22. La paysanne dans toutes ses pensées

8 minutes de lecture

Einar

Je fais le tour des nouvelles barricades en bois que nous avons montées autour du domaine que nous occupons. Maintenant que nous les avons terminées, je me sens plus en sécurité ici et je me dis que nous avons bien travaillé. Et puis, cela a occupé les prisonniers et leur a enlevé toute velléité de se révolter ou de s’enfuir. C’est toujours ça de pris. J’aimerais pouvoir célébrer cette réalisation avec quelqu’un mais je réalise que je suis seul et que je n’ai personne avec qui partager cette petite victoire. Quel idiot je suis d’avoir envoyé au loin Runolf et surtout la jolie Clothilde !

Je rumine cette décision depuis que je l’ai prise et ce ne sont pas les quelques fins de soirées où j’ai réussi à me libérer pour aller les voir qui atténuent ma frustration. J’ai l’impression que le seul endroit où je voudrais être, c’est cette ferme qui surplombe la rivière. Et si je veux être tout à fait honnête, ce n’est pas parce que Runolf y est. C’est parce que la brune que j’y ai envoyée m’a complètement envoûté. Et je crois que je suis encouragé dans ce sentiment par le fait qu’elle ne me rejette pas et qu’il me semble voir au contraire des signes que je l’intéresse et qu’elle me trouve à son goût. Il y a quatre jours, la dernière fois que je me suis présenté, j’ai eu l’impression qu’elle m’attendait et qu’elle avait fait un effort particulier pour sa chevelure. Je ne sais pas trop comment elle a fait, mais son petit chignon d’où quelques mèches rebelles dépassaient était vraiment trop mignon. Et tous ces mots qu’elle apprend, je suis touché par cet effort qu’elle fait pour parler notre langue. Je me demande si elle fait vraiment ça par ennui et opportunité ou si c’est parce qu’elle est un peu intéressée par moi, comme j’ai la folie de le penser lorsque je tourne et me retourne sur ma couche, dans la discrétion de la nuit.

Je suis distrait de mes pensées tristes et moroses par un cavalier viking qui débarque au domaine avec des nouvelles fraîches du front. Immédiatement, je vais le voir. Je m’attends à chaque fois à des nouvelles catastrophiques, à apprendre la mort de mon frère au combat mais pour l’instant, même si les affrontements traînent en longueur, tout se passe plutôt bien pour nos hommes qui sont nettement plus entraînés et mieux formés que nos adversaires.

— Et alors, Cnut, quelles nouvelles ? Bjorn revient bientôt ?

— Il faut qu’on rassemble davantage d’hommes rapidement. Les villageois sont coriaces, on doit leur mettre la pression, Einar, sinon ça va s’éterniser.

— Des renforts ? Mais j’envoie qui, moi ? Il faut bien qu’on tienne le village aussi…

Il m’agace mais il n’a pas tort. Et ici, c’est tranquille, on devrait pouvoir tenir les prisonniers avec un peu moins de gardes. C’est un peu risqué, mais bon, il faut savoir où mettre ses forces.

— On va voir qui va repartir avec toi, Cnut. Mais ça ne sera pas plus que quatre ou cinq hommes. On ne peut pas se permettre plus… Va donc te reposer un peu. Tu viens me voir quand tu es prêt à repartir.

Je profite de son repos pour organiser les choses et désigne cinq des hommes restés sur place pour repartir avec lui. Cela m’occupe un peu mais pas assez pour que mon esprit ne retourne sans cesse vers Clothilde. J’ai été con de l’éloigner ainsi alors que mon frère n’est même pas présent. Elle me manque, c’est fou. Ce n’est vraiment pas normal de ressentir ça pour une femme que je ne connais pas plus que ça. Mais tout me plaît chez elle. De son petit rire à ses formes généreuses en passant par le sacré caractère qu’elle démontre au quotidien. Il faut que j’aille la voir, ce soir. Et même cet après-midi, si j’y arrive. N’écoutant que cette envie, j’houspille un peu Cnut qui voulait continuer à se reposer et rassemble les hommes qui vont aller rejoindre Bjorn.

— Que les Dieux vous protègent ! Et ramenez-nous Bjorn et les autres rapidement ! Bonne route !

Enfin, rapidement, pas trop, ça me va aussi, mais je ne peux dire autre chose à mes camarades. Ils ont à peine disparu de notre vue que je retourne à l’étable et que je prépare un cheval. Avant de partir, j’indique à un des hommes où je vais et je fonce à travers champs pour retrouver au plus vite la jolie brune qui occupe toutes mes pensées. C’est un peu fou et déraisonné de fonctionner ainsi, mais c’est comme si j’étais poussé par une force qui me dépasse. Il faut que je la voie, un point c’est tout.

Lorsque j’arrive à la ferme, je constate une nouvelle fois que ce que m’a remonté Clothilde est vrai. Runold m’accueille, ses braies à peine remises et les joues toutes rouges. Visiblement, je n’étais pas le seul à chevaucher ma monture.

— Tout va bien, l’ami ? lui demandé-je en descendant de mon cheval. On dirait que tu besognes beaucoup mais que ça ne donne pas un rendement fou à la ferme, me moqué-je. Tu vas faire quoi quand tu l’auras engrossée ?

— Einar, content de te voir, encore ! me lance-t-il en souriant en coin. On verra en temps et en heure, non ? Pour l’instant, je profite, et crois-moi, elle adore ça.

— Tu as bien raison, mais n’oublie pas que tu dois faire le nécessaire pour que la ferme nous rapporte le plus possible. Clothilde n’est pas là ? Ce n’est pas que je n’aime pas ta tête, mais la sienne est quand même plus agréable à regarder. Ces normandes, elles nous font tourner la tête, hein ?

— Sa tête ou autre chose ? rit-il. Elle est partie au champ… derrière la maison. Fais attention, on voit tout depuis les fenêtres, l’ami !

— Je n’ai rien à cacher, moi. Tu t’occupes de mon cheval ? Je passe la soirée avec vous et comme d’habitude, je repars avant le coucher du soleil.
— Bien, chef ! Je m’occupe de la bête, compte sur moi. On sera à la fromagerie, si tu nous cherches.

— Je frapperai fort avant d’entrer pour être sûr que vous soyez habillés ! A tout à l’heure.

Il éclate de rire et je ne perds pas plus de temps avant de faire le tour de la maison. Je me moque de ce qu’il peut croire. Vu son comportement avec Marguerite, il serait mal placé pour critiquer mon intérêt pour la jolie brune que j’aperçois de dos, penchée au-dessus d’un champ de panais. Je me fais la réflexion que même cette vue est agréable et que je ne dirais pas non à la voir ainsi mais sans ses vêtements. Immédiatement, mon corps réagit et je sens une érection poindre qui m’oblige à réajuster mes braies. Je m’approche d’elle et l’interpelle alors qu’elle ne semble pas avoir remarqué mon arrivée.

— Bonjour, au moins, il y en a une qui travaille, ici ! Tout va bien ?

— Mon Dieu, vous m’avez fait peur, rit-elle après avoir sursauté. Bonjour, Einar. Tout va bien, oui, j’avais envie de prendre le soleil aujourd’hui. Vous êtes arrivé bien tôt, un souci ?

— J’en avais assez d’être seul pour être honnête et j’avais besoin de compagnie. Tu as besoin d’un coup de main pour la récolte ?

— Je ne dis jamais non à des bras supplémentaires !

Elle se redresse un peu et je constate qu’elle a en effet chaud. De la sueur coule le long de sa joue et ses vêtements lui collent à la peau, soulignant encore plus ses formes généreuses. Qu’est-ce qu’elle est belle !

— Si je pouvais, j’enverrai plus de monde ici, mais je préfère venir moi-même. Cela me fait vraiment plaisir de te voir. J’espère que je ne te dérange pas…

Je ne sais pas pourquoi je me sens comme un jeune garçon qui ne sait pas comment agir devant la fille qu’il convoite. C’est fou de perdre ainsi mes moyens en sa présence, surtout que ça a l’air de follement l’amuser d’avoir un tel effet sur moi.

— Si je vous dis que vous et vos hommes me dérangez, vous allez repartir sur vos navires ? me demande-t-elle, un petit sourire aux lèvres.

— Non, ça ne marche pas comme ça, souris-je en retour. Et puis, tu ne voudrais pas priver Marguerite de son cheval… Euh non, étalon ? C’est comme ça qu’on dit, non ?

— Oui, on dit étalon, rit-elle. Marguerite s’en remettra, mais je ne suis pas sûre que ce sera le cas de Runolf. Il semble… totalement sous le charme. Il la dévore constamment des yeux, c’est fou.

— Il faut dire que les femmes normandes, ça vaut le coup de les regarder, rétorqué-je en l’observant passer un linge sur le haut de sa poitrine et son visage pour essuyer un peu la sueur.

— Vous dites ça parce que vous n’avez jamais vu ma tante Jeanne, s’esclaffe-t-elle. Impossible de ne pas détourner le regard. Je l’adore, mais… elle fait vraiment peur !

— C’est parce que c’est toi qui as pris toute la beauté dans la famille, non ? Les autres doivent être ternes à côté de toi.

Mais qu’est-ce que je dis, là ? Je suis en train de lui faire des compliments comme si je cherchais à en faire ma partenaire. Si je la veux vraiment, je n’ai qu’à la prendre, non ? C’est ce que ferait n’importe lequel de mes camarades, c’est sûr. Mais je m’en sens incapable même si elle m’attire énormément. En tout cas, ce que je viens de dire a l’air de la perturber. Je suis content de l’avoir un peu décontenancée.

— Ma mère était sublime, me répond-elle finalement. Et ma petite sœur est déjà un bijou à douze ans. Croyez-moi, je suis loin de les égaler…

— Eh bien, j’ai du mal à y croire. Mais ce qui est important, c’est que c’est toi qui es là et que c’est un vrai plaisir de travailler à tes côtés. Par contre, tu as raison, il fait chaud, ajouté-je en enlevant ma chemise. Au travail.

— Oui… Vraiment très chaud, marmonne-t-elle en détournant le regard après m’avoir observé quelques secondes.

Je souris à sa réaction et me dis que peut-être que je ne la laisse pas indifférente. Ce serait formidable qu’elle me trouve à son goût et me laisse découvrir les merveilles qu’elle cache sous son vêtement. Mais bon, là, je m’avance et me fais des illusions. Ce ne sont que des chimères et je ne pense pas que Freyja m’accorde cette chance. La déesse de l’amour doit être trop occupée avec Runolf et sa belle pour s’attarder sur Clothilde et moi. Alors, pourquoi ça me fait tant plaisir de capter les petits regards qu’elle me lance à intervalles réguliers alors que je l’aide dans sa tâche ?

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0