50. Les charmes de la spectatrice

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Einar

Que c’est difficile d’être sous le même toit que Clothilde et de ne pas pouvoir passer de temps avec elle. Elle est si proche et si inaccessible, c’est tellement frustrant. J’aimerais profiter de l’opportunité qui nous est donnée avec son arrivée forcée en Swede pour continuer ce que nous avions commencé dans son pays mais je n’en ai ni le droit, ni la possibilité. Elle est à Bjorn et si je fais quoi que ce soit, ça sera lourd de conséquences. La seule chose qui me rassure un peu, c’est que Rhadia semble avoir mis le grappin sur lui et qu’il délaisse sa captive pour d’autres draps. Il n’est d’ailleurs pas rentré de la nuit et cela me fait plaisir de constater que Clothilde semble pour l’instant à l’abri de ses avances. Je sais que ça ne durera pas mais au moins, ça lui laisse un peu le temps de s’acclimater et s’habituer à nos us et coutumes.

En parlant de coutumes, je suis attablé ce matin avec les trois femmes de la maison pour le dagmal, notre premier repas du jour, et Clothilde semble un peu surprise de nous voir manger les restes du repas d’hier. C’est ce que nous faisons habituellement mais je me lève et vais récupérer dans la salle qui nous sert de garde-manger un broc de lait que je lui ramène.

— Si tu le veux chaud, je te laisse le réchauffer, dis-je en lui tendant le récipient.

— Merci, souffle-t-elle timidement en récupérant le broc. Froid, ça ira…

Je me réinstalle et l’observe du coin de l'œil alors qu’elle remplit son gobelet. Ma mère n’a rien perdu de l’échange et nous lance un regard peu amène.

— Einar… Fais attention à ce que tu fais. Bjorn n’apprécierait pas que tu lui voles son jouet, tu le connais. Un peu de respect, cesse de lui faire les yeux doux.

Je hausse les sourcils et la regarde, surpris de sa remarque. C’est donc si visible que ça ? Je me morigène intérieurement et hésite à répondre avant de me lancer.

— Lui ne se gêne pas pour voler les miens, je ne vois pas pourquoi la réciproque ne pourrait pas être vraie. Il a l’air occupé avec une autre paire de nichons, dis-je, avant de sourire quand j’entends Marguerite traduire à Clothilde en utilisant des mots plus choisis.

— Eh bien, peut-être que tu devrais te poser des questions, si tes jouets ont le droit d’aller s’amuser ailleurs, non ? Ou te demander pourquoi ils en ont envie ?

— Je n’ai plus dix ans, Maman, et je fais bien ce que je veux, grommelé-je avant de sucer l’os de poulet que j’ai déjà bien dévoré.

— Eh bien, tu ne fais pas grand-chose, mon garçon. A part papillonner des yeux avec la Normande de ton frère, je veux dire. Il y a du travail ici, l’hiver approche et Marguerite et moi n’avons pas pu tout préparer comme il se doit sans vous.

— Tu n’as pas demandé à des hommes du village de vous aider ? Il y a quoi à faire ? l’interrogé-je sans relever ses remontrances que je trouve injustes.

— Il y a des fuites sur le toit à réparer, le stock de bois pour l’hiver à faire. Il ne restait pas beaucoup d’hommes avec votre départ, je te rappelle. Si vous étiez partis moins longtemps, tout ceci serait déjà réglé.

— Et si mon frère était resté, il aurait pu faire tout ça, soupiré-je. Je te rappelle qu’il s’est porté volontaire pour partir à la guerre. Mais bon, tu as raison, ça m’occupera. Je vais commencer par le toit, si ça te va. Comme ça, je pourrai continuer à mater, mais du dessus.

Je me lève en m’amusant de son air courroucé et souris à Clothilde qui semble avoir compris l’essentiel de notre conversation.

— Désolé, Madame, lui dis-je avant de partir, mais il semblerait que je sois dans l’obligation d’aller travailler pour ne pas céder à vos charmes. Je m’exécute mais je ne suis pas sûr que ça fonctionne.

Je ne sais pas pourquoi je provoque ainsi ma mère mais suis ravi de voir le sourire de la jolie brune s’élargir.

— Travaille bien alors, mon cher. J’avoue que ça me fait plaisir de voir que toi non plus, tu n’aimes pas les ordres, souffle-t-elle.

Je lui fais un clin d'œil et une petite révérence très irrévérencieuse à ma mère avant d’aller chercher une échelle. Je monte sur le toit et examine l’architecture en bois qui semble en effet avoir souffert à certains endroits. Cela n’a pas l’air catastrophique mais il y a du travail pour réparer les différentes fuites. Je redescends et vais récupérer les outils dont j’ai besoin. Je croise Clothilde alors que j’ai déjà les mains sur le barreau de l’échelle.

— Ma mère t’a trouvé une tâche à faire ? lui demandé-je en souriant.

— Ta mère m’ignore totalement. Marguerite m’a demandé de t’apporter de quoi boire et d’en profiter pour prendre l’air…

— Ah Marguerite, une perle… Si tu veux t’occuper pendant que je suis sur le toit, tu pourrais rassembler quelques bûches qui sont dans la réserve et les ramener ici pour que je les coupe ?

Je préfère ne pas m’attarder et l’envoyer vaquer à d’autres occupations car, si elle reste, je risque de ne pas être très concentré sur ma tâche.

— D’accord… Einar ? Je… je voulais te dire que je suis désolée pour hier. Je sais que ce n’est pas une excuse, mais ces derniers jours ont été plutôt bouleversants et… ce n’est pas ta faute, je n’aurais pas dû m’en prendre à toi.

— Excuse acceptée, Clothilde. A plus tard, indiqué-je en lui souriant. On a du travail, là !

— Chassez le naturel et il revient au galop, sourit-elle doucement. A vos ordres…

Je remonte sur mon toit et m’occupe pendant le reste de la matinée tout en observant Clothilde qui ne manque pas une occasion d’apparaître dans mon champ de vision. Lorsque j’ai terminé de colmater les brèches et que j’ai réparé les parties abîmées, je redescends et me dirige vers le tas de bois que Clothilde a rassemblé au milieu de la cour. Je soupire car je ne suis pas fan du travail que m’a assigné ma mère et je retire ma veste, le soleil étant déjà haut dans le ciel, ce qui me donne chaud.

Je commence à prendre les stères de bois et à les débiter avec la lourde hache qui a appartenu à mon père. J’essaie de tenir un rythme assez soutenu pour ne pas avoir à y passer toute la journée. Une stère après l’autre. Sans réfléchir. C’est le seul avantage de ce travail physique. Travail que je suis obligé d’interrompre un instant quand la jolie Normande vient à nouveau me rejoindre et s’assoit sur une bûche pour me regarder faire.

— C’est comme ça que tu m’aides ? me moqué-je en levant à nouveau la hache au-dessus de ma tête avant de la rabattre avec force.

— Je suis douée avec les animaux, moins avec le bois, que veux-tu. Ca me manque déjà, d’ailleurs.

— Je comprends et j’ai vraiment tout fait pour te préserver et te permettre de rester là-bas. Je… je n’avais pas prévu que tu viennes dans la bouche du loup. C’est comme ça que vous dites, non ?

— On dit dans la gueule du loup, sourit-elle. Les humains ont des bouches, les animaux des gueules, beau Viking.

— Et pourtant, c’est la même chose, soupiré-je, avant de me remettre un instant à couper le bois tandis que Clothilde ne bouge pas et continue à m’observer.

Je m’arrête à nouveau après quelques rondins taillés avec force quand je me rends compte qu’elle n’a pas détaché son regard de moi.

— Il y a un souci ? demandé-je en reposant le bout de ma hache sur le sol à mes côtés.

— Non, pourquoi tu me poses cette question ? Je n’ai pas le droit de te regarder ? Il fait froid, je suis dans un pays étranger, plus seule que jamais, et tu es la seule chose agréable dans les parages, j’ai le droit de te regarder, non ?

Je lui souris et remarque qu’elle détaille les tatouages qui couvrent mon torse avec un regard pétillant d’envie.

— Si ma mère te voyait, elle ne serait pas contente, tu sais ? Tu te trompes de Viking, là.

— Je n’y peux rien si le Viking qui m’a enlevée n’est pas celui qui m’intéresse, soupire-t-elle en haussant les épaules. Je me fiche bien de Bjorn… et je sais que nous ne nous sommes rien promis, que c’était… passager, mais c’est ainsi.

— Passager ? Je ne crois pas que ce soit le bon mot. C’était censé ne pas se reproduire avec mon départ, en effet. Mais maintenant que tu es là, tout a changé, non ? Enfin, ajouté-je précipitamment, ce que je veux dire, c’est que ce que je ressentais pour toi en Normandie, je le ressens toujours. Mais bon, on ne peut plus vraiment en profiter, ce ne serait pas correct vis-à-vis de mon frère.

— C’est vrai qu’enlever une jeune femme promise à un autre n’est pas du tout le genre de ton frère, hein ?

— Ce n’est pas mon genre à moi, j’ai des principes, rétorqué-je. Même si je ne dirais pas non à un baiser parce que mes principes ont du mal à te résister, jolie Clothilde.

— Ton frère n’a pas de principes, lui, pourquoi devrais-tu le respecter ? marmonne-t-elle en se levant. Donc, je ne suis bonne qu’à t’offrir un baiser quand tu es en manque ?

Cette femme va me rendre fou. Je lui dis qu’elle est capable de me faire sortir du droit chemin et elle réduit ça à une simple demande de baiser ?

— Je n’ai pas dit ça, Clothilde. J’ai juste dit que tu avais tant de charme que tu parviens à me faire oublier le reste du monde.

— Et donc, tu vas faire quoi ? M’embrasser juste à côté de chez toi ? Risquer de te faire surprendre ? Parce que je ne dis pas non à oublier le reste du monde l’espace de quelques secondes…

En parlant, elle s’est encore approchée et je sens ses mains fraîches se poser sur mon torse couvert de sueur. Elle est si belle, si adorable que je ne résiste pas à la tentation qu’elle m’offre et je pose mes mains sur ses hanches, laissant tomber ma hache à nos pieds. Elle s’agrippe à mon cou et nos bouches se retrouvent, réveillant en moi immédiatement le désir que je ressens à chaque fois que je suis près d’elle. Le temps de ce baiser, j’oublie vraiment le monde extérieur et je laisse mes mains parcourir son dos. Nos langues se sont retrouvées comme si elles ne s’étaient jamais quittées et je profite de cet instant comme si c’était notre premier baiser. Ça l’est en quelque sorte car c’est le premier que nous échangeons depuis que nous sommes rentrés. Lorsqu’enfin elle s’écarte un peu, je vois le rouge qui est monté à ses joues et je suis ravi de constater que malgré son enlèvement, elle semble m’avoir effectivement pardonné.

— Tu vois, je suis prêt à tout risquer pour toi. C’est une jolie preuve, non ?

— Le risque était minime, avoue, glousse-t-elle. Tu es tellement grand que personne n’aurait pu me reconnaître.

— Parce que c’est vrai qu’il y a beaucoup de jolies jeunes femmes qui habitent ici, hein ? Tu sais, Clothilde, tu ne me crois peut-être pas mais je vais tout faire pour te protéger de Bjorn. Je n’ai aucune envie qu’il puisse poser ses mains sur toi.

— Je te crois, même si j’ai peur que ça ne suffise pas…

J’ai envie de la rassurer, de lui dire de ne pas avoir peur mais je ne veux pas lui mentir. Moi non plus, je ne suis pas sûr que ça suffise. Jusqu’à maintenant, j’ai réussi à lui éviter toutes les avances de Bjorn mais je sais que dès qu’il se sera lassé de Rhadia, c’est vers elle qu’il va se tourner. Il aura à peine sorti son engin de l’antre de mon ex que c’est vers celle qui me fait tourner la tête maintenant qu’il va se tourner. Et quand ce moment sera venu, pourrai-je vraiment l’empêcher de mettre ses menaces à exécution ?

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