46. Le débarquement

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Einar

Le vent nous porte avec force et je suis content d’avoir senti venir la tempête. Mon impression, confirmée par Cnut, nous a permis de choisir de nous rapprocher un peu des terres et nous avons réussi à éviter le gros de la tempête qui a éclaté en pleine nuit. Nous nous sommes abrités comme nous avons pu dans le drakkar et avons été surpris, au lever du soleil, au moment de l'accalmie, de ne plus voir les autres bateaux derrière nous. Pourquoi ne nous ont-ils pas suivis ? Ont-ils crû que nous étions perdus ? Je ne sais pas, la seule chose qui est certaine, c’est qu’il nous faut continuer, sans nous préoccuper des autres. Il y a des navigateurs expérimentés sur chaque navire et un VIking finit toujours par retrouver son chemin. J’avoue que je jette fréquemment des coups d’oeil à l’arrière pour essayer de discerner une voile à l’horizon, tellement je m’inquiète pour mon frère et Clothilde.

Quelle bêtise, sa capture ! Je ne sais pas si je suis plus énervé ou plus désespéré par ce coup du destin qui la met à la merci de mon frère. Normalement, les conditions ne se prêtent pas pour qu’il abuse d’elle sur le drakkar, mais avec Bjorn, on pourrait parfois être surpris. Et aucun de nos hommes ne l'empêcherait de faire ce qu’il veut, si l’envie lui prenait de s’occuper de la jolie brune. Il vaut mieux que je ne pense pas à ça ou je vais devenir fou et mes hommes ont besoin de moi et de toute ma concentration pour arriver à bon port.

En fin de matinée, nous arrivons en vue des côtes et l’état d’esprit de tout le monde s’éclaircit. Je sens une vigueur retrouvée chez les rameurs qui ont hâte d’accoster et je me positionne à l’avant du drakkar pour m’assurer que nous ne heurtons aucun des rochers dans cette zone que je connais parfaitement. Cela fait un bien fou de retrouver ces récifs familiers, de manoeuvrer dans ces eaux sur lesquelles j’ai navigué tant de fois et d'admirer ce paysage grandiose qui s’offre à nous. Les montagnes qui nous dominent ont déjà leurs sommets couverts de neige et nous fonçons vers le port derrière lequel notre village se trouve.

Lorsque je jette l’ancre et que nous arrimons notre drakkar au quai, une grande partie du village est déjà rassemblée pour nous accueillir et c’est le Jarl en personne qui m’étreint quand je suis le premier à fouler le sol de notre belle Swede.

— Bonjour Olaf, tes guerriers sont de retour et j’ai le plaisir de t’annoncer que grâce à l’aide des Dieux, nous sommes victorieux et l’hiver ne nous posera aucun problème vu les richesses que nous ramenons.

Je m’incline devant lui et ses mains se posent sur mes épaules pour me redresser. Il est tout sourire et semble fier de ce que nous avons réalisé.

— Je suis ravi de l’apprendre. Ne traînez pas à décharger tout cela, je suis curieux de voir ce que vous nous rapportez ! Où sont les autres ?

— J’espère qu’ils ne vont pas tarder, nous sommes tous partis ensemble. Je vais saluer ma mère qui m’a tant manqué et m’occupe du déchargement avec mes hommes.

En effet, juste derrière le Jarl, j’ai pu voir ma mère que je trouve un peu plus frêle malgré une sévérité et une austérité toujours aussi autoritaires.

— Bonjour Maman. Me voilà, je suis rentré. Je suis heureux que les Dieux m’aient permis de te revoir, la salué-je de manière formelle, même si mon cœur se réjouit vraiment de la retrouver.

— Je suis heureuse de te voir aussi, Einar. Tu as bonne mine. Comment va ton frère ? Est-ce qu’il est encore loin ?

— Il va bien, la rassuré-je, et il ne devrait plus tarder. Je pense que la tempête les a retardés mais les Vikings sont de bons navigateurs et il va trouver son chemin. Notre périple a été un vrai succès et tu seras ravie d’apprendre que Bjorn s’est imposé comme leader durant ces raids. Même blessé, il n’a pas cédé la place.

— Blessé ? s’affole-t-elle. Que s’est-il passé ? Est-ce qu’il est bien remis ?

— Ça arrive quand on se bat et je peux t’assurer qu’il est parfaitement remis.

Un peu trop à mon goût et je m’inquiète à nouveau pour Clothilde qui doit se demander dans quel enfer elle va arriver. A sa place, je la rassurerais mais je suis sûr qu’il va se faire un malin plaisir à ne rien lui dévoiler et à s’amuser de sa détresse. Je me détourne de ma mère dont l’attention est déjà portée sur la mer et me précipite dans les bras de Marguerite que je serre fort. Les retrouvailles sont là, beaucoup plus chaleureuses et je suis ravi de la sentir contre moi.

— Que je suis heureux de te revoir, Marguerite. Et merci pour toutes ces leçons de normand. Si tu savais ce que ça m’a apporté, souris-je en l’enserrant dans mes bras.

— Moi aussi je suis heureuse de te revoir, mon petit Einar. Alors, l’air de la campagne normande ? me demande-t-elle avec un sourire un peu triste.

— Magnifique. J’ai failli rester là-bas, avoué-je en ne mentant qu’à moitié. Mais me revoilà. Et je vais avoir besoin de toi quand le bateau de Bjorn arrivera. Je sais que je pourrai compter sur toi.

— Bien sûr que tu le peux ! Pourquoi veux-tu de mon aide ? Et comment s’est comporté ton frère ?

— Comme à la maison, soupiré-je avant d’aller superviser le déchargement du navire.

Je suis tellement occupé les heures suivantes que je n’ai pas le temps de me lamenter ou de me tourmenter avec le retard du drakkar de Bjorn. Le Jarl supervise les opérations et récupère discrètement, avant même le partage traditionnel, sa part du butin dès que quelque chose attire son attention. Lorsque le bateau est vidé, je laisse mes hommes rejoindre le centre du village où une fête est improvisée par nos parents et amis qui se réjouissent vraiment de notre retour. Quant à moi, je reste loin de toute cette agitation et me poste sur la plage, le regard perdu à l’horizon, espérant vainement apercevoir une ou plusieurs voiles. J’en viens à m’imaginer les pires scénarios. Et cette solitude dans cet endroit si familier me permet de réfléchir à la situation et d’organiser mes pensées concernant l’arrivée prochaine de Clothilde sur nos terres. J’essaie de voir quel scénario pourrait la sauver et quels autres vont la condamner à devenir l’épouse de mon frère. J’en arrive à la conclusion que je vais non seulement devoir plaider ma cause auprès de mon frère mais aussi m’opposer à lui s’il persiste dans son choix. J’espère ne pas en arriver là car choisir entre ma famille et la jolie femme qui a réussi à tant me séduire, je ne suis pas sûr d’en être capable.

Lorsqu’enfin je vois apparaître les voiles de plusieurs drakkars à l’horizon, je me relève, impatient, et ne tiens plus en place jusqu’à ce que je reconnaisse enfin qu’il s’agit bien des bateaux qui sont partis de Normandie. Je suis à la fois soulagé de les voir tous sains et saufs mais aussi inquiet de savoir comment je vais gérer Clothilde et mon frère. Je vais prévenir les autres villageois et nous nous rassemblons sur le port pour accueillir comme il se doit le reste de la troupe. L’alcool a déjà bien coulé et l’ambiance est encore plus festive que quand j’ai débarqué. Même ma mère est ravie que son fils préféré soit de retour et sourit alors qu’elle m’a à peine regardé depuis que je suis rentré.

Je bondis dans le drakkar de Bjorn dès que je le peux et le saisis dans mes bras, soulagé de le voir enfin arriver.

— Eh bien, je suis content de te voir ! Vous nous avez fait peur ! Tu imagines si j’avais été le seul à rentrer de notre expédition ?

— La tempête a été impressionnante, mais on s’en est bien sortis. Tu es arrivé il y a longtemps ? J’ai eu l’impression de te voir disparaître en quelques secondes à peine, juste le temps de me tourner et je ne te voyais plus.

— C’est ça, le talent ! On est arrivés il y a quelques heures, oui. Tu veux que je gère le débarquement pendant que tu salues tout le monde ? Maman t’attend avec impatience.

— Merci, mon frère. Je vais la voir avant de me prendre une soufflante, rit-il en pressant mon épaule.

— Ne t’inquiète pas, je gère tout, ici.

Et je suis ravi de le voir sauter par-dessus le bastingage et se précipiter vers le Jarl, comme je l’ai fait, pour le saluer. Je vais au moins pouvoir mettre Clothilde en sécurité maintenant que j’ai pris en charge l’organisation du débarquement. Je donne quelques ordres pour que les marchandises soient descendues au plus vite et me rapproche de Clothilde qui me regarde comme si j’étais le pire monstre de toute la terre. Je comprends qu’elle ne soit pas ravie d’être ici mais elle pourrait au moins se rendre compte que je fais tout ce que je peux pour la préserver…

— Bonjour Clothilde. Content de te revoir. Tu viens ? demandé-je doucement en lui tendant la main. Je vais te mettre à l’abri.

— À l'abri ? Y aura-t-il vraiment un abri pour moi, ici ? Parce que le seul endroit où je voudrais être, c’est chez moi, cingle-t-elle en observant ma main avant de la saisir avec hésitation.

— Je vais faire ce que je peux, Clothilde. Ce n’est pas moi qui t’ai amenée ici, mais je te promets de tout faire pour te protéger. Suis-moi, ajouté-je alors qu’elle me lance un regard plein d’éclairs et de colère que je commence malheureusement à trop bien connaître.

— Tu parles, tu ne t’es pas non plus vraiment opposé auprès de ton frère. Je n’arrive pas à croire que je sois ici, c’est… Honnêtement, je le déteste et je te jure que s’il me touche, je ferai tout mon possible pour que ce soit la dernière chose qu’il fera, quitte à y perdre la vie et finir en Enfer.

— Suis-moi, répété-je alors que ses mots me font mal. On discutera plus tard, quand tu seras moins en colère. Et dépêche-toi avant que Bjorn ne se souvienne que tu existes.

— Aucune chance que je ne sois plus en colère, marmonne-t-elle en s’exécutant.

Je l’aide à descendre et cherche Marguerite du regard. Toujours aussi dévouée, elle est présente et je la rejoins en tirant par la main Clothilde qui attire le regard de beaucoup de mes compatriotes.

— Marguerite, voici Clothilde. Elle est… notre invitée. Il faut que tu t’assures qu’il ne lui arrive rien. Tu crois que tu peux faire ça ? Et puis, quelqu’un qui parle le normand sans accent et sans faute, ça devrait te faire plaisir, non ?

— Je te souhaite la bienvenue, Clothilde, lance-t-elle avec un sourire bienveillant alors que l’intéressée la salue d’un petit mouvement de tête. Je ferai mon possible, Einar, bien entendu, tu peux compter sur moi. J’ai hâte de pouvoir discuter sans avoir à toujours vous reprendre, même si je constate que tu t’es amélioré.

— On m’a bien aidé à progresser, soupiré-je alors que Clothilde m’ignore royalement. Mais bon, c’est terminé, tout ça. Nous sommes de retour, pour le meilleur et pour le pire aussi, on dirait. A plus tard, je vais m’assurer que le débarquement se passe bien. Surtout, fais attention à ce que personne n’importune Clothilde, même pas mon frère, d’accord ?

— Promis. Ne rentre pas trop tard, vous m’avez manqué, tous les deux.

Je sais que je peux lui faire confiance et que la jolie brune est entre de bonnes mains. Cela me donne un répit de quelques heures, le temps que Bjorn fasse la fête et rende compte de ce qu’il s’est passé au Jarl et aux anciens qui nous gouvernent. Je ne sais toujours pas ce que je peux envisager pour préserver Clothilde, mais je suis déjà content d’avoir réussi à l’écarter du danger pour les prochaines heures. Dans les circonstances, c’est déjà un bel exploit, non ?

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