19. Loin des yeux, loin des bêtises

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Clothilde

Je me glisse hors du lit en silence et tâtonne sur la table de chevet pour trouver de quoi allumer le bougeoir en bâillant. Le soleil n’est même pas encore levé que je dois m’habiller. Le point positif, c’est que je quitte le château de Thibault et donc tous ces barbares aux regards insistants, qui passent leur temps à beugler dans une langue que je ne connais pas, à boire et manger sans se soucier de nos ressources… Bref, je ne peux pas dire que partir d’ici m’attriste réellement, si ce n’est en ce qui concerne mon frère. Et peut-être un peu la Montagne aussi, mais il n’en saura jamais rien, hors de question que je me dévoile.

Je descends rapidement à la cuisine en constatant que personne ne se trouve dans les couloirs et récupère ma cape avant de me préparer un lait chaud et quelques fruits que je grignote dans le calme de la pièce, posée près de la cheminée qui crépite encore.

Je me demande si le plan tient toujours ou si Einar est revenu à la raison et va finalement me garder ici. J'espère que ce n’est pas le cas parce que son frère me fait vraiment peur. Je veux bien jouer la fille fière, mais son regard posé sur moi et ses caresses m’ont fait frissonner… et pas de plaisir ! L’idée de m’éloigner de lui me ravit plus qu’autre chose, mais être éloignée de Maïeul, en revanche… sans parler de Mélisande, Anne et ses enfants. On peut dire qu’être retenues ensemble nous a rapprochées.

Je sursaute en entendant la porte grincer dans mon dos et me retourne pour tomber sur la Montagne. Il est en train de nouer ses cheveux haut sur sa tête et se fige en me voyant. Son maillot de corps est accroché à sa taille, à moitié rentré dans son pantalon, et j’ai tout le loisir d’observer son torse musclé et sublimé par de nouveaux tatouages que je découvre à la lueur de la bougie qui trône sur la table près de lui. Je ne manque pas non plus la fine toison brune qui s’épanouit sur son torse et descend jusqu’à se perdre sous le tissu qui moule ses hanches.

Je m’ébroue mentalement et relève les yeux pour croiser son regard. Je dois rougir comme pas possible et je remercie le peu de lumière présente dans la pièce qui masque sans doute ma réaction physique.

— Bonjour, soufflé-je, presque intimidée alors qu’il enfile son haut sans me quitter des yeux.

— Bonjour. Tu n’as pas encore préparé les vaches ? Tu as besoin d’aide ? Je… je préfèrerais que tu restes ici, près de moi, mais il vaut mieux que tu partes, je pense.

— Vous pensez vraiment que Runolf pourra me protéger si votre frère vient à la ferme pour… enfin… vous voyez, quoi.

— On peut faire confiance à Runolf, on ne dirait pas comme ça, mais il en impose quand il veut. Tu me promets que tu ne vas pas tenter de t’enfuir, par contre ? J’ai ta parole ?

— Vous l’avez. Je ne veux pas mettre mon frère en danger… Je veux bien de l’aide pour les vaches, oui. Vous avez déjà géré un troupeau ?

— Je suis fermier, moi aussi. Enfin, quand je ne fais pas la guerre. Allons-y alors, avant que les autres ne se réveillent.

J’acquiesce et le suis dans les couloirs du château. Retrouver l’air frais sans me cacher ou simplement ouvrir les fenêtres est plutôt agréable, mais pas autant que de pouvoir à nouveau approcher mes bêtes. J’ai presque envie de les câliner, et je ne me gêne pas pour les flatter de quelques caresses et tapes sur le derrière pour les rassembler et les bouger. Elles sont plutôt dociles, habituées au traitement que je leur inflige. Et j’observe le Viking à la dérobée, qu’elles fuient dans un premier temps avant de se laisser approcher avec méfiance.

— Vous venez jusqu’à la ferme avec nous ou nous devrons faire sans vous ?

— Non, moi, je vais gérer mon frère à son réveil. Il va avoir mal à la tête, je pense.

— Je ne vais pas le plaindre, soupiré-je en ouvrant l’enclos. Encore merci pour hier soir.

— Nous ne sommes pas tous des brutes, grommelle-t-il en me tournant le dos.

— Je ne serais pas en train de vous remercier si je pensais ça.

— Pas besoin de merci. Je reste un étranger, un sauvage, sans foi ni règle.

C’est faux, mais je ne le lui dirai pas. Évidemment, c’est un étranger qui parle notre langue, un sauvage qui nous retient captifs… mais il vit quand même avec certaines règles et certains principes. Sans cela, j’aurais sans doute fini troussée par son frère, hier soir, et je ne serais pas sur le départ pour regagner ma ferme.

— Si ça vous plaît de vous décrire de la sorte… Vous cherchez à vous rendre plus dur que vous ne l’êtes ? le taquiné-je, une pointe de curiosité dans la voix malgré tout.

— Je suis dur, rétorque-t-il d’une voix forte. Je suis un Viking et rien ne pourra jamais changer ça. Ce n’est pas parce que je te laisse partir que tu dois penser le contraire. C’est juste que tu seras plus utile au sein de ta ferme qu’ici.

— Je vois. Donc éviter que votre frère me baise était simplement parce que vous préférez me garder intacte pour quand vous aurez décidé d’abuser de moi, c’est ça ? le provoqué-je.

— Parce que ça te plairait de faire une baise à un Viking ? me renvoie-t-il du tac-au-tac, en martyrisant notre langue.

— Je n’ai pas vraiment envie qu’on abuse de moi, non. Et puis, mon père aurait envie de vous tuer, je suis promise à un homme, soupiré-je en faisant avancer la vache qui est en tête du troupeau avant de siffler les autres.

— Ton père n’est pas là pour te protéger. Je n’ai même pas peur, se moque-t-il gentiment en m’emboîtant le pas.

— Pourrez-vous dire à mon frère que je suis partie à la ferme ? Je… je ne voudrais pas qu’il prenne peur en voyant que je ne suis plus là et fasse n’importe quoi.

— Toujours ton frère… Tu y tiens vraiment, on dirait ? Je vais faire attention à lui, sauf s’il fait une bêtise.

— Bien sûr que je tiens à lui, c’est mon petit frère. Si on ne prend pas soin de ses proches… que nous reste-t-il ? Pour quelqu’un de sauvage et sans foi ni loi, vous êtes quand même quelqu’un de bien, semble-t-il.

— Il faut qu’on arrête de parler. Tu traînes trop, là, et mon frère va finir par débarquer. Surtout que les vaches ne sont pas discrètes.

— Elles sont heureuses de retrouver leur liberté, elles n’en feront que du meilleur lait ! souris-je alors que Runolf approche en terminant de se vêtir, apparemment en retard.

Il est suivi de près par une villageoise que je reconnais comme étant la fille du boulanger, Marguerite. Elle a les joues rosies et tente en vain de remettre le haut de sa robe en place, ce qui me fait sourire.

Les Vikings échangent entre eux quelques secondes et je me demande bien de quoi ils peuvent parler. Leurs regards passent du troupeau à Marguerite et moi, Runolf acquiesce, la Montagne parlote encore un peu, et je me demande comment nous allons pouvoir converser avec son comparse qui ne nous a jamais parlé que dans sa langue. Voilà qui promet pour la suite, mais je ne dis rien, trop heureuse de quitter le château, quand bien même j’ai un petit pincement à l’idée que je ne pourrai plus taquiner Einar et le pousser dans ses retranchements.

Je joue tout de même avec le feu une dernière fois quand il nous fait signe de partir en me hissant sur la pointe des pieds pour lui glisser un nouveau “merci” accompagné d’un baiser sur la joue, mais je me mets en route avant qu’il puisse me répondre.

Sur le chemin qui mène à la ferme, Runolf est joyeux comme un enfant. Il sifflote, passe d’une vache à l’autre pour les flatter, à croire qu’il se sent plus à l’aise en bon fermier qu’en guerrier viking. Marguerite, quant à elle, l’observe avec une certaine tendresse et, si j’ai bien entendu les rumeurs à leur sujet, ils fricotent depuis le premier jour ou presque. Voici dix jours que les barbares ont bousculé nos vies et elle vit d’amour et d’eau fraîche avec l’un de ses envahisseurs…

— Comment échanges-tu avec lui ? lui demandé-je finalement après m’être approchée, curieuse.

— Tu veux avoir quel genre de détails ? glousse-t-elle. Il y a plein d’échanges entre nous !

— Je te parles de discussions, soufflé-je en levant les yeux au ciel. J’ai bien compris que tous les deux, vous… Enfin, tu sais, quoi. Mais pour le reste ?

— Oh oui, Runolf est un amant formidable, tu sais ? Il a une façon de me prendre qui me rend folle. Pas besoin de mots pour ça. Et sinon, je crois que celui qui te plaît bien, il lui a appris quelques mots. Moi aussi. J’essaie d’apprendre un peu leur langue. On se comprend avec des gestes… Et quand on n’y arrive pas, je l’embrasse et là, il devient fou furieux. Quel homme passionné, si tu savais, conclut-elle, songeuse, les yeux tournés vers notre compagnon de voyage.

Je détourne le regard, un peu gênée qu’elle me parle de sa vie intime mais surtout mal à l’aise qu’elle ait pu comprendre que je n’étais pas indifférente en ce qui concerne Einar. J’ai moi-même du mal à l’admettre. Après tout, il fait partie de nos envahisseurs. Par sa faute et celle de ses congénères, je suis séparée de ma famille et obligée de leur obéir.

— Il ne me plaît pas, marmonné-je. J’aime surtout le pousser à bout, en vérité.

— Oh arrête, je suis sûre que si tu lui faisais des avances, ce serait comme moi avec Runolf. Il te sauterait dessus. Et… Wow, quoi. J’ai jamais ressenti ça avec aucun homme d’ici, moi. Il a une façon de me caresser et de faire l’amour, je ne peux pas lui résister. Quant à dire qu’il ne te plaît pas, tu fais des bisous à tous les hommes qui ne t’attirent pas ? C’est une drôle de façon de le pousser à bout, ça.

— Bien sûr que non, je ne fais pas ça avec tous ! C’est juste que… ça le déstabilise. A chaque fois, d’ailleurs. C’est plutôt agréable, ris-je. J’ai été une peste avec lui, mais il me laisse tout passer ou presque, je t’assure. Je suis certaine qu’il ne sait pas comment agir avec moi.

— Ou alors, il a juste envie de te mettre dans son lit aussi et il essaie de t’apprivoiser pour que tu ne t’enfuies pas avant qu’il ait pu conclure. Et tu aurais tort de te priver. Il a une de ces carrures… Et ses grandes mains doivent faire des miracles.

C’est vrai qu’il est beau garçon. Évidemment qu’il m’attire, même si j’en ai honte. L’idée de perdre mon pucelage avec lui me semble bien plus excitante qu’avec Thibault, mais il reste un Viking, je ne peux pas… Le sexe avant le mariage est un péché, mon père ne me pardonnerait jamais de m’être souillée avec un autre homme que mon promis. Mon bonheur ne passe pas en priorité, il faut que je sois lucide à ce propos… D’ailleurs, rien que pour ces pensées impures, je mériterais une punition… Quand bien même elles sont très tentantes et agréables, j’en conviens. Oui, Einar m’attire, mais je dois garder cela pour moi et cette attirance ne peut pas mener à plus que la relation que nous entretenons à l’heure actuelle.

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