25. Se faire comprendre

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Clothilde

Le plan était pourtant simple, non ? J’allais voir ma famille, profitais d’eux durant quelques heures, leur préparais un bon petit plat et je rentrais à la ferme avant que le soleil ne se couche. Comme promis à la Montagne, afin de pouvoir réitérer ma demande, de lui montrer qu’il peut avoir confiance en moi. Et puis, Thibault a pensé qu’il était maître de ma vie, il m’a interdit de repartir, a bloqué la porte je ne sais comment pour m’empêcher de fuir. Le pire, dans tout ça, c’est que mon père n’a rien dit ou fait pour m’aider. Il a laissé cet homme faire comme si nous étions déjà mariés, comme si m’entendre leur hurler dessus qu’ils allaient faire tuer Maïeul avec leur stupidité n’atteignait même pas ses oreilles, comme s’il était normal que je n’aie pas mon mot à dire.

Je caresse les cheveux d’Isolde et m’attèle à lui faire sa tresse dans un silence de mort. Forcément, avec mon esclandre, les petits pensent que je ne veux pas rester auprès d’eux. Du moins, les jumeaux. Ils me font la tête et, même s’ils sont adorables avec leur moue bougonne, ça me chagrine qu’ils ne parviennent pas à comprendre les raisons qui me poussent à vouloir repartir au plus vite.

Ce matin, Thibault est parti à l’aube en demandant à mon père de faire en sorte que je sois encore là lorsqu’il reviendrait. Ils pensaient sans doute que je dormais encore, mais je les ai entendus chuchoter durant un petit moment sans parvenir à tout comprendre. Tout ce que je sais, c’est qu’il était question du mariage et que, pour une fois, il semble que mon père n’ait pas voulu plier aussi aisément que d’ordinaire avec cet homme à qui il m’a promise.

Finalement, je me retrouve prisonnière dans ma propre famille et je n’apprécie pas plus que de l’être des Vikings.

— Et voilà, ma belle. Tu es très jolie, soufflé-je en posant un baiser sur son front. Qu’est-ce que vous faites de vos journées, ici ? Vous ne vous ennuyez pas trop ?

— Thibault et Papa nous font travailler dans le jardin. Et puis, on joue aussi. Thibault, il parle tout le temps de toi, tu sais ?

— Ah oui ? grimacé-je. Eh bien… s’il a le temps de parler tout le temps, il ne doit pas faire grand-chose de ses journées.

Je n’y peux rien, c’est plus fort que moi. Je n’ai aucune confiance en cet homme et il me terrifie plus que les Vikings. Enfin, sauf peut-être en ce qui concerne le frère d’Einar. Il m’a un peu parlé de lui, ces derniers temps, essayant de faire remonter mon estime pour lui, sans doute, ou de redorer son image. Il le voit de ses yeux de frère, ce qui est totalement différent de ma vision à moi, évidemment. Bjorn fait peur. Comme Einar, il a une aura qui dégage énormément de puissance, de confiance en soi, mais l’un inspire confiance quand l’autre pousse à la méfiance. Impossible d’oublier son regard sur moi le soir où il a voulu me faire sienne.

— Il ne parle pas tout le temps, mais il me dit que je lui fais penser à toi, que j’ai les mêmes yeux. C’est vrai ou pas ? Tu es bien plus jolie que moi, non ?

— Tu es magnifique, ma chérie. Nous n’avons pas besoin de nous comparer. Oui, il y a une ressemblance, mais nous sommes aussi très différentes et c’est ce qui nous rend uniques et qui participe à notre beauté.

J’essaie de faire bonne figure, mais savoir que Thibault louche sur ma soeur me fait froid dans le dos. Je n’arrive pas à me dire que c’est innocent et, soudain, l’idée de la laisser seule ici me fait peur. J’ose espérer que mon père surveille cet homme, Isolde est trop jeune, trop pure pour être convoitée ou pervertie par le regard d’un homme.

Homme qui entre à cet instant dans la maison. Je me retiens de soupirer de dépit, nous étions plus tranquilles sans lui, et moi particulièrement, parce qu’il approche et pose ses lèvres sur les miennes avec autorité. Je m’échappe en faisant sciemment tomber la brosse de mes mains.

— Où étais-tu ? demandé-je en faisant signe à ma sœur de rejoindre les jumeaux et notre père dehors.

— Eh bien, on n’est pas encore mariés et déjà tu me reproches de te délaisser ? Je te rassure, je n’ai pas envie de m’éloigner ! insiste-t-il en passant sa main sur ma taille. J’ai une bonne nouvelle pour toi.

— Ce n’est pas la question. Tu m’enfermes ici contre mon gré et tu t’en vas, je ne trouve pas ça très juste. A moins que tu me dises que je peux repartir à la ferme ? Ce serait une excellente nouvelle.

— Non, j’ai bien mieux que ça ! Je suis allé voir le curé et il arrive ! Nous serons bientôt mari et femme ! Ce n’est qu’une question d’heures ! C’est formidable, n’est-ce pas ? conclut-il en enfouissant sa tête dans mon cou pour y déposer ses lèvres immondes.

Je reste un instant sidérée avant de le repousser avec toute la force dont je suis capable. Surpris, il trébuche et se rattrape contre la table, faisant chuter une miche de pain et tanguer le broc de lait. Il est fou, ce n’est pas possible… Nous sommes assiégés et il ne pense qu’à ce mariage ! Ou surtout à me mettre dans son lit vu son regard un peu torve.

— C’est hors de question ! Je ne me marierai pas sans Maïeul, fout ça pour que tu puisses assouvir tes pulsions perverses ! Te rends-tu compte de ce que vivent les gens en dehors de cette maison ? Es-tu si égoïste pour ne penser qu’à toi de la sorte ?

— Mais je t’aime, Clothilde. Et si nous sommes mariés, on ne pourra plus être séparés ! Ce sera le paradis, tu ne crois pas ?

En parlant, il s’est à nouveau approché et me surplombe désormais. Je me retrouve coincée entre lui qui s’avance et la table de la cuisine dans mon dos.

— Non, je crois que tu ne comprends pas, Thibault. Le mariage est bien loin dans mes priorités. Je te rappelle qu’en me retenant ici plutôt que de me laisser partir hier, comme c’était prévu, tu as sans doute condamné mon frère à mort. Et ça, c’est quelque chose que je ne te pardonnerai jamais. Il n’y a pas d’amour entre nous, c’est un mariage arrangé ! Et encore, je n’ai jamais voulu de cet arrangement. Alors arrête de jouer les amoureux transis, tu es juste ridicule !

Je pense qu’un jour, il faudra que j’apprenne à peser mes mots avant de parler, parce que l’amoureux transi disparaît sous mes yeux, et les siens se gorgent de colère. Magnifique, Clothilde, quelle excellente idée !

— Tu finiras bien par m’aimer. Tu verras, une fois que je t’aurai fait découvrir l’amour et la passion, tu ne pourras plus t’en passer. Le prêtre arrive, de toute façon, il est trop tard pour reculer. Tu es à moi !

— Non. C’est non, je refuse que nous nous marions, tu m’entends ? Dans ces conditions, c’est ridicule !

Je repousse sa main lorsqu’il la repose sur ma hanche et tente de ne pas grimacer alors que son souffle balaie mon visage. Et je ne baisse pas les yeux, hors de question. Je sais que je devrais, mon père va me haïr, mais à cet instant, et alors que je suis certaine qu’il était au courant des raisons de l’absence de Thibault, je le déteste, lui aussi.

— Tu n’as pas le droit de me dire non ! Quelle petite rebelle tu fais ! Qu’est-ce que ça m’excite, tu sais ?

Je n’ai pas le temps de lui répondre qu’il presse son corps contre le mien et m’embrasse avec violence. Je n’ai pas d’autre mot tant je me sens oppressée et agressée à cet instant. Je tente de le repousser, mais il devait s’y attendre parce qu’il m’enserre suffisamment contre lui pour que je n’aie pas de liberté de mouvement. Pour mes bras, en tout cas, parce que je me tortille contre lui jusqu’à être en bonne posture pour lever le genou et atteindre avec autant de force que possible son entrejambe. Thibault pousse un cri de douleur et me relâche en se pliant en deux, j’en profite pour le bousculer, le faisant chuter au sol. Je me précipite hors de la maison, récupère son cheval qu’il a attaché devant la grange, et envoie un baiser à la famille qui me regarde sans comprendre ce qui se passe, tout en incitant ma monture à se mettre en route.

Je pars au galop et sans me retourner. J’abandonne mes frères, ma sœur et mon père avec cet homme qui me donne envie de vomir, mais je n’ai pas le choix. Einar va m’en vouloir et je peux dire adieu à la confiance qu’il m’a accordée alors que je n’y suis pour rien. S’il a déjà fait tuer Maïeul… Mon Dieu, je ne pourrais jamais me pardonner la mort de mon cadet, et je jure que peu importe ma gentillesse ou mon innocence, je tuerais Thibault pour avoir causé sa mort, et tout Viking qui aurait porté la main sur mon frère, même si c’est la Montagne.

J’arrive à la ferme avec les jambes douloureuses d’avoir subi ce galop, descends de cheval rapidement et pars à la recherche d’Einar ou de Runolf. Je ne tombe malheureusement que sur ce dernier, qui me fusille du regard en m’apercevant et approche vivement de moi. J’aimerais que Marguerite soit là pour le calmer, ou pour m’aider à communiquer avec lui, parce que je sens que notre échange va être compliqué.

Je lève les mains en signe d’apaisement mais il attrape vivement mon bras et me secoue un peu brusquement.

— Runolf, je suis désolée, dis-je dans sa langue avant de reprendre en français. Ce n’est pas ma faute, je te le jure !

— Toi pas gentille. Toi gros problèmes, commence-t-il avant d’enchaîner dans sa langue sans que je ne le comprenne.

Je le laisse parler et même m’entraîner près de la maison. Se comprendre va vraiment être difficile…

— Runolf ! le coupé-je finalement. Où est Einar ?

— Il Guerre. Bjorn… ajoute-t-il avec un geste pour simuler la douleur.

Je fronce les sourcils et tente de faire les connexions. Le moment pourrait être drôle, dans d’autres circonstances… A cet instant, alors qu’il me tient encore le bras en se demandant sans doute ce qu’il va faire de moi, j’aimerais simplement être capable de formuler ma phrase comme il le faut pour qu’il comprenne que je n’ai pas eu le choix que de ne pas rentrer hier. J’étais sincère avec Einar, je voulais respecter notre marché.

— Mon Dieu, soufflé-je en comprenant où il veut en venir. Il est vraiment parti combattre ? Je… et moi, Runolf ? Tu… tu vas me tuer ?

— Non, Einar décide. Toi plus bouger.

— Promis !

Il faudra que j’explique les choses à Einar dès qu’il rentre… Est-ce que l’excuse sera valable pour lui ? Je n’en ai aucune idée, mais je refuse qu’il pense qu’il ne peut pas me faire confiance. Je n’ai jamais voulu ça, et j’espère avoir rapidement l’occasion de le lui dire. J’espère qu’il rentrera vite, et surtout sain et sauf. Je ne devrais pas m’inquiéter pour lui, et pourtant…

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