49. Une alliée résignée

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Clothilde

De ma couche, installée près de celle de Marguerite, je peux entendre Bjorn ronfler comme un bienheureux… Pourtant, le soleil est levé depuis un moment déjà, j’ai pour ma part regagné les couvertures après que la Normande m’a sortie du lit pour que je mange et l’accompagne au marché, pour faire des provisions pour la famille. Donc, je deviens le larbin d’une famille qui n’est pas la mienne. En gros, mon rôle reste à peu près le même que chez moi, sauf que je ne vois plus mes frères, ma sœur et mon père. Non, je dois accompagner Marguerite pour nourrir trois Vikings, dont mon bourreau. Ce début de journée est bien réjouissant.

En regagnant la maison, j’ai croisé Einar qui en sortait et j’ai détourné le regard. Le savoir à la fois si proche et si loin de moi me brise le cœur. Je sais que ma colère à son encontre n’est pas justifiée, que je devrais me calmer, qu’il n’y est pour rien, mais je crois qu’il m’est plus facile de lui en vouloir que d’accepter qu’il se résigne à me laisser aux mains de son frère.

Je me suis dépêchée de regagner ma couche, prétextant avoir froid, ce qui en soi n’est pas totalement faux. En vérité, passer du temps dans ce village, entourée de Vikings, ne m’a absolument pas rassurée. Marguerite peut bien être aussi bienveillante qu’elle le souhaite, elle n’est qu’une femme et une esclave, cela ne me garantit absolument pas la sécurité. Je ne sais pas comment elle est parvenue à se satisfaire de sa condition. Quoique, je me dis que la sienne peut être plus simple que la mienne. Marguerite n’appartient pas à un homme, elle n’a pas à offrir son corps et, de ce que j’ai compris, elle s’est essentiellement occupée d’élever Bjorn et Einar.

Je me fige en entendant la voix de Bjorn. Perdue dans mes pensées, je ne l’ai pas entendu se lever. Il semble de bonne humeur mais sa voix rauque et fatiguée confirme que la nuit a été longue et festive pour lui. Je l’ai entendu se coucher, non sans avoir pris peur lorsque je l’ai imaginé me rejoindre ou exiger que je l’accompagne jusqu’à sa couche. J’ai prié pour qu’il m’ait oubliée, comme je le fais à cet instant. Malheureusement, je me rends compte que mes prières ne seront pas exaucées assez rapidement.

— Où est la Normande, Marguerite ?

— Elle est là où elle doit être, répond-elle laconiquement. Qu’est-ce que tu lui veux ?

— C’est avec moi qu’elle doit être, donc je dirais qu’elle n’est pas là où il faut, bougonne Bjorn alors que je me recroqueville sous ma peau de bête. Le reste ne te regarde pas, j’imagine.

— Eh bien, il va falloir que tu patientes un peu, mon garçon. Là, elle est incommodée, si tu vois ce que je veux dire. Impure. Et clairement, elle est traumatisée et n’a pas besoin que tu lui sautes dessus à peine arrivé. Tu dois la respecter, tu sais ?

— Qui te dit que je ne vais pas la respecter ? J’ai été bien élevé.

— Eh bien, pour ça, il va falloir te calmer un peu et attendre qu’elle soit de nouveau prête à enfanter, Bjorn. Là, tu dois patienter. Et je suis sûre que si tu ne peux pas attendre, Rhadia sera ravie de t’accueillir chez elle.

— Rhadia m’a accueilli cette nuit, tu vois, j’ai déjà été très patient, Marguerite, soupire-t-il. Ne manquait plus qu’elle saigne, le sort se ligue contre moi.

— Tu es un grand garçon et tu vas savoir patienter. La pauvre, tu n’imagines même pas ce qu’elle vit en ce moment.

— Tu es trop gentille, Marguerite… Cette petite a du caractère et je suis sûr qu’elle va se faire à la vie ici. Elle est mignonne, en plus, je suis sûr que tu vas lui apprendre tout ce qu’elle doit savoir.

— Oui, n’oublie pas que c’est ton père qui m’a tout appris. Alors, sois patient, fais comme lui et respecte-la. C’est le seul moyen de ne pas lui faire peur et la marquer à vie.

Le soupir de Bjorn semble désespéré, et moi j’avoue que je vais rapidement vénérer cette femme si elle parvient à se faire entendre de lui. Ça ne résoudra pas mon problème sur le long terme, mais au moins, je vais peut-être pouvoir souffler un peu. Pour combien de temps ? Telle est la question.

— Bien… Si ça peut te faire plaisir. Mais je ne vais pas attendre des semaines, non plus. Tu l’as vue, Marguerite ? C’est difficile de lui résister…

— Elle est très belle en effet, tu as bien choisi. Même si je suis sûre qu’elle aurait préféré rester chez elle. Laisse lui le temps, tu as tout à y gagner.

— Oui, ou je pourrais me la faire voler, marmonne-t-il. Bon, je vais rejoindre le Jarl… A plus tard.

Je crois l’entendre embrasser Marguerite avant que la porte claque, et je relâche mon souffle sans avoir eu conscience de le retenir. Tout mon corps se détend alors que je me fustige d’avoir été assez idiote pour approcher les Vikings sur cette plage, rien que pour un baiser. Quelle idée ! Sans cela, je serais tranquillement chez moi, en train de m’épuiser à m’occuper des vaches et des brebis, de faire du fromage, de batailler avec les jumeaux pour qu’ils se calment, de brosser les cheveux d’Isolde en l’entendant se plaindre de mon manque de douceur… Ils me manquent déjà tous atrocement et je ne parviens pas à me dire que jamais je ne les reverrai.

Je profite de savoir Marguerite seule pour me lever et la rejoindre. Je n’ai pas grand-chose d’autre à faire, de toute façon. Ce matin, j’ai croisé la mère d’Einar et Bjorn, et autant dire que la Normande m’inspire davantage confiance et est plus accueillante que la Viking. Tout le monde a quitté la maison, ce qui me permet de sortir de ma cachette, qui n’en est pas réellement une, et de respirer un peu plus.

Marguerite me sourit avec bienveillance et j’ai à peine le temps de m’installer qu’un verre de lait chaud est posé sous mon nez, ainsi qu’un ragoût de je ne sais quoi qui sent divinement bon.

— Merci, mais je n’ai pas très faim…

— Il faut manger, si tu veux avoir l'énergie suffisante pour affronter Bjorn. Il ne va pas patienter très longtemps, tu sais ?

— Je sais… mais il ne sera pas le premier à essayer et il aura droit au même traitement que le précédent, marmonné-je en piochant dans l’assiette distraitement.

— Tu n'es pas vraiment en position de dire non. Tu n'as aucun soutien ici…

J’en ai conscience, mais ça ne veut pas dire que je vais me laisser faire. Je n’en avais pas davantage à la maison, mon père voulant à tout prix que j’épouse Thibault. Il m’obligeait à passer du temps avec lui, après tout, sans tenir compte de mon avis ou de mon ressenti.

— Einar… Il a dit qu’il me protégerait. Je sais que ça ne va pas résoudre les choses, mais… j’ai confiance en lui. Je crois, tout du moins.

— Oui, c'est un homme de confiance, mais le vrai qui a le pouvoir, c'est Bjorn. Je ne sais pas comment il pourrait t'en protéger…

Magnifique… On peut dire qu’elle n’est pas très douée pour me remonter le moral.

— Est-ce qu’il y a des villages avec des Vikings pacifistes ? Je veux dire… des hommes qui ne cherchent pas à tout prix à voler les autres, à posséder les femmes…

— Des villages entiers ? s'amuse-t-elle. Tu rêves. Les hommes sont les mêmes où que l'on soit. Il y a des guerriers, des peureux ou des sages partout malheureusement.

— Donc pas de village avec que des Einar ? soufflé-je avec un petit sourire aux lèvres. Lui ne m’a jamais obligée à rien…

— Je l'ai bien élevé, n'est-ce pas ? me répond-elle fièrement. Enfin, ça n'a pas fonctionné avec son frère mais Einar est un homme bon. On ne peut lui reprocher que son dévouement pour sa famille.

— Je sais que je suis injuste avec lui, mais je lui en veux de ne pas s’être opposé à Bjorn quand il m’a attirée sur le drakkar. Je ne devais pas partir, normalement… J’aurais dû pouvoir rester avec ma famille, soufflé-je.

— Selon leurs traditions, seul le Viking qui t'a capturée peut te libérer. Enfin, maintenant que tu es ici, plus question de liberté, j'en ai bien peur.

— Et que se passe-t-il si je m’enfuis ? la questionné-je après réflexion.

— Tu ne sais pas ce que c'est un hiver ici, ma pauvre. Jamais tu ne survivrais…

— Eh bien, advienne que pourra… Je ne suis pas faite pour être une gentille femme docile, soupiré-je. J’ai toujours été une rebelle, mon père s’en plaignait souvent.

— Ne dis pas de bêtises, voyons ! La vie est sacrée et il faut tout faire pour la préserver. Et au bout d’un moment, on finit toujours par trouver des solutions.

Je ne suis pas sûre de partager son avis. A moins de me cacher je ne sais où, je ne vois pas de solution. Vivre avec Bjorn ? Je ne pourrai pas. Cet homme est trop… dominateur ? Sûr d’avoir le pouvoir ? J’ai besoin d’un homme comme Einar, capable d’écouter même s’il a un côté autoritaire, de prendre en considération ma parole, mes envies.

— Est-ce que tu penses que Bjorn va faire de moi sa femme ? Ou je ne serai bonne qu’à être une de ses maîtresses ? Si seulement il n’incluait pas le sexe dans tout ça… Je préférerais avoir à élever ses enfants.

— Je crois que tu lui plais beaucoup, Clothilde. A toi de voir si tu es en capacité de le séduire assez pour qu’il fasse de toi sa femme. La balle est dans ton camp, je dirais.

Jouer la séduction, je ne suis pas sûre d’en être capable. Encore moins avec un homme qui me fait peur… Je ne suis déjà pas certaine de l’avoir fait avec Einar, c’était tellement naturel de me rapprocher de lui… lui à qui j’ai fait des reproches qu’il ne mérite pas. Je suis définitivement une idiote, il est mon seul allié, ici, impossible de me maintenir loin de lui. Peu importe ce qui s’est passé, le seul point positif à mon arrivée dans leur pays, c’est que nos adieux n’en étaient pas. Il est là, lui aussi. Si seulement c’était lui qui m’avait emmenée !

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