28. Le Valhalla, si proche et si lointain

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Einar

Quel bonheur ! Toutes ces lumières que je devine derrière mes paupières fermées, je crois que je vais enfin rencontrer les Dieux et profiter de ce paradis qui m’est promis depuis que je suis en état de comprendre ce qu’est la mort. Je suis surpris de ressentir néanmoins une forte douleur dans mon crâne. Je croyais que toutes les douleurs s’effaçaient dans le Valhalla mais il semblerait que je me sois complètement fourvoyé. Si seulement, on pouvait revenir sur Terre pour en informer les vivants…

Je laisse finalement entrer la lumière en ouvrant les yeux mais suis obligé de les refermer immédiatement tellement elle est vive et me fait encore plus mal à la tête.

— Oh, il se réveille, je crois, dit une grosse voix bien loin des sons cristallins auxquels je m’attendais.

On dirait que c’est Cnut qui parle, mais ça m’étonnerait, il n’est pas tombé sur le champ de bataille, il n’a rien à faire avec moi ici.

— Allez, Einar, un petit effort. Il faut que tu te réveilles pour fêter la victoire.

La victoire ? Quelle victoire ? Et pourquoi est-ce que je sens quelqu’un me secouer le bras ? On ne peut même pas prendre le temps de se reposer ici ?

— Hmpf, grommelé-je pour montrer mon mécontentement.

— Eh bien, ça ne sert pas à grand-chose d’être aussi grand et musclé si c’est pour dormir pendant des heures dès qu’on prend un coup !

Je finis par rouvrir les yeux, énervé d’être ainsi dérangé et en colère que l’on puisse se moquer de moi. Je tombe sur le regard amusé de Cnut qui m’observe avec attention. Je suis un peu perdu et surtout, j’ai toujours ce mal de tête lancinant qui m’empêche de réfléchir clairement.

— Pourquoi tu viens me hanter même au Valhalla ? grogné-je, mauvais.

— Au Valhalla ? Tu n’y es pas, l’ami, on est loin du Valhalla ! Comment tu te sens ?

— Loin, vraiment loin ? demandé-je, encore plus déçu de ce retour à la réalité. J’ai une tête qui résonne comme toutes les cloches de l’église du village…

— Tu crois que tu pourras distinguer les vraies cloches de celles dans ta tête ? se moque-t-il.

— Je veux pas de vraies cloches… Je ne suis pas mort, hein ? On est toujours en Normandie, soupiré-je. Et tu parlais de victoire ? J’ai pas l’impression d’avoir gagné quoi que ce soit…

— J’ai achevé celui qui t’a blessé. Tu as reçu un mauvais coup à la tête, mais ça devrait aller.

— Un coup sur la tête ? Tu m’étonnes que ça résonne encore… Il ne m’a pas raté, le bougre. Pourquoi tu ne l’as pas épargné pour que je l’achève moi-même ? Tu avais peur que j’y reste ou quoi ?

— J’ai agi sur le moment, je n’ai pas réfléchi. Et puis, les autres s’étaient rendus. Le tuer parce qu’il attaque, c’est justifié, le tuer ensuite par pure vengeance, ça n’aurait pas joué en notre faveur.

— Ouais, dis plutôt que tu avais peur que je sois trop gentil avec lui, dis-je en me relevant.

Je ne vais cependant pas loin car je suis pris d’un vertige qui m’oblige à me rasseoir tout de suite.

— Tu aurais dû me dire que vous m’aviez rapatrié sur un drakkar. On est en train de rentrer ou quoi ?

— On te ramène au château, oui, mais pas en drakkar, se moque-t-il. Tu n’es pas le seul blessé, soupire-t-il. Vas-y doucement quand même, le coup a été brutal.

— Ça va aller, j’ai la tête dure. Dépêchons-nous de rentrer, oui. Et mon frère, il va comment ?

Maintenant que j’ai les idées plus claires, la réalité de la situation me revient en tête et je m’inquiète à nouveau pour lui.

— Il est déjà au château, en train de se faire soigner sans doute. Je n’ai pas de nouvelles depuis qu’il est parti, tu te doutes bien.

— Je me doute. Tu crois qu’il va s’en sortir ? Il avait l’air mal en point quand je l’ai vu avant d’aller me battre. Cela m’a mis dans une rage folle.

Tout comme la trahison de Clothilde. C’est la première fois que je repense à elle depuis mon réveil, mais ça me fait toujours aussi mal.

— Je n’en sais rien… J’imagine qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour qu’il guérisse, et puis c’est un costaud, il a la rage de vivre.

— Oui, j’espère. Allez, en route, il est où mon cheval ? J’ai… On dirait que j’ai un peu oublié ce qu’il s’est passé juste avant que je ne reçoive ce coup. C’est étrange.

— Vraiment ? C’est bizarre, oui… Ton cheval est avec les autres, là-bas, m’indique-t-il en pointant l’arbre derrière lui.

— Ah oui, rentrons au château. Ce soir, je veux dormir dans un vrai lit.

Nous rassemblons nos affaires et j’essaie de faire de mon mieux malgré les vertiges que je continue à ressentir. Heureusement que ma monture est douce, le retour au village se fait à bonne allure même si nous faisons attention car je ne suis pas au mieux de ma forme. Lorsque nous arrivons enfin au domaine de cet homme à qui Clothilde est promise, je souffre le martyre. J’ai du mal à descendre de mon cheval et je me tiens les côtes, inquiet de sentir mes hanches chaudes.

— Cnut, je crois que j’ai besoin de la guérisseuse. Tu peux aller la chercher, je ne suis pas sûr d’avoir la force d’y aller.

— Ok, je vais essayer de la trouver. Tu veux de l’aide ? Que je t’installe quelque part en l’attendant ? me demande-t-il en m’observant de la tête aux pieds, nerveux.

— Non, non, ça va aller, dis-je avant de plier un genou à terre, incapable de supporter mon poids. Enfin, si tu peux m’aider à trouver un endroit où me poser finalement, je ne dirais pas non.

— Accroche-toi, l’ami, je vais t’aider, énonce-t-il en se glissant sous mon bras pour me soutenir.

Il me traîne, de plus en plus inquiet, jusqu’à une pièce où se trouvent d’autres blessés et m’aide à m’asseoir sur une petite couche qui semble avoir été nettoyée peu de temps avant. Je crois que j’ai vraiment dû lui faire peur car il revient presque immédiatement avec la vieille femme qui est censée prendre soin de nous. Je n’arrive pas à faire confiance à son regard fuyant ou à ses doigts fébriles qui ne cessent de triturer sa robe.

— Arrête de rêver, grogné-je. J’ai des douleurs partout et il faut que tu m’aides. J’ai besoin de toi.

— Où avez-vous mal exactement ? soupire-t-elle en s’agenouillant.

— Là, indiqué-je en montrant mon côté droit. Et à la tête. C’est horrible et lancinant.

— Je vais regarder ça… Je ne vais rien pouvoir faire pour votre tête, en revanche.

Elle tend la main pour défaire un des boutons de ma chemise mais je la repousse et m’en charge moi-même avant de la retirer en grimaçant sous la douleur. Et devant la vision qui s’offre à moi. Une vieille plaie s’est rouverte et suinte de sang sur ma hanche, alors qu’elle m’observe torse nu.

— Je comprends que ça fasse mal… Il faut faire quoi ? demandé-je, inquiet.

— Pas grand-chose. Je vais nettoyer ça à l’eau claire, mais je ne pourrai pas faire de miracle.

Je suis surpris quand je vois un mouvement dans le coin de l'œil et que je constate que la guérisseuse se retrouve avec une épée sous la gorge. Cnut est derrière elle et j’entends qu’il la menace.

— Je te préviens que s’il lui arrive quoi que ce soit parce que tu ne t’en es pas bien occupée, tu es une femme morte. C’est clair ? Je ne te fais pas confiance, mais je suis sûr qu’avec un peu de persuasion, tu vas trouver un moyen de l’aider un peu plus qu’avec de l’eau.

— Je ne suis pas une sorcière, non plus. Je ne vais pas pouvoir lui sauver la vie si le Seigneur veut le rappeler à lui. Me menacer ne changera rien.

— Ton Seigneur ne vaut rien face à nos Dieux, tu es prévenue, lui lance-t-il en la relâchant.

Je l’observe avec toujours ces cloches qui me résonnent dans la tête et essaie de rester lucide alors qu’elle prépare un cataplasme qu’elle applique sur ma plaie. A l’instant où je sens le remède chaud se poser sur ma peau, la douleur se fait vive et quasiment insupportable. Je dois m’évanouir car je perçois plus que je ne vois la tête de Clothilde s’inscrire dans mon champ de vision. Elle est toujours aussi belle et je remercie les Dieux de me permettre de rêver à elle à ce moment où ils sont peut-être en train de me rappeler à eux. J’ai même l’impression de sentir ses doigts frais se poser sur la peau de mon torse avant de perdre connaissance. C’est comme si elle atténuait ma chute et me retenait pour que je ne me fasse pas mal en m’allongeant sur ma couche. Je peux bien mourir avec cette vision en tête, je suis sûr que c’est elle qui est la clé de mon Valhalla. Si je rouvre les yeux et que je ne la vois pas, je saurai immédiatement que je ne suis pas au paradis. Malgré sa trahison, c’est elle que j’ai envie de voir. C’est avec elle que je veux vivre ma vie éternelle, personne d’autre. Je ferme les yeux, ravi que le bruit des cloches dans ma caboche s’arrête enfin. J’ai croisé le regard d’un ange, plus rien ne peut m’arriver, désormais.

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