53. Propriété rebelle
Clothilde
Je détourne le regard en constatant qu’il arbore un sourire satisfait sur son joli visage que j’ai à présent envie de gifler. Monsieur a obtenu ce qu’il souhaitait, et moi je suis morte de honte d’avoir cédé à ses charmes. Son côté autoritaire m’a fait peur, en toute honnêteté. Pour la première fois, j’ai vu la ressemblance entre son frère et lui alors qu’il me disait que je lui appartenais et que je n’avais pas mon mot à dire. Je me demande s’il aurait insisté, s’il serait allé au bout si je n’avais pas voulu…
Toujours est-il que je n’ai pas trop réfléchi quand nos corps sont entrés en contact. J’avais tellement envie de retrouver les sensations de cette soirée à la cabane. Einar me manquait atrocement, c’est une réalité, et aujourd’hui, ce constat me rend amère. Si je ne suis pas que son esclave, que suis-je pour lui ? Une bonne occasion de coucher facile ? Parce que c’est évident que je suis éprise de cet homme, et il sait comment me mener là où il le souhaite.
La chaleur du feu au centre de la pièce ne suffit pas à atténuer mon malaise, et je me précipite finalement vers mes vêtements pour les enfiler. J’ai besoin de me soustraire à son regard, de m’éloigner de son corps nu, de mon désir pour lui, de cette attirance qui nous lie. J’ai l’impression de sentir encore sa peau contre la mienne, ses mains qui me touchent et m’agrippent avec fermeté, sans parler de son vit qui m’envahit avec vigueur. Se rend-il seulement compte de ce que je peux éprouver ?
Je suis en train de resserrer mon châle autour de mes épaules quand nos regards se croisent. Einar m’observe en silence et avec attention, me faisant stopper mon geste. Je ne sais plus quoi dire, quoi faire. Une partie de moi aurait voulu qu’il soit plus tendre, moins revendicatif. L’autre… doit se taire sous peine de me faire devenir folle.
— Pardon, tu voulais que je reste nue ? lui demandé-je plutôt sèchement. Tu comptes encore me sauter dessus comme une brute et exiger ?
— Oh non, tu peux te rhabiller, bien sûr. Enfin, tu es magnifique, superbe même, mais… tu n’as pas aimé ? s’inquiète-t-il en se rapprochant doucement de moi.
— C’est la deuxième fois de ma vie que je couche avec un homme et tu m’as touchée comme une prostituée de maison close, excuse-moi de ne pas être très enthousiaste, Einar !
Il s’arrête à quelques centimètres de moi et me regarde, interdit. Visiblement, il ne s’attendait pas à ce que je lui dise ça.
— Je… je suis désolé, Clothilde. Je crois que je me suis laissé emporter par mon désir de toi. J’aurais dû me souvenir que ce n’était que notre deuxième fois ensemble, dit-il d’une voix basse. Mais toi et moi, c’est tellement évident… Et le pire, c’est que comme la première fois, j’ai eu l’impression que c’était le paradis. Quel barbare, je fais !
— Tu t’es laissé emporter par ton désir ou ton besoin de me montrer qui commande ? Parce que ton désir était bien présent à la cabane aussi, et pourtant…
Comment assumer que malgré tout, j’ai apprécié ce moment ? Oui, c’était inconfortable au début, mais la passion qu’il a mis dans cette étreinte m’a fait voir autant d’étoiles que lors de notre première nuit. Je ne peux pas lui avouer, surtout pas alors que j’essaie de lui faire entendre que je refuse d’être son jouet.
— C’est vrai que j’aime prendre le dessus… Cela me… me donne encore plus envie, tu vois ? me répond-il, gêné. Mais ce n’est pas commander, c’est… c’est compliqué à expliquer et c’est étrange de parler de ça, non ? J’ai du mal à mettre des mots.
— Peut-être que c’est étrange, mais j’ai besoin de comprendre… D’autant plus qu’après ta petite démonstration, je pourrais très bien porter ton enfant, tu en as conscience ?
— Comprendre ? répète-t-il, toujours aussi décontenancé par mes propos et mon attitude.
— Oui, comprendre. Pourquoi tu aimes ça, pourquoi… moi, j’ai pu apprécier. Je ne connais rien de tout ça, Einar, et j’ai été élevée en apprenant que ces moments intimes ont lieu quand on veut procréer, pas simplement pour le plaisir…
— Tu as apprécié aussi ? sourit-il. Je… je croyais avoir tout gâché entre nous mais si ça ne t’a pas déplu, tout n’est pas perdu. Il n’y a rien à comprendre, alors. Si ça fait plaisir, on le fait, sinon, on ne le fait pas, c’est tout.
Je passe ma main sur mon visage et resserre mon châle autour de moi en soupirant. Tout ceci est bien trop déstabilisant. Tout est nouveau, tout est bouleversant, certaines choses dans le bon sens, d’autres non.
— Est-ce que tu disais vrai, tout à l’heure ? Nous ne sommes plus chez moi et l’homme que j’ai rencontré là-bas n’est pas celui qui vit ici ? Quand je t’ai dit que j’avais envie de l’homme de chez moi…
Il réfléchit un instant et tend les mains vers moi en signe d’apaisement. J’hésite un instant avant de poser les miennes sur les siennes.
— Excuse-moi, Clothilde. Je suis le même homme mais c’est vrai que nous avons encore beaucoup à apprendre l’un sur l’autre. J’essaierai d’être moins… brutal à l’avenir, même si ça me plaît parfois de faire ainsi avec ma partenaire. Promis. Quant à ne plus être chez toi, tu ne l’es plus, non. La vie ici est totalement différente de tout ce que tu as connu en Normandie.
— Je demande juste du respect, Einar. Je… j’ai bien compris que mon statut ici serait difficile à accepter pour moi, que je quittais un mariage de convenance pour quelque chose de pas vraiment plus glorieux, en soi. Je ne dis pas que tu dois brider ta fougue, juste… J’aimerais vraiment que ce qu’on a vécu chez moi ne soit pas une simple chimère.
— Je ne comprends pas tout ce que tu dis, Clothilde, je suis désolé, mon Normand reste limité, mais je peux t’assurer que tu n’es pas qu’une simple relation. Et dès que j’aurai installé une couche ici, on pourra faire comme dans la cabane, je te le promets.
— Est-ce que je peux exiger que tu me prennes dans tes bras ? souris-je. Ou te le demander suffit ? Ou alors, je prends sans demander ?
— Exige ou demande, je ne fais pas la différence parce que je ne dirai jamais non pour te prendre dans mes bras.
La petite rebelle en moi se réveille malgré ses propos qui me plaisent beaucoup trop, et je fais le dernier pas qui nous sépare pour me blottir contre lui. J’étreins sa taille de mes bras et soupire de contentement lorsque les siens se referment autour de moi. Elle est là, toute la différence entre Bjorn et Einar. Je doute que le premier aurait eu un quelconque geste affectueux envers moi, quand mon Viking et moi avons commencé par nous rapprocher de la sorte. Il y a un lien inexplicable entre lui et moi, entre l’envahisseur et l’envahie, entre cet homme qui n’aurait jamais dû m’intéresser et moi, la jeune femme dont il aurait simplement dû profiter comme l’ont fait certains de ses compagnons avec d’autres.
Uniquement vêtu de ses braies, Einar me serre contre lui et je crois pouvoir percevoir du soulagement dans cette étreinte, sentiment qui ne vient pas que de moi.
— Alors, quelle est la suite ? Qu’est-ce que… De quoi sera fait l’avenir pour nous ? On va s’installer ici, c’est ça ?
— Oui, dès qu’on peut. Pour s’éloigner de ma mère. Et te protéger de Bjorn. Je ne suis pas sûr qu’il continue à te respecter si tu restes sous le même toit que lui. Il… il n’est pas du genre à accepter un “non” quand il a envie de quelque chose.
— J’ai hâte de quitter cette maison, soufflé-je. Ta mère ne m’apprécie pas vraiment…
— Elle n’a rien contre toi en particulier, je pense. C’est juste que tu es une esclave et que pour elle, tu n’es pas digne de son fils adoré. Elle devrait se réjouir que ce soit son autre fils qui t’ait récupérée mais elle apprécie très peu la façon dont j’ai procédé et qui, selon elle, rabaisse Bjorn.
— Est-ce que tu vas avoir des ennuis, Einar ? soufflé-je en promenant mes doigts sur son torse.
— Non, j’en aurais eu si je n’avais pas invoqué la loi de nos Dieux. Mais là, même si ma mère risque d’avoir du mal à me pardonner, elle ne peut rien contre moi. Et avec mon frère, ce n’est pas notre premier différend. Il va vite se remettre, tu verras. Et… il risque de ne pas abandonner ses avances te concernant. Cela ne l’a jamais dérangé par le passé que je sois avec une femme pour tenter de la séduire ou la faire sienne.
— Est-ce que je suis en droit de lui dire non ? De lui donner un coup de genou bien placé s’il me touche ? Je n’ai aucune envie qu’un autre homme que toi me touche…
— C’est… compliqué, en réalité. Tu es… Désolé, tu ne vas pas aimer mais c’est ainsi, tu es ma propriété. Il n’a normalement pas le droit d’y toucher. Mais s’il dit qu’il t’a “empruntée”, jamais il ne sera condamné à quoi que ce soit. Et puis, la parole d’un Viking contre celle d’une esclave, ça ne pèse pas la même chose. Le coup de genou semble la meilleure défense… ou alors, rester avec moi tout le temps.
— J’espère qu’un jour, les femmes auront la mainmise sur le monde, marmonné-je. Les hommes sont des goujats qui prennent plaisir à nous asservir pour leur propre plaisir, sous prétexte qu’ils nous sont supérieurs. Et supérieurs en quoi, hein ?
Je souffle et lève les yeux vers lui avec un sourire contrit. La “propriété” du Viking est bavarde et peu docile, j’espère qu’il va s’en contenter… même si je ne doute pas qu’il préférerait que je me taise et dise Amen à tout.
— Donc, je reste avec toi, continué-je pour changer de sujet. Est-ce que je peux t’aider pour les travaux ? Je ne suis pas… Enfin, ce n’est pas mon fort, mais j’apprends vite et j’ai de l’énergie…
— Ici, les femmes ne font pas ce genre de travaux, commence-t-il avant de poursuivre en voyant ma déception, mais on pourra dire que tu viens me tenir compagnie et que tu t’occupes du nettoyage et de la nourriture pour que tu puisses m’accompagner. Cela te va, jolie Clothilde ? Je… je veux tout faire pour que tu te sentes bien ici malgré les circonstances. Et puis, l’hiver va arriver et il faut qu’on s’y prépare. Il faut amasser du bois, faire des réserves de provisions. Tu as peut-être déjà froid mais quand la neige sera là, ce sera encore pire. D’ailleurs, ce serait bien de préparer les animaux à l’hiver aussi, soupire-t-il en me caressant doucement le dos.
— Je veux juste faire tout ce qui est possible pour qu’on s’installe ici le plus rapidement possible. J’ai le droit de m’occuper des animaux ou je dois me contenter de te faire à manger et d’ouvrir les cuisses ? soupiré-je.
— Tu peux t’occuper des animaux, oui, mais je ne dis pas non à ce que tu m’ouvres les cuisses comme tu dis, de temps en temps. Quand tu en as envie, hein ?
— Je vais passer l’hiver sous des tonnes de peaux de bêtes, je te préviens. Je déteste le froid… Tu me tiendras chaud ? souris-je de manière innocente.
— Je te promets que je vais ramener plein de bûches, commence-t-il avant de rire en comprenant ce que j’ai voulu dire. Et tu peux compter sur moi pour que tu n’aies jamais froid, ajoute-t-il avant de m’embrasser avec douceur.
Je réponds à son baiser sans perdre une seconde, quelque peu rassurée par son attitude. Il va assurément me falloir un temps pour m’adapter à tout ça, et je crois que lui aussi, mais voir qu’il entend mes propos et les prend en considération est tout ce qu’il me fallait. Quitte à être “la propriété” de quelqu’un, je préfère autant que ce soit lui, c’est certain.
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