18. The winner takes it all ?

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Einar

— Einar ! Einar ! Vite ! Je crois qu’on est attaqués !

Vite, je laisse tomber le râteau que j’ai en main et fonce vers la grande porte d’entrée massive qui effectivement est frappée avec force, comme si on voulait l’enfoncer.

— Runolf, vite, va chercher les autres ! Je ne sais pas qui se permet de frapper ainsi à la porte, mais je t’assure qu’ils vont regretter avoir osé nous défier ! Et ceux qui assurent la vigie vont m’entendre une fois qu’on aura maté ces villageois.

Je récupère mon épée et sans plus hésiter que ça, je fais glisser la grosse poutre qui sert à maintenir la porte fermée et m’élance en criant à peine la porte s’est entrouverte, avant de me stopper net dans mon élan. Devant moi, ce ne sont pas des villageois en pleine révolte que je trouve, mais Bjorn, goguenard, qui éclate de rire en voyant mon allure, bientôt rejoint par les hommes qui l’accompagnent. Mais pourquoi n’ont-ils pas été annoncés par les gardes sur la tour ?

— Bjorn ! Tu es déjà de retour ? finis-je avec agressivité autant pour qu’ils arrêtent de se moquer que pour me redonner un peu de contenance.

— Quoi, je ne t’ai pas manqué ? Nous sommes de retour, oui, comme tu le vois, et nous ne rentrons pas les mains vides ! Mais vu comment tu nous accueilles, je n’ai pas l’impression que nous soyons les bienvenus !

— J’ai eu fort à faire ici avec les villageois pour tout organiser, je n’ai pas eu le temps de remarquer que tu étais parti. Allez, entrez donc. Et le prochain qui se permet le moindre ricanement, je lui coupe la tête, compris ?

Immédiatement, le silence se fait mais mon frère ne se laisse pas impressionner et continue à se moquer.

— Trop aimable de nous inviter dans ta nouvelle demeure. Enfin, tu es sûr que tu ne vas pas tous nous trucider ? rigole-t-il. Il va falloir préparer une fête, j’espère que tes villageois sont en forme ! Enfin, surtout les villageoises. Il est temps qu’on s’amuse !

— Une fête ? Tu crois que c’est le moment ? grogné-je alors que Runolf est en train de courir avec les hommes qu’il a rameutés et qu’il s’arrête lui aussi net dans sa course en voyant Bjorn à mes côtés.

Les villageois rigolent devant le spectacle que nous leur offrons jusqu’à ce que je les fusille du regard.

— Rangez vos armes. Et vous, ramenez-nous à boire et à manger dans la salle de banquet. Et si ce n’est pas fait dans les cinq minutes, ça ira mal pour vous.

Je ne sais pas si c’est le ton de ma voix ou la peur de mes compatriotes qui sont revenus en nombre qui est efficace, mais nous sommes rapidement installés autour de la table. Les bouteilles de vin de pomme sont débouchées et nous sommes servis, avec la promesse que la nourriture arrive. Je me tourne vers mon frère qui semble avoir acquis encore plus d’autorité sur les hommes et qui assume désormais son rôle de leader sans aucun complexe. Il s’est assis en bout de table, à la place d’honneur, et semble apprécier se faire servir.

— Alors, vous avez eu du succès ? Tout s’est bien passé ? lui demandé-je. Je suis content de te voir en un seul morceau. Même pas une égratignure, hein ?

— Tout s’est très bien passé. S’allier avec le groupe de Vikings du coin pour leur permettre de posséder ce village était une bonne idée. Nous n’avons que trois pertes à déplorer, et les richesses rapportées sont conséquentes. Quant à moi, je suis entier. J’ai même profité d’une petite blonde absolument renversante sur place, rit-il en observant les villageoises occupées à nous servir. Il me faut une femme pour ce soir, mon frère.

— Pourquoi tu n’as pas ramené la blonde ? Je n’aurais pas dit non pour la rencontrer, tu sais ?

J’essaie de le calmer un peu mais il a l’air prêt à sauter sur tout ce qui bouge. Je lui verse un nouveau verre et souris quand il le boit cul sec avant de me répondre.

— Le Jarl du groupe l’a revendiquée. Je crois que l’entendre s’égosiller une partie de la nuit l’a un peu trop excité. Si j’avais su, j’aurais été moins performant, soupire-t-il avec un sourire en coin. Où est la petite brune hyper excitante ?

— De quelle petite brune tu parles ? demandé-je, inquiet de suivre ses pensées. Tiens, ressers-toi, pour célébrer ton retour ! A la tienne !

Je trinque et fais semblant de boire en même temps que lui mais me contente de tremper mes lèvres alors qu’il finit à nouveau son verre d’une traite.

— Tu sais, le petit lot qui nous est quasiment tombé dans les bras sur le chemin du château ! Tu n’imagines même pas combien de fois j’ai pu rêver de la prendre à quatre pattes, sa natte enroulée autour de mon poing. J’en aurais presque la gaule rien que de t’en parler, rit-il.

Ouais, eh bien, là, tu rêves, mon petit. Déjà, je ne suis pas pour forcer les femmes à satisfaire nos envies, mais là, elle, c’est chasse gardée. Enfin, je crois. Parce que vu comment je suis répugné à l’idée de savoir que mon frère veut s’en occuper, j’ai une sorte de fureur qui s’empare de moi. Il m’a déjà pris Rhadia au pays, il ne va pas me piquer celle-ci aussi. Piquer est un bien grand mot vu qu’il n’y a rien entre nous, mais quand même. Je ne vais pas lui laisser passer ses envies sur cette femme magnifique. Je réfléchis rapidement et réponds à mon frère en lui servant un nouveau verre.

— Ah oui, je vois de qui tu parles. C’est vrai qu’elle est bien mignonne. Buvons à sa santé, alors !

— Tu veux qu’on partage ? sourit-il. Une petite nuit entre frangins avec cette beauté, ça pourrait être sympa, non ?

— Non, moi, je ne partage pas. Attends, tiens, bois encore un verre, je vais envoyer quelqu’un la chercher.

— Je sais que j’ai une bonne descente, mais vas-y doucement, quand même ! Si je passe ma nuit à aller vider ma vessie, ce sera du temps de perdu pour profiter de son corps !

— C’est vrai ça ! rétorqué-je en lui servant néanmoins un nouveau verre qu’il boit presque automatiquement.

Je me lève pour signifier à un villageois d’aller chercher Clothilde, je ne peux pas vraiment faire autrement sans donner une bonne raison, mais j’espère que je vais trouver un moyen de la préserver des envies de mon frère.

— Elle arrive. Qu’avez-vous ramené d’intéressant ? demandé-je en me rasseyant près de lui.

— De l’or, des bijoux, de la nourriture. Le Jarl a été généreux pour nous remercier de notre aide. Bon, on aurait sans doute eu bien plus en y allant seuls, mais au moins, il n’y aura pas de tension entre eux et nous tant que nous ne pillons pas des villages sous leur contrôle.

— Tu es vraiment un fin stratège ! Bravo !

Je trinque à nouveau et j’ai le plaisir de le voir vider un verre de plus. Avec tout ce qu’il boit, même s’il tient bien le coup, ça devrait finir par l’assommer, non ? En tout cas, mon cerveau carbure pour trouver une solution et je me dis que j’analyserai plus tard pourquoi je veux tant préserver Clothilde. Peut-être parce que je n’ai jamais vu une aussi jolie femme qu’elle de toute ma vie ? Rien que quand elle entre dans la salle, j’ai l’impression que toute la pièce s’éclaire. Seuls les yeux brillants de désir de mon frère me ramènent à la réalité de la situation. Je n’ai pas le temps de réagir que déjà il l’attire sur ses genoux. Elle essaie de résister mais il a une poigne ferme et la maintient sans souci. Il enfouit sa tête dans son cou et j’ai des envies de meurtre qui me prennent. Surtout quand elle m’adresse ce regard suppliant qui me fait fondre.

— Attends, Bjorn, ne va pas trop vite. Tu sais bien qu’il faut profiter des bonnes choses, voyons ! Et puis, dis-je en réfléchissant aussi vite que je le peux pour la sortir de ses grosses pattes, Clothilde est une danseuse hors pair. Tu ne veux pas découvrir ses talents ? Tu verras, c’est… super excitant.

Je lui adresse un petit haussement d’épaule d’excuse alors qu’elle semble toujours en furie et perplexe d’avoir entendu son nom dans ma bouche, mais mon frère, bien éméché, écarte les bras et elle en profite pour se relever et s’échapper de son étreinte.

— Tu sais qu’une bonne danseuse vaut le coup au lit ? J’ai hâte de la voir se déhancher sur moi, ricane-t-il sans la lâcher du regard.

— Tiens, bois un coup ! Cela te mettra en forme pour le spectacle. Clothilde, continué-je en normand, tu nous montres ce que tu sais faire, toi qui es une danseuse exceptionnelle ?

J’essaie d’encourager la jolie brune en faisant une petite moue désolée mais elle a l’air furieuse. Je ressers mon frère qui boit encore une fois tout d’une traite. Cette coupe semble lui donner un petit coup et je fais signe à Clothilde de se mettre à bouger.

— Allez, une petite danse et après…

Je ne sais pas comment finir cette phrase, mais je n’en ai pas besoin car la Normande commence à déhancher un peu et j’en perds mes mots. Elle est vraiment superbe et a une grâce folle. Ses mouvements sont hypnotisants et je constate avec bonheur que mon frère, qui a commencé à comater, ne tarde pas à fermer les yeux et à se mettre à ronfler. Vite, j’en profite pour attraper le bras de la danseuse et l’entraîne à ma suite.

— Désolé, Clothilde. C’est tout ce qui m’est venu en tête pour t’enlever de ses bras. Je…

— Ça va, j’ai compris. C’était ça ou passer à la casserole, marmonne-t-elle. La danse, c’était pour lui ou pour vous ? Parce que vous aviez le même regard que lui… en moins vitreux, j’en conviens.

— Le même regard ? Mais… ce n’est pas la question ni le moment de parler de mon regard. Il faut que tu partes. Je te libère, tu peux aller rejoindre ta famille, ça t’évitera de faire la cuisine pour lui, avec ou sans casserole.

— Quoi ? Mais… comment allez-vous justifier mon absence ? Je ne veux pas que d’autres meurent à cause de moi !

— Eh bien, si je te libère, il n’y aura pas de conséquences. Et ça évitera qu’il puisse te toucher à son réveil. Parce qu’il ne va pas t’oublier, tu sais ?

Je suis pathétique, là, je suis en train de libérer une prisonnière juste parce que je ne veux pas que mon frère fasse ce qu’on fait à toutes les femmes qu’on soumet à notre autorité. Je divague totalement. Mais que puis-je faire si je perds tous mes moyens devant ces si jolis yeux ?

— En fait, non, je ne peux pas te libérer, soupiré-je. Mais je peux t’envoyer en mission. Les vaches, elles seraient mieux dans ta ferme, non ? C’est bien celle qui est un peu à l’écart ? Je vais t’envoyer là-bas avec Runolf et sa petite femme. Ça te dirait ? Si tu me promets de ne pas t’enfuir, ça peut être une solution.

— Qu’est-ce qui l’empêchera de venir à la ferme ? Et vous ne serez pas là pour le faire boire…

— Chaque chose en ce temps, non ? Et il a d’autres chats à fouetter que d’aller visiter une ferme.

D’autres chattes aussi, sûrement. Il n’est pas difficile, Bjorn, et je crois que n’importe quelle femme pourrait le satisfaire, même s’il semble faire une fixette sur Clothilde, pour mon plus grand déplaisir.

— Pourquoi vous faites ça ? me demande-t-elle après m’avoir observé quelques secondes en silence.

— Tous les Vikings ne sont pas des brutes sanguinaires ? Et… j’aurais l’impression qu’on…

Je cherche mes mots, c’est horrible et elle ne va sûrement rien comprendre, mais je fais un effort et je continue ma phrase.

— J’aurais l’impression qu’on salit un bijou en faisant ça. Tu mérites mieux que de finir dans le lit de mon frère. C’est… une brute ? C’est ça qu’on dit, non ?

— Oui, c’est ce qu’on dit, et ça ne donne pas vraiment envie de finir dans son lit… Je… Merci, Einar.

— Tu pars demain à l’aube. Va te coucher et surtout ne sors pas de ta chambre avant le départ. Je vais tout organiser avec Runolf. Bonne nuit, Clothilde.

— Bonne nuit, souffle-t-elle en s’éloignant avant de faire demi-tour pour poser ses lèvres sur ma joue.

Sentir ses lèvres sur ma barbe me donne un frisson qui parcourt tout mon corps. J’ai envie de la serrer contre moi, de faire toutes ces barbaries que mon frère voulait lui imposer, mais je me retiens. Je me contente de la regarder partir de son pas léger et aérien. Telle une fée qui disparaît dans la nuit, elle s’enfonce dans l’obscurité pour retrouver sa chambre. Elle va me manquer en allant à la ferme, mais c’est la seule façon de lui éviter de finir dans le lit de Bjorn. Et encore, même comme ça, il va falloir que le destin m’aide un peu. Ou que j’aide le destin. Où pourrais-je envoyer mon frère demain pour l’occuper loin de Clothilde ?

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