30. Réveil ensoleillé
Einar
— Cocorico ! Cocorico !
Je soupire et me dis que s’il y a un animal que je n’aime vraiment pas, c’est le coq et sa façon agressive de me réveiller le matin, à peine le soleil levé. En même temps, aujourd’hui, je me sens enfin reposé et profite de ces quelques instants avant d’ouvrir les yeux pour faire un état des lieux de la façon dont je me sens. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis dans ce lit, mais pour la première fois, je n’ai plus mal à la tête. J’ai toujours une petite douleur à la jambe mais rien d’exceptionnel, en tout cas, rien de plus qu’avant de me prendre ce coup de massue sur le crâne pendant la dernière bataille. Pour la plaie à mon torse, je n’ai rien senti et je ne sens toujours rien. Dans l’ensemble, je me trouve plutôt en forme et cela me met en joie.
Lorsque j’ouvre les yeux, je découvre que Clothilde est à nouveau là. A chacun de mes réveils, sans faute, elle était présente. Je me demande même si elle a quitté mon chevet pour manger, se laver ou autre. Je soupire car j’ai toujours ce sentiment de trahison qui s’impose à moi quand je la vois et même son dévouement à mes côtés pendant ma convalescence ne parvient pas à me faire oublier qu’elle avait donné sa parole et qu’elle ne l’a pas respectée. Par contre, je dois l’avouer, elle m’attire et je dois me faire violence pour ne pas écouter mon corps qui ne demande qu’à profiter de ses courbes divines et de la douceur de sa peau.
Pour l’instant, elle s’est assoupie à côté de moi, sur le fauteuil qu’elle a installé près de mon lit. Je me redresse sur mon oreiller et prends le temps de l’observer. Son visage est d’une pureté absolue, une peau pâle et lisse, un nez légèrement retroussé, des lèvres bien dessinées, des pommettes relevées, tout ça encadré par ses cheveux bruns qu’elle a tressés, me donne une impression de perfection que j’ai rarement connue jusque là. Sa poitrine est généreuse et je suis comme hypnotisé par le mouvement que font ses seins alors qu’elle respire doucement. Les lacets qui referment son corsage sont dénoués et la vision que m’offre son cou dénudé et la naissance de son décolleté créent des images vraiment déraisonnables dans ma tête. Je me perds aussi un instant dans la contemplation de ses doigts qui reposent sur l’accoudoir. Ils sont à la fois marqués par le travail dans les champs, avec quelques traces de griffures ça et là, mais aussi d’une douceur incroyable. A chaque fois que je les ai sentis sur ma peau nue pendant qu’elle prenait soin de moi, j’ai eu des picotements qui me traversaient l’ensemble du corps. Et dans mes délires fiévreux, je n’ai pu m’empêcher de les imaginer le long de mon membre viril. Je me demande d’ailleurs si c’étaient vraiment des rêves ou si lorsqu’elle me nettoyait, c’était la réalité. Impossible de faire la différence maintenant.
En la voyant aussi sereine et calme, j’hésite un peu à la réveiller mais j’ai soif et il faut que je me lève. Sans aide, je ne suis pas sûr d’y arriver.
— Clothilde, dis-je doucement. J’ai besoin de toi. Réveille-toi.
Pourquoi ai-je tout à coup envie de me pencher sur elle et de ponctuer cette phrase de baisers que je déposerais sur sa bouche ? Je suis vraiment si en manque que ça ou bien c’est elle qui me rend fou ?
— Hum… Je suis là, marmonne-t-elle en se frottant les yeux. Qu’est-ce qu’il y a ?
— J’ai soif… Tu peux me ramener un peu de lait s’il te plait ?
Elle me détaille un instant et sourit, visiblement soulagée de voir que j’ai retrouvé mon état normal. J’ai envie de craquer et d’oublier ma colère en voyant la tendresse qui se dégage d’elle, mais je repense à la façon dont elle m’a demandé de lui faire confiance avant d’aller voir sa famille et je me fais violence pour ne pas retomber dans le même piège.
— Bien sûr. Runolf en a amené il y a peu, tu as de la chance, il est tout frais, me répond-elle en se levant pour me servir. Comment tu te sens ?
— Beaucoup mieux. Merci pour le lait. Cela fait combien de temps que je suis là ? Tu es restée tout le temps près de moi, non ?
— Ça fait trois jours. Je crois que tu as reçu un mauvais coup à la tête, tu avais besoin de repos. Je suis restée pour être sûre que tu allais bien, oui. Enfin, j’ai dû aider pour les repas, mais en dehors de ça, oui, j’étais là.
Je suis touché par la douceur de son ton mais me dis qu’il faut que je reste ferme sur ma position, si je ne veux pas à nouveau ressentir la fureur qui s’est emparée de moi quand j’ai découvert qu’elle n’était pas rentrée comme prévu.
— Si tu crois que ça va suffir pour que je te pardonne le fait que tu n’as pas respecté ta parole, tu te trompes, Clothilde. Je te promets que désormais, tu ne quitteras plus l’enceinte du château ou de la ferme sans surveillance. Je n’aurais jamais dû te faire confiance, asséné-je en essayant d’y mettre autant de fermeté que j’en suis capable malgré son air si innocent.
— Tiens, mange un peu, il faut que tu reprennes des forces, continue-t-elle comme si elle ne m’avait pas écouté en déposant un plateau près de moi sur le lit. Je t’ai déjà dit que je n’avais pas eu le choix. J’ai essayé de rentrer, je t’assure.
J’hésite à accepter la nourriture, en me disant qu’elle essaie de m’amadouer en me faisant penser à autre chose qu’à sa colère mais j’ai faim et je ne résiste pas à la tentation de dévorer cette tranche de pain recouverte de miel. Je m’en saisis et la vois se rasseoir alors que je commence à me sustenter.
— Tu as beau dire que tu as essayé de rentrer, finis-je par dire pour rompre le silence qui s’est installé, je n’arrive pas à te croire. Tu avais promis de rentrer dès le soir venu. Et visiblement, tu n’as pas eu d’accident qui puisse expliquer ce retard. Moi, quand je donne ma parole, je fais tout pour la respecter, je n’ai pas l’impression que ce soit le cas pour toi.
— Je comprends que tu puisses douter, mais je t’assure que si j’avais pu rentrer, je l’aurais fait. Vas-tu seulement me croire si je t’explique ce qu’il s’est passé ?
— Je me moque des explications ! Une parole, ça se respecte ! Tu devais rentrer et tu ne l’as pas fait. Il n’y a rien de plus à dire.
Elle a l’air exaspérée par mes propos et se relève brusquement pour me dominer de sa présence. J’ai l’impression qu’elle est vraiment en colère et que sa douceur naturelle s’est envolée.
— Pour l’amour du Ciel, je respecte toujours ma parole ! Je suis rentrée de mon propre gré dès que j’ai pu. Est-ce ma faute si cet idiot que je dois épouser pense qu’il a tous les droits sur moi au point de me retenir contre ma volonté ? Vous, les hommes, vous croyez tout permis sans jamais penser à ce que nous pouvons vouloir !
— Comment ça, il t’a retenue contre ton gré ? Tu n’étais pas avec ta famille ? Pourquoi tu ne lui as pas dit que tu avais l’obligation de rentrer ?
— Parce que tu crois que je n’ai pas essayé, peut-être ? Je lui ai même dit que mon frère risquait d’être tué si je ne rentrais pas ! Mais il n’en a que faire. Tu sais ce qu’il a fait, le lendemain matin ? Il est parti avant l’aube pour ramener un prêtre pour nous marier, Einar ! C’est tout ce qu’il voulait, m’épouser pour pouvoir coucher avec moi sans se préoccuper de Maïeul, comme si c’était un dû, sans me demander mon avis, juste… Bref, j’ai réussi à fuir et je prie pour que le coup qu’il a pris entre les jambes l’empêche d’être en capacité de toucher une femme pour les trente prochaines années, soupire-t-elle en se laissant retomber sur le fauteuil.
Je la dévisage et sens au fond de moi qu’elle me dit la vérité, que ce Thibault qu’elle a apparemment frappé a essayé d’abuser d’elle et que c’est lui le vrai responsable. J’ai envie de la prendre dans mes bras, de la réconforter et je m’en veux d’avoir mis en doute sa parole. Je sens aussi que ma rage est en train de se transférer vers cet homme qui veut faire sien ce joyau qu’elle représente.
— Pourquoi tu ne me l’as pas dit plus tôt ? lui reproché-je un peu injustement. Je vais aller lui montrer ce que c’est qu’un Viking en colère à cet abruti !
— Tu as passé trois jours à divaguer, je ne suis pas sûre que l’information aurait été comprise et retenue… Runolf me surveille depuis mon retour, je n’ai pas réussi à lui expliquer les choses, mais sache que je suis revenue de moi-même le lendemain, je te l’assure.
— Tu es revenue de toi-même ? Mais… Runolf devait aller te chercher… Je… Ce Thibault, il t’a fait quoi pour que tu t’enfuies ainsi de chez lui ?
J’ai tout à coup des visions horribles de ce type que je ne connais pas qui met ses sales mains sur le joli corps de la brune à mes côtés. Je commence à m’imaginer qu’il l’a violentée et des envies de meurtre me prennent.
— Peu importe… Je n’ai pas l’habitude de me laisser faire avec ce genre d’hommes… Et il était hors de question que je l’épouse dans ces conditions. J’espère juste qu’il ne s’en est pas pris à mes frères et ma sœur, et que mon père les protège plus qu’il ne le fait avec moi.
— Je vais aller le confronter. C’est honteux ce qu’il a fait ! m’emporté-je en tentant de me relever. Je te promets que je vais lui régler son compte. Et s’il a touché à un seul cheveu des membres de ta famille, il va rôtir en enfer ! Dis-moi où il est et je vais m’occuper de lui !
— Tu vas surtout rester couché, tu n’es pas en état de jouer au sauveur, Einar, me répond-elle, le sourire aux lèvres. Mais… merci pour la proposition.
— Mais, protesté-je alors qu’elle pose sa main sur mon torse pour me repousser sur le lit sans que je puisse m’y opposer. Je ne peux pas le laisser vivre comme ça ! C’est pas possible, grondé-je. Il t’a fait du mal et menace ta famille, il faut que je fasse quelque chose.
— Il ne m’a pas fait de mal, je me suis défendue avant qu’il y parvienne. Veux-tu bien te calmer ? Tu vas rouvrir tes blessures, Einar. Calme-toi…
Oh, cette sensation de ses mains fraîches sur la peau brûlante de mon torse, cela me met dans un état d’excitation folle. J’essaie cependant de garder la tête froide et les idées claires.
— Oui, ça va, je vais me calmer. Mais il faut faire quelque chose pour ta famille. Pourquoi tu ne leur dis pas de venir ici ? Nous les protégerons, je m’y engage. Ils ne risquent rien s’ils reviennent. Ils pourront même s’occuper de la ferme comme avant et tu pourras vivre avec eux, si tu le souhaites. Tu ne crois pas que ça réglerait la situation ?
— Ah oui ? Peux-tu m’assurer qu’aucun de tes compagnons ne va s’intéresser d’un peu trop près à ma petite sœur de douze ans ? Que vous n’allez pas utiliser mes petits frères de dix ans pour autre chose que la ferme ? Parce que jusqu’à présent, leur cachette me semblait être le plus sûr pour eux…
— S’ils sont à la ferme, ils ne risqueront rien avec Runolf, dis-je après réflexion. Sinon, c’est vrai que ça peut être un peu dangereux… Réfléchis à ma proposition. Je ne veux pas que ce Thibault continue à te faire du mal.
Elle hausse les épaules et semble troublée par ma proposition. Elle s’excuse et s’éloigne rapidement, me laissant seul dans mon lit. Je pourrais essayer de me lever et la suivre pour insister mais je crois qu’elle a besoin d’un peu de temps. Et puis, même si je n’ai plus de douleurs, je reste faible et incapable de marcher seul avec la douleur que j’ai toujours à la jambe. Il faut que je prenne mon mal en patience, mais depuis que je sais qu’elle ne m’a pas trahi, qu’elle est revenue d’elle-même dès qu’elle a pu et a tout fait pour tenir sa parole, je me sens plus léger. Je n’ai plus ce poids que je ressentais. Ma seule inquiétude désormais, c’est l’état de santé de mon frère. Et là, je ne sais pas si les nouvelles qui vont arriver seront aussi bonnes.
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