17. Invitation difficile à refuser

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Clothilde

Il fait nuit noire, ce soir, et ce n’est pas pour m’arranger. Ou peut-être que si, je ne saurais dire. Toujours est-il que vu l’heure avancée de la nuit, mes chances de croiser un barbare sont minimes, du moins je l’espère alors que je me glisse hors de la chambre où Mélisande dort du sommeil du juste. Emmitouflée dans ma cape, ma capuche sur la tête, je descends aussi silencieusement que possible le grand escalier en bois, attentive à chaque bruit ou mouvement qui pourrait trahir la présence d’une autre personne.

Cet après-midi, le palefrenier est venu en cuisine pour récupérer de quoi rafraîchir les travailleurs occupés à l’extérieur, dont ceux qui prennent soin de mes vaches, mes brebis et mes poules. Autant dire qu’ils ont tout intérêt à être en forme et à ne pas malmener mon bétail. Moi, je suis reléguée à la maison, aux tâches ménagères et à la préparation des repas, comme toute bonne femme, plutôt que d’aller me salir dans les près alentour. Mes animaux me manquent, je ne serai définitivement jamais une femme d’intérieur, moi qui ai grandi dans la boue et la fromagerie. Bref, le palefrenier m’a glissé quelques mots tout bas, m’informant que mon père allait bien et qu’il m’attendrait à l’extérieur du domaine, à la sortie du tunnel secret qui leur a permis, à Thibault, mes frères, ma soeur et lui, de s’enfuir sans prendre de risques et sans être repérés.

Voilà pourquoi je me retrouve à me cacher derrière un grand rideau d’une teinte rouge sang alors qu’un barbare passe dans le couloir, bougeoir en main, surveillant apparemment les allées et venues au rez-de-chaussée.

L’idée de revoir mon père m’emplit de joie malgré la peur de me faire prendre, et je reprends mon expédition dès que le Viking a tourné au bout du couloir. Le bureau de Thibault se trouve dans l’aile Est, que j’atteins sans trop de difficultés étant donné que personne n’est logé dans cette partie du château. La porte grince légèrement lorsque je l’ouvre et je m’arrête, retenant mon souffle, à l’écoute du moindre bruit de pas qui se ferait entendre.

Rassurée par le silence complet autour de moi, je referme doucement la porte en tentant d’éviter un nouveau grincement, me dirige à tâtons vers la bibliothèque comme me l’a indiqué le palefrenier, et tire l’un des meubles qui cache l’entrée du souterrain. Je palpe les murs jusqu’à trouver une torche que j’allume en soupirant de soulagement. Comme mon frère, je ne suis pas fan de la noirceur de la nuit, surtout dans un lieu qui m’est inconnu. L’ambiance est froide dans cet étroit couloir qui descend dans la terre, c’est quelque peu effrayant, mais je prends mon courage à deux mains et m’y enfonce, ne pensant qu’à mon père au bout du tunnel.

Il me faut quelques minutes pour parvenir à la sortie. Je monte l’échelle en bois qui débouche sur l’extérieur et sursaute en voyant une main apparaître sous mes yeux que je lève pour tomber sur le visage de mon père. J’attrape sa main et me hisse à l’extérieur avant de littéralement lui sauter dessus pour me blottir contre lui, telle une enfant qui a cauchemardé. Mon père m’étreint fermement quelques secondes avant de reculer et de prendre mon visage en coupe pour m’observer.

— Je vais bien. Comment va Isolde ? Et les jumeaux ? Où êtes-vous cachés ? Est-ce que vous allez bien ? le harcelé-je avec précipitation.

— Bonjour ma Chérie ! Enfin, je te retrouve ! Tout le monde va bien, ne t’inquiète donc pas ! C’est toi qui es aux mains des Vikings. Je suis content de voir que tu as l’air d’aller bien.

— Ça va… Ils nous traitent relativement bien. Je n’arrive pas à croire que Thibault n’ait même pas tenté de défendre le château. Il y a laissé tous ses servants !

— Oui, il a préféré partir, répond mon père de manière neutre. Et nous emmener avec lui pour nous mettre à l’abri. Nous sommes dans la ferme Delsaut, tu sais, celle qui est un peu à l’écart. Les Vikings ne l’ont pas encore trouvée et je crois que nous y sommes en sécurité. Il faudrait que tu viennes nous rejoindre, je serais rassuré de te savoir avec nous.

Ma première pensée est de partir avec lui dans la seconde pour retrouver Isolde et les jumeaux, mais je repense à ce qu’a dit la Montagne. Je ne veux pas être responsable de la mort d’autres personnes en fuyant… Et puis, ce n’est pas tout : Maïeul est là, au château, et il pourrait faire n’importe quoi en sachant que j’ai disparu. Pourquoi croirait-il les Vikings s’ils lui disent que j’ai fui ? Le lui diraient-ils seulement ? Ou tueraient-ils mon petit frère pour me punir ?

— Je ne peux pas. Maïeul est ici, et les barbares nous ont prévenus qu’ils tueraient des gens si l’un de nous s’enfuyait.

— Mais si tu restes, il va finir par t’arriver malheur ! Viens, je m’arrangerai pour aider Maïeul aussi. Avec nous et Thibault pour te protéger, il ne t’arrivera rien, au moins. J’ai peur pour toi au milieu de tous ces barbares…

— Tu ne comprends pas. Si je m’enfuis, il va y avoir des morts par ma faute. Je… ils ont l’air corrects. Nous ne faisons que les servir, nous occuper du château, ils ne sont pas violents.

— Oui, pour l’instant, mais qui sait ce qu’il va se passer ? Et si quelqu’un d’autre s’enfuit et que c’est toi qu’ils décident de tuer ? Viens, Thibault a envie que tu nous rejoignes. C’est ton futur mari, il te protégera, lui.

— Je t’ai dit non, soupiré-je avant de lâcher un rire moqueur. Thibault n’est même pas là, son courage m’impressionne !

— Il fait attention à lui, pas comme ton frère qui fait des folies. Réfléchis, Clothilde, Je m’en voudrais s’il t’arrive quelque chose…

— C’est mon choix, tu n’as pas à t’en vouloir. Et je t’en conjure, arrête de défendre cet homme, grimacé-je. Dis aux petits qu’ils me manquent, et faites attention à vous, surtout. Les Vikings cherchent à piller un peu partout et explorent les alentours, alors il est possible qu’ils trouvent la ferme.

— J’espère qu’ils seront occupés à aller dans des endroits moins difficiles d’accès… Ne t’inquiète pas pour nous, ça va aller. Et fais attention à toi ainsi qu’à ton frère. Ne vous attirez pas d’ennuis, surtout. Je t’aime, ma Chérie.

— A bientôt, soufflé-je en le prenant dans mes bras. Je t’aime.

Je ne m’attarde pas et redescends dans le trou pour retourner au sein du château. Etrangement, je suis bien moins pressée de traverser ce tunnel pour retourner dans ma cage dorée que pour aller retrouver mon père.

Refaire le chemin inverse me fait douter de ma décision durant quelques secondes. Peut-être que les Vikings ne nous ont menacés de tuer plusieurs personnes en cas de fuite que pour nous effrayer et nous dissuader de partir ? Mais non, je ne peux tout quitter sans Maïeul, ce serait beaucoup trop risqué pour lui.

Le couloir est toujours aussi vide lorsque je quitte le bureau, et je longe les murs à pas de loup, à l'affût du moindre bruit. Je me fige en arrivant dans le hall, entendant des pas dans le couloir du premier étage, et suis mon premier réflexe en me précipitant vers la cuisine. Un peu dangereux, j’aurais pu croiser un barbare, mais j’ai la chance de mon côté.

Je me dépêche d’ôter ma cape et la glisse dans un placard avant de me verser un verre de lait, et sursaute en entendant une voix grave que je reconnais évidemment immédiatement. Encore et toujours lui… Ne dort-il jamais ?

— Tu n’es pas dans ta chambre ? gronde-t-il. Que fais-tu là ? C’est toi que j’ai entendue rentrer, non ? Où étais-tu ?

— Rentrer ? Je ne suis pas sortie. Je n’arrivais pas à dormir, alors je suis descendue boire un verre de lait. Rien de mieux pour trouver le sommeil.

— Il n’est pas autorisé de sortir. Ni de descendre. Ce n’est pas l’heure de boire du lait. Pourquoi désobéis-tu tout le temps ?

— Je ne désobéis pas tout le temps, mais ce lait provient de mes vaches et, quoi que vous en pensiez, je pense avoir le droit d’en profiter un minimum. Sans parler de ce château, qui appartient à mon futur époux et dans lequel j’aurais dû emménager dans quelques jours si vous n’aviez pas envahi nos terres.

Bon, mes raisons sont stupides, je n’en reste pas moins leur prisonnière, mais j’adore voir ses sourcils se froncer d’agacement… Je plaide coupable.

— Ce n’est pas une raison. Tes vaches ou ton époux, ça ne marche pas pour tout te permettre. Si tu continues, je vais t’enfermer dans ta chambre et tu ne pourras plus en sortir !

Je bois quelques gorgées de lait sans le quitter des yeux et m’assieds sur le rebord de la table en riant.

— Enfermez-moi, mais sachez que je connais beaucoup de façons de sortir de ce château. J’ai repéré les lieux pour pouvoir fuir mon futur mari si besoin. Alors, il faudrait que vous vous enfermiez avec moi dans la chambre, Einar. Ce serait bien plus intéressant comme ça, d’ailleurs, souris-je en lui faisant un clin d'œil, mutine.

— Fuir ton mari ? Mais… Et intéressant avec moi ? me demande-t-il, un peu surpris de ma façon de lui répondre.

— Futur mari, s’il vous plaît. Et votre arrivée m’a peut-être sauvé la vie, parce qu’il y a peu de chance que je sois obligée de l’épouser avant un petit moment et cela me ravit !

Je quitte la table et approche pour lui tendre mon gobelet de lait en lui souriant.

— Quoi, vous ne voulez pas vous enfermer dans une chambre avec moi, peut-être ? continué-je en me mordillant la lèvre.

— Je ne peux pas accepter cette invitation, grommelle-t-il en repoussant doucement ma main, visiblement gêné et mal à l’aise, ce qui me ravit et m’excite un peu trop pour être honnête.

— Ce n’était pas une invitation, j’aimerais autant ne pas rester enfermée dans une chambre. Mais quitte à l’être, autant que ce soit en bonne compagnie. Bonne nuit, Einar.

Je le contourne et quitte la cuisine pour regagner ma chambre. C’était moins une, il faut l’avouer. Heureusement que je le déstabilise, sans quoi il m’aurait sans doute punie sans hésitation. C’est assez troublant de voir la Montagne mal à l’aise, en vérité. Et je sais déjà que je vais en jouer.

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