48. Impossibles discussions

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Einar

Dès qu’il l’a pu, Olaf, le Jarl, nous a éloignés, mon frère et moi, de la fête qui continue à battre son plein et nous avons dû le suivre jusqu’à sa maison où une esclave nous ramène deux coupes remplies d’hydromel. Il ne fait pas les choses à moitié et nous traite presque comme des seigneurs que nous ne sommes pas vraiment. Enfin, en tout cas, contrairement à Bjorn qui semble ravi de ce traitement, je n’ai aucune ambition de prendre plus de responsabilités et me contenterais bien de continuer à vivre tranquillement dans ma ferme, si possible avec Clothilde à mes côtés maintenant qu’elle a fait le voyage jusqu’ici.

Une fois installés chez lui, nous écoutons Olaf qui nous explique pourquoi il nous a pris à part. Il semblerait que le succès de notre expédition nous donne un certain statut et qu’il a besoin à la fois de réaffirmer son autorité sur nous mais aussi de nous mettre en confiance afin que nous procédions bien au partage des richesses sans oublier de le favoriser comme son rôle l’y autorise. Je me dis que s’il prend la peine de faire ça, c’est que les premiers récits des combats que nous avons menés en terres normandes ont dû l’impressionner.

— Je suis ravi que vous soyez revenus avec autant de biens et de marchandises ! C’est une vraie bénédiction des Dieux et nous allons passer un hiver tranquille grâce à tout ce que vous avez ramené. Alors, racontez-moi tout ! C’était comment la Normandie ? Je veux tout savoir !

— On s’est battus, on a conquis, on a gagné, il n’y a pas grand chose d’autre à dire, dis-je, un peu blasé de cette discussion qui me semble inutile.

— Oh, je suis sûr qu’il y a plus que ça ! Comment avez-vous fait pour nous ramener autant de poules ? Et même des moutons ! C’est incroyable, vous avez conquis toute la Normandie ou quoi ?

Je préfère ne pas répondre et laisse Bjorn prendre la parole. Il a l’air si fier de ce qu’il a accompli qu’il semble prêt à passer des heures à tout raconter.

— Einar a raison, c’était tellement facile de prendre les villages les uns après les autres que c’était davantage une balade qu’autre chose. Les Normands ont cherché à lutter, mais ça n’a pas été bien difficile, finalement.

— Pas difficile, c’est aussi parce que vous aviez la bonne stratégie, non ? s’enquiert notre Jarl.

Je soupire car je sens qu’on va partir sur des questions qui ne m’intéressent pas du tout. Le vrai combattant, c’est Bjorn. Moi, je me contente juste de gérer…

— Evidemment ! Rien n’a été laissé au hasard, sinon nous ne serions pas revenus aussi chargés ! Les hommes ont été bons et nous avons trouvé des alliés sur place, c’était l’idéal. Est-ce qu’on peut aller fêter ça, maintenant ?

Je décide de profiter de l’occasion pour m’échapper de cet entretien qui ne m’amuse pas du tout.

— Moi, je vais vous laisser, je rentre à la maison. Le voyage m’a épuisé. Amusez-vous bien.

— Tu ne viens pas faire la fête avec moi ? m’interroge Bjorn, les sourcils froncés.

— Non, non, je te laisse, c’est toi, le vrai héros, ajouté-je en sachant très bien que ça va flatter son orgueil.

— Très bien… Repose-toi bien alors, ça fera plus d’alcool pour moi !

Je les salue alors qu’ils sont déjà en train de faire un état de tout ce que nous avons ramené. Je m’éclipse discrètement et rentre à la maison où je tombe sur ma mère qui est en train de se coiffer. Visiblement, elle ne s’attendait pas à ce que je rentre si tôt.

— Bonjour Maman, tu vas à la fête, on dirait ?

— Evidemment ! Je vais célébrer mes fils et les Dieux qui vous ont protégés.

— Tu as raison, c’est sûrement la dernière fête avant l’hiver en plus. Marguerite aussi part avec toi ?

— Elle y est déjà. Je l’ai aperçue sur le chemin avec une femme que je ne connais pas. L’une de vos prises, j’imagine.

— Oh, elles sont sorties ? J’espère qu’elle va faire attention. C’est Bjorn qui a ramené la jeune femme, il faut la protéger.

— Je me suis douté, oui. Ce n’est pas vraiment ton genre de faire ça. Marguerite va s’occuper d’elle et personne ne la touchera lorsque ton frère aura fait ce qu’il a à faire.

— Ce qu’il a à faire ? Tu veux dire quoi par là ? demandé-je, intrigué.

— Tu as déjà oublié nos règles, Einar ? La revendiquer, l’épouser, ou la faire esclave, dans tous les cas, il va devoir affirmer son autorité.

— Je ne crois pas qu’il y ait grand monde qui ose tenter quoi que ce soit, grommelé-je en me demandant si j’en fais partie ou pas.

— Ah oui ? sourit-elle. Il s’est affirmé à ce point ?

— Oui, tu vas pouvoir encore être plus fière de lui qu’avant. Il n’attend que ça.

— Parfait ! Le digne fils de sa mère, jubile-t-elle. Je suis contente que vous soyez tous les deux de retour sains et saufs.

Oui, surtout Bjorn, je suis sûr. Je ne dis rien et la regarde finaliser sa coiffure avant de vite sortir pour aller retrouver le fils prodigue et me laisser ici, sans même me demander pourquoi je suis rentré. Je me dis que ça ne sert à rien d’être jaloux et je vais me poser un instant sur ma couche, afin de me reposer un peu. Je n’ai pas menti en disant que ça me ferait du bien, un peu de calme.

Je ne sais pas combien de temps je reste là, perdu dans mes pensées, mais j’entends bientôt la porte qui s’ouvre et je me redresse quand je constate que c’est Marguerite qui revient. Et elle n’est pas seule. Clothilde est là et nous ne pouvons cacher à Marguerite notre échange de regards. Je crois que ma nounou comprend tout de suite ce qu’il se passe car elle s’approche de moi pour me prendre dans ses bras.

— Je vais me coucher. Traite-la bien, mon petit, elle est terrifiée… chuchote-t-elle. Mais aussi en colère.

— Bonne nuit, Marguerite. Je sais… Et merci, soufflé-je avant qu’elle ne s’éloigne et me laisse seul, face à la jolie brune qui s’avance vers moi, un doigt accusateur pointé dans ma direction. Clothilde…

Elle m’interrompt sans me laisser le temps de terminer ma phrase.

— Quoi ? Tu vas me sortir quoi comme excuse pour que je me retrouve ici ? Tu n’y peux rien ? Bien sûr, j’ai compris, mais ça ne change rien au fait que tu as laissé faire ton frère alors que tu m’avais promis que tu me protégerais de lui !

— Si tu étais restée à la ferme, tu ne risquais rien, la contré-je. Qu’est-ce qui t’a pris de venir si près de nos drakkars ? Tu es folle ou quoi ?

— Ce qui m’a pris ? Vraiment ? Tu es parti au beau milieu de la nuit, comment crois-tu que je me suis sentie ? On venait de coucher ensemble et… pour l’amour du Ciel, Einar, je voulais juste… j’espérais avoir quelques dernières minutes avec l’homme qui a fait de moi une femme, excuse-moi d’avoir voulu que nos adieux ressemblent à autre chose qu’un abandon après que tu as joui de mon corps !

Je la regarde et essaie de comprendre tout ce qu’elle est en train de me dire. Elle a parlé d’une seule traite et il me faut quelques instants pour voir que c’est de ma faute si elle se retrouve là.

— Je suis désolé, Clothilde… J’aurais dû te laisser tranquille… tenté-je de m’excuser.

— Quoi ? Tu regrettes ? Je sais que… enfin, je sais que je n’ai pas d’expérience, mais je pensais que tu avais apprécié… s’étonne-t-elle, rougissante en détournant le regard.

— Mais non, ce n’est pas ça ! C’était formidable mais regarde où ça t’a menée ! Ici, dans notre belle Swede mais loin de ta famille. C’est une catastrophe.

— Pourquoi Bjorn ne peut-il pas être comme toi ? geint-elle. Pourquoi est-ce qu’il prend tant de plaisir à nous capturer ? C’est… incompréhensible.

— Parce qu’il a gagné la guerre et que tout lui est dû, désormais. Ici, il est presque au statut de notre Jarl, notre seigneur. Personne ne peut s’opposer à lui.

— Bien… sache que si vous lui baisez tous les pieds, ce ne sera pas mon cas, me lance-t-elle froidement. Gagner la guerre en attaquant des paysans qui n’ont rien demandé n’a rien de glorieux, tout comme soumettre des femmes, d’ailleurs. Je ne me laisserai pas faire, je te l’ai déjà dit et je le réitère…

— Je vais tout faire pour te protéger, tu sais ? Je ne veux pas qu’il t’arrive du mal, même si tu es loin de chez toi.

— Ah oui ? Tu seras là à chaque fois que ton frère veut me mettre dans son lit, peut-être ? Permets-moi d’en douter.

— Je ne sais pas, Clothilde, je fais tout ce que je peux pour éviter ça, mais… la situation est compliquée. Tu te rends compte que c’est lui qui t’a ramenée ici ? Cela veut dire que tu es à lui, totalement !

— Je ne lui appartiendrai jamais. D’ailleurs, je n’appartiendrai jamais à aucun homme, puisque vous semblez tous aussi prompts à nous trahir. Mon père, en me promettant à un homme, cet homme en devenant un immonde goujat, ton frère en me capturant comme si j’étais une pièce d’or, et toi… en le laissant m’emmener.

— J’ai essayé, Clothilde, je te promets que j’ai essayé…

— Eh bien tu n’as pas essayé assez fort, souffle-t-elle alors que ses yeux s’embuent.

Je n’ai pas le temps de continuer à me défendre que déjà elle se précipite vers la pièce où est partie Marguerite. Je la regarde s’éloigner sans pouvoir bouger. J’ai l’impression que toute sa colère est dirigée vers moi. Elle a raison d’une façon. Si je n’avais pas cédé à mes pulsions, elle serait encore tranquillement dans sa ferme avec sa famille au lieu d’être ici, avec la mienne et surtout à proximité de Bjorn qui ne pense qu’à une chose, la mettre dans son lit. Je me sens tellement impuissant que j’en ai les larmes aux yeux. Quelle galère…

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