16. Des règles bien tendres
Einar
Purée, je suis pire qu’un adolescent qui découvre que l’autre sexe existe et qu’il peut apporter du plaisir. Pourquoi je ne fais que repenser à ce léger baiser déposé sur ma joue par cette Clothilde qui fait tout pour m’agacer ? Et pourquoi surtout suis-je autant excité quand je l’ai en tête ? Je ne saurais dire combien de fois je me suis rejoué la scène de notre échange et imaginé la plaquer contre le mur, afin d’embrasser ces lèvres mutines et la soumettre à mon désir si fort. Dans mes rêves, elle fait mine de résister avant de s’offrir totalement à mes assauts. Mais bon, ce ne sont que des rêves. Et à cause de ce trouble qu’elle a créé chez moi, j’ai fait n’importe quoi hier soir en acceptant qu’elle aille voir son frère. S’il y a des règles, c’est pour qu’elles soient respectées, non ? Et c’est à moi de le faire, sinon qui va s’en charger ? Bref, j’ai merdé et il faut que je réagisse vite si je ne veux pas que ce soit l’anarchie ici. C’est dans cet état d’esprit que je me dirige au petit matin vers la chambre de cette Clothilde qui me fait tant perdre mes moyens. Je frappe à sa porte et suis surpris quand ce n’est pas elle qui vient ouvrir, mais celle qui partage sa chambre et dont j’ai encore oublié le nom. Malissandre ? Un truc dans le genre, en tout cas.
— Nous sommes en retard ? s’inquiète-t-elle en jetant un regard en direction de la fenêtre.
— Non, non, il faut que je discute avec Clothilde. Elle dort encore ?
— Elle dormait avant qu’une grosse voix la sorte de son sommeil, bougonne l’intéressée en apparaissant aux côtés de la première en se passant la main sur le visage.
Et mince. Elle n’aurait pas pu refermer complètement son vêtement de nuit ? Ses lacets qui sont à peine fermés entre ses seins, c’est juste… envoutant. Concentre-toi, Einar. Tu es là pour l’engueuler, pas pour baver devant elle.
— La grosse voix a besoin de te parler. Maintenant et pas devant témoin. Descends me voir quand tu es prête.
— Et où est-ce que je vous trouve ?
— Dans la grande salle à manger.
— À vos ordres, monsieur le Viking, soupire-t-elle en me tournant déjà le dos.
Je ne peux détacher mon regard de sa chevelure qu’elle a relâchée alors que sa camarade de chambrée ferme la porte et je descends en me disant qu’une fois encore, j’ai manqué d’autorité parce que c’est moi qui vais me retrouver à attendre et elle qui va venir quand bon lui semblera. C’est pas gagné, cet entretien, je pense. Pourquoi je perds toute ma superbe devant cette femme ? Lorsqu’enfin elle me rejoint dans la salle à manger, ma patience est à bout et je m’emporte à peine est-elle entrée.
— Il était temps. Tu crois que je n’ai que ça à faire d’attendre ? Tu faisais quoi ?
— Je me réveillais et me préparais. Pensez-vous vraiment qu’il suffit d’une minute à une femme pour ressembler à ça ? me demande-t-elle en faisant un tour sur elle-même avant de faire une révérence, une moue taquine sur le visage.
Je soupire parce qu’elle a raison, elle est splendide, encore plus qu’au réveil. Elle a tressé ses cheveux et cela lui donne un charme fou. Et il faut que je me fasse violence pour garder ma mine sévère.
— Passons. Par rapport à hier soir, il ne faut plus que ça se reproduise. Les règles sont les règles, compris ?
— Oh… Très bien, c’est vous qui décidez après tout, nous ne sommes que vos sous-fifres sur nos propres terres.
— Des sous quoi ? Je ne parle pas d’argent, je parle des visites à ton frère, le soir. Ce n’est pas possible.
— Des sous-fifres, des… esclaves correspondrait davantage, d’ailleurs, sous-fifre est encore trop gentil. Et j’ai compris pour mon frère. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi nous n’avons pas le droit de nous voir. C’est totalement ridicule.
— C’est comme ça. Les femmes d’un côté, les hommes de l’autre.
— C’est comme ça que ça fonctionne, chez vous ? rit-elle. Rassurant, au moins, nous ne verrons pas débarquer vos gosses puisqu’il n’y aura pas de génération suivante.
— Mais non ! Ce n’est pas ce que j’ai dit. Vous êtes prisonniers, donc séparés, c’est tout. Et arrête de toujours tout critiquer ! m’énervé-je alors qu’elle garde son sourire mutin qui me ferait presque oublier pourquoi je voulais la voir.
— Bien, monsieur. C’est uniquement pour ça que vous vouliez me voir ?
Non, c’est aussi parce que j’ai envie de te prendre, là, sur la table, mais je ne vais quand même pas lui sortir ça.
— Oui, maugrée-je, en colère contre moi-même de ne pas avoir su mener cet entretien comme je le désirais. Au travail !
— C’est toujours un plaisir de discuter avec vous, sourit-elle en faisant une nouvelle révérence. Est-ce que je peux vous demander quelque chose avant de repartir au bagne ?
— Au quoi ? J’ai pas le temps pour des questions, moi… Enfin, si, vas-y. Je t’écoute.
— Quel est votre prénom ? me demande-t-elle alors qu’une rougeur apparaît sur ses pommettes.
— Mon prénom ? Einar, dis-je sans vraiment réfléchir. Mais… pourquoi ça t’intéresse ?
— Vous connaissez le mien. Nous serons donc égaux sur au moins un point, comme ça. Einar… Ça sonne moins bien que la Montagne, mais j’aime bien.
Je n’ai pas le temps de lui demander ce que la montagne vient faire dans l’histoire qu’elle est déjà sortie de la pièce, ne laissant qu’une légère odeur florale que je hume sans même m’en rendre compte. Et je me fustige de la façon dont elle me mène en bateau. Non seulement, je n’ai pas l’impression d’avoir réussi à lui rappeler l’importance de respecter les règles mais en plus, c’est elle qui s’est mise à poser des questions. Tu parles d’un entretien de recadrage. Pathétique.
Je finis par sortir de la salle à manger et passe le reste de la journée à superviser les différents travaux et à améliorer la répartition des tâches entre tous les villageois présents. Tout n’est pas encore parfait mais ça semble fonctionner de mieux en mieux. Je me rends compte que plus on leur laisse d’initiative, plus ils retrouvent leurs anciens automatismes et sont efficaces. Mon frère n’approuverait pas mais mon côté pragmatique me fait me dire que si ça fonctionne, pourquoi faire autrement ? Et au moins, cette agitation m’occupe l’esprit et me permet un peu de penser à autre chose qu’à Clothilde et à son joli sourire mutin.
Lorsque la journée se termine, je fais un dernier tour de la propriété pour m’assurer que tous les prisonniers sont bien rentrés chez eux et que nos hommes sont à leur poste. On n’a pas l’habitude de ce genre de situations, où l’on cohabite avec l’ennemi, mais je sens bien que si je ne maintiens pas un peu l’ordre et la discipline, les barrières vont vite tomber et certains vont rapidement oublier que l’on est là pour récupérer un maximum de richesses, quel que soit le prix à payer pour ceux chez qui nous sommes venus.
En arrivant devant le cellier, je suis surpris d’entendre des bruits, comme une plainte. On dirait que quelqu’un est en train de maltraiter une femme et mon sang ne fait qu’un tour. J’ai interdit toute maltraitance et le scélérat qui se permet un tel acte de barbarie va vite voir de quel bois je me chauffe. Je vais être sans pitié. Sans plus attendre, j’ouvre en grand la porte et tombe sur une scène à laquelle je ne m’attendais pas. Runolf, pris dans son élan, n’a même pas remarqué que j’ai ouvert la porte. Ses braies sur les chevilles, ses fesses blanches à l’air, il est en train de besogner une villageoise qui, loin d’avoir l’air martyrisée, semble quasi extatique. Ses yeux se posent sur moi et cela semble l’exciter davantage car ses gémissements se font plus forts sous les coups de butoirs de mon ami qui reste concentré sur son étreinte. C’est un peu malsain comme situation, un peu voyeur, mais je n’arrive pas à détacher mon regard du couple et mon esprit divague en m’imaginant faire de même avec Clothilde. C’est en pensant à elle que le mot “règles” me revient à l’esprit et je retrouve un peu mes esprits.
— Runolf ! explosé-je. Tu crois que tu fais quoi, là ? On a dit qu’on évitait au maximum les contacts amicaux avec l’ennemi !
Le pauvre est stoppé net dans son action et se retourne tout penaud, son sexe bandé qu’il tente de dissimuler entre ses mains. La Nature l’a bien doté et je comprends mieux le plaisir que prenait sa partenaire jusqu’à mon interruption inopinée.
— Elle était consentante et elle me chauffe depuis deux jours, soupire-t-il. Je… Désolé, mais tu l’as vue, aussi ?
Je jette un oeil vers la jeune femme qui effectivement a tout ce qu’il faut où il faut. Et clairement, elle a l’air aussi frustrée que lui. Une petite voix me dit qu’il faut que j’insiste et que je fasse respecter les règles, mais qui suis-je pour empêcher deux adultes consentants de frolatrer ?
— Fais vite, alors. N’oublie pas que tout le monde doit être dans sa chambre avant six heures. Et soyez discrets, sinon vous allez attirer les foudres des Dieux sur nous !
Je n’ai pas le temps de finir ma phrase que Runolf s’est déjà retourné et a repris son assaut comme si de rien n’était. Je referme la porte sur eux en me disant que j’ai quand même réussi à leur rappeler la règle et que je n’ai pas cédé sur l’heure de retour dans la chambre. C’est déjà ça, non ?
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