ce village avec célérité et notre force a permis de prévaloir face à un ennemi qui n’a pas fait de résistance. Nos pertes sont minimes et notre victoire totale ! Alors, remercions les Dieux et savourons cet instant !

Sa harangue est accueillie par des cris de joie et des hourrah qui réchauffent le cœur. Je me joins sans entrain au mouvement commun mais ne suis pas convaincu que ce que nous avons accompli mérite autant d’engouement. Mes camarades, à l’exception notable de Runolf, sont cependant heureux et doivent déjà se dire que rien qu’avec ce qu’on va pouvoir piller ici, le raid est déjà un succès.

— Je vous ai tous réunis ici pour décider de la marche à suivre à présent que nous avons conquis ce village. Bien défendu, vu sa position haute par rapport à la rivière et les murs qui entourent cette grosse bâtisse, on peut dire qu’on est en sécurité. Je propose donc d’en faire notre base de vie pour les prochaines semaines. Qu’en pensez-vous ? J’aimerais que toute personne qui souhaite s’exprimer le fasse.

Il semblerait qu’il ait déjà tout décidé, quoi qu’il puisse dire. C’est quoi cette idée de s’installer ici ? Aurait-il envie de vivre la vie de château ? Mais qui serait assez fou pour lui renvoyer ça ? J’observe les anciens qui ont toujours fait leurs campements dans des tentes mais pas un ne bronche à la proposition. Enfin si, Karl, l’homme à la cicatrice comme on le surnomme depuis qu’il s’est pris un coup d’épée à travers le visage, se lève à son tour. Il semble mal à l’aise et je suis curieux de voir ce qu’il va exprimer.

— La vie de château ? Je ne suis pas sûr de pouvoir la supporter. Nous vivons dehors, Bjorn, c’est… Je ne me sens pas d’y rester. Et puis, le village n’est pas non plus juste à côté, et la côte encore moins. Ça veut dire que nous devons diviser les troupes pour assurer la surveillance. Penses-tu vraiment que ce soit une bonne idée ?

— Nous pouvons ramener tous les bâteaux ici, en bas du village et les surveiller depuis la petite tour bâtie par le propriétaire. Ce n’est vraiment pas un souci si on laisse quelques hommes pour les garder. Et puis, c’est assez grand pour que l’on puisse tous rester ici, non ?

Clairement, mon frère doit encore s’améliorer sur l’improvisation des discours parce qu’il a perdu un peu de sa superbe, décontenancé par le fait que tout le monde n’approuve pas automatiquement ce qu’il propose. Il continue cependant, aussi imperturbablement que possible.

— Sinon, ce que je vous propose, parce que j’entends ce que tu dis, Karl le balafré, c’est que je m’installe ici avec ceux qui le souhaitent, on utilise ce magnifique endroit pour faire nos assemblées et les autres, vous pouvez soit retourner près des drakkars et y installer vos tentes, soit aller investir les maisons du village. Nous sommes assez nombreux pour tout faire, je pense. Et avec une bonne vigie dans la tour, on verra arriver une menace s’il y en a une. Est-ce que ça vous va ? Qu’en penses-tu, Karl ?

— Je reste persuadé que nous diviser n’est pas une bonne idée, mais je me rangerai à la majorité. Cependant, laissez-moi vous rappeler qu’il y a des groupes Vikings dans le coin. Je ne suis pas certain qu’ils apprécient que l’on s’installe ici.

— Pourquoi donc seraient-ils en colère ? demandé-je pour venir à la rescousse de mon frère. S’ils voulaient ce village, ils n’avaient qu’à le prendre, non ?

— Qui nous dit qu’ils n’ont pas un accord avec les représentants du village ? Un genre de pacte… Et si les Vikings avaient pour mission de les protéger ? Nous ne savons rien de leurs relations.

— Eh bien, je suggère que tu ailles les voir dès demain, Karl. Et tu nous diras ce qu’ils en pensent et ce qu’il faut qu’on fasse pour ne pas leur déplaire.

— Moi ? Seul ? C’est du suicide, Bjorn !

— Je n’ai jamais suggéré que tu y ailles seul, soupire mon frère, apparemment résigné de devoir tout expliquer. Mais tu gèreras le petit groupe qui va aller les voir, d’accord ?

— Bien… Espérons qu’on ne se fasse pas tuer, bougonne l’homme à la cicatrice.

— Et tu comptes nous faire rester ici longtemps ? demande un guerrier d’un autre village dont je ne connais pas le nom. Et on fait quoi pour passer le temps ?

Bjorn commence à cerner un peu mieux ce que chacun attend de ces assemblées et je vois qu’il apprend vite car il ne se laisse pas décontenancer par la question qui a été posée d’un ton assez dur. Il se contente d’affronter un instant du regard le guerrier qui finit par baisser les yeux, puis, toujours silencieux, il fait le tour de la table, lentement. Il semble vouloir nous affronter un à un et je suis un des rares qui ose lui faire face.

— Eh bien, voilà ce que je vous propose. Avec ce qu’on peut récupérer ici, on peut déjà dire que notre expédition est un succès. Mais on ne va pas rentrer alors que la belle saison ne fait que commencer. Cela ne serait pas digne et qu’est-ce qu’un Viking sans honneur ? Rien ! Alors, je vous propose plusieurs choses. Et cette fois, c’est non négociable. A prendre ou à laisser, soit vous êtes avec moi, soit vous êtes contre moi. Compris ?

Tout le monde hoche la tête, impressionné par le ton martial qu’il a adopté et la résolution qui transpire de tout son être.

— Nous allons rester ici jusqu’aux récoltes pour revenir chez nous les drakkars chargés non seulement de richesses mais aussi de nourriture à foison. La Normandie est une terre riche et généreuse et je compte sur vous pour mobiliser la population et la forcer à nous aider. Par ailleurs, nous ferons des rotations et tous les volontaires pourront davantage se créer un chemin vers le Valhalla en organisant des raids sur les villages alentour qui ne sont pas occupés par des Vikings. A part la partie qui reviendra au Jarl à notre retour, tout ce que vous pourrez prendre sera à vous ! Parce que quel est le peuple favorisé par les Dieux ? C’est nous !

Il n’y a pas à dire, il sait transcender et motiver ses troupes. Tout le monde applaudit et crie ses encouragements. Finalement, une fois que le bruit s’est un peu calmé, c’est moi qui prends la parole pour aborder un sujet qu’il n’a pas encore traité.

— Et pour les prisonniers, on en fait quoi ? On ne va pas les laisser croupir à ne rien faire ici, quand même ? On a besoin des hommes pour les travaux des champs et des femmes pour tout le reste, non ? Sinon, ça fait des bouches inutiles à nourrir. Que faisons-nous de toutes ces personnes que l’on a déjà enfermées ?

— Que suggères-tu, Einar ? Que nous nous débarrassions des prisonniers ? me demande mon frère, un sourire en coin.

— Non, surtout pas ! Il faut les convaincre de nous aider. Je crois que certains ne seront pas contre nous servir plutôt que leur ancien seigneur. Et pour les récalcitrants, soit on les force à la pointe de l’épée ou en jouant sur leurs peurs pour leurs proches. De toute façon, dans ton plan, tu comptes sur leur résignation face à notre occupation, non ? Qu’ils soient nos prisonniers ou encore libres chez eux…

— Tu sais quoi ? Je te laisse gérer les prisonniers, tu en auras la charge. Fais comme bon te semble, mais il nous faut de la main d'œuvre. Et les femmes… peuvent être très utiles, de toute façon, sourit-il de manière lubrique.

Je soupire et fais mine de me résigner, mais au fond, je ne suis pas mécontent de la tâche qu’il m’attribue. D’abord parce que cela va me donner une excuse pour ne pas participer aux autres raids dont il a parlé. Ensuite parce que je vais pouvoir m’assurer qu’il ne leur arrive rien de fâcheux, s’ils acceptent de coopérer avec nous. Et enfin, même si je ne suis pas comme mon frère, il a raison sur un point : les femmes que nous avons capturées jusqu’à présent me semblent plus qu’agréables à regarder. Autant joindre l’utile à l’agréable, si c’est possible !

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