56. L’amour au naturel

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Einar

Je suis content de voir que Bjorn a accepté de m’aider pour cette partie des travaux sur le toit qui nécessitent d’être deux et j’apprécie qu’il soit aussi en forme que moi, au niveau musculature. Il m’aide à transporter les troncs qui me servent à finaliser notre habitation. Nous travaillons en silence jusqu’à ce que Clothilde nous rejoigne pour nous apporter notre repas. Nous nous asseyons autour d’un gros rondin et je constate que Clothilde se méfie toujours autant de mon frère, même s’il n’a rien tenté depuis que je l’ai réclamée pour moi. Je déguste une bonne tranche de pain et du fromage tandis que la jolie brune mange la sienne sans quitter des yeux mon frère, comme si elle s’attendait à ce qu’il lui saute dessus à tout moment. Lui s’en moque, apparemment, et nous évoquons un instant les travaux, ce qui fait que je suis surpris quand il commence à me parler de son nouveau rôle auprès du Jarl.

— Tu sais qu’Olaf est toujours inquiet par rapport à nous ? Je crois qu’il me fait confiance, mais il n’a pas l’air rassuré dès que je parle de toi.

— Qu’est-ce qui l’inquiète comme ça ? Il n’a pas vu que je l’ai soutenu lors de l’Assemblée ?

— Je pense qu’il a peur que je prenne sa place et que je m’appuie sur toi pour assurer la révolte. Tu sais, les hommes ont parlé autant de toi que de moi par rapport à notre victoire en Normandie.

Je sens Clothilde se tendre à l’évocation de son pays et je pose une main rassurante sur sa cuisse.

— Il n’a rien à craindre, j’ai tout ce qu’il me faut et aucune velléité de me battre. Tu n’as pas réussi à le rassurer ?

— Non, malheureusement il est convaincu qu’il faut nous séparer pendant quelque temps. Et comme il ne peut pas m’éloigner vu ma nouvelle position, c’est toi qu’il a choisi d’envoyer en mission.

Bjorn dit ça calmement, comme s’il parlait de la pluie et du beau temps, alors qu’il est en train de m’annoncer que je vais peut-être devoir m’exiler.

— Une mission ? Pour faire quoi ? Et combien de temps ? Je te préviens que c’est ici que j’habite, moi. Je veux bien aider s’il faut, mais jamais je ne quitterai le village.

— Il s’agit juste d’une mission, pas de te demander de partir. Je pense qu’il faut qu’on évite de trop être ensemble en public pendant un temps, histoire qu’il abandonne un peu l’idée, sinon il risque de faire ça de manière récurrente.

— On est frères, quand même, on a le droit de se voir, non ? Et tu sais où il m’envoie ?

— Dans un village au sud, à un jour de marche environ, pour négocier l’échange de bétail. On a ramené trop de poules à son goût, il pense qu’on peut récupérer quelques vaches pour augmenter notre production de lait.

— Bien, j’irai dès demain matin, alors. Plus vite j’aurai accompli cette mission, plus vite je pourrai revenir ici pour finir ma maison avant que l’hiver ne nous oblige à passer les prochains mois avec vous.

— Je continuerai à avancer pendant que tu es parti, j’ai fini les dernières réparations chez nous, on est prêts… Vous êtes sûrs de ne pas vouloir rester avec nous pour les prochains mois ? Le Devin prédit un hiver long et particulièrement froid.

Je n’ai qu’à jeter un coup d'œil à Clothilde et la voir frissonner à la proposition de mon frère pour savoir qu’elle n’a qu’une envie, venir vivre ici au plus vite.

— C’est gentil, Bjorn, mais il est temps que je prenne mon indépendance. Et tu sais bien que Maman en a assez de nous savoir sous le même toit. La maison de Papa te reviendra d’office à sa mort, comme ça. C’est mieux pour tout le monde.

— Comme tu veux, soupire-t-il en jetant lui aussi un regard que je ne parviens pas à interpréter à Clothilde.

Nous reprenons le travail et je suis content de retrouver Clothilde, le soir venu. C’est un vrai plaisir que de partager toutes les nuits sa couche et de la sentir se réchauffer dans mes bras. Nous avons préparé notre expédition du lendemain et Bjorn a insisté pour que nous partions avec les cages de poules, ce qui complique tout car nous allons devoir emmener avec nous un chariot tiré par deux rennes. Il est convaincu que si nous y allons avec la marchandise, nous aurons plus de succès dans les négociations.

Au petit matin, nous prenons la route et Clothilde s’est emmitouflée dans je ne sais pas combien de couches de peaux et de laine. Elle est mignonne et je lui souris alors qu’elle semble s’émerveiller devant les deux rennes.

— Tu n’en avais jamais vu ? lui demandé-je en l’attirant vers une des bêtes pour lui caresser le flanc.

— Non, jamais… Nous n’en avons pas par chez moi. Du moins, pas que je sache. Quel animal majestueux !

— Oui, il représente bien ce qu’est notre pays. Sauvage et magnifique, le plus souvent placide mais dangereux quand il décide de se battre. Et il n’y a pas meilleur animal en cas de neige. J’espère que nous aurons de la chance et que le temps restera clément, malgré tout.

Nous avançons ensemble, main dans la main dès que nous le pouvons, et nous enfonçons dans la forêt de pins qui entoure le village. J’ai l’impression que nous sommes seuls au monde, ce qui me procure à la fois un grand sentiment de liberté mais aussi un peu d’anxiété. Les dangers sont nombreux ici, entre les loups et autres félins qui n’hésiteront pas à nous attaquer s’ils sont affamés, les risques de se perdre dans les méandres du chemin pas toujours très visible et les désagréments qui peuvent survenir dans le transport d’animaux. Je suis néanmoins rassuré de constater que Clothilde ne semble pas perturbée par tout ça et qu’elle avance d’un bon pas.

— Cela ne te rappelle pas la forêt normande où il y a cette fameuse cabane ? lui demandé-je alors que nous faisons une pause pour le déjeuner, dans une petite clairière.

— Un peu, bien qu’il manque la chaleur, et c’est un sacré détail, tout de même !

— Tu crois que tu te feras un jour à notre climat ? Parce que l’hiver n’est pas encore vraiment arrivé, m’inquiété-je.

— Peut-être… Le jour où je réaliserai vraiment que je vais rester ici toute ma vie et ne jamais revoir ma famille. Pour l’instant, mon cerveau et mon corps ne doivent pas encore l’avoir intégré, souffle-t-elle en détournant le regard. Heureusement que tu me tiens chaud la nuit, au moins…

— J’essaie de faire le maximum pour que tu te sentes bien, ici. Je ne sais pas ce que je pourrais faire de plus pour que ça aille mieux, soupiré-je. Je… je ne t’aurais jamais enlevée de force de Normandie mais j’avoue que je suis heureux que tu sois là avec moi. Tu imagines, si tu étais restée chez toi, tout ce que nous aurions raté à deux ?

— Je sais, et je te suis reconnaissante de faire en sorte que je me sente bien ici, je t’assure. Je ne t’en veux pas pour tout ça, ou… je ne t’en veux plus. Ce n’est pas ta faute et j’en ai conscience. C’est juste que ma famille me manque, que je ne leur ai pas dit au revoir, que je me demande chaque jour s’ils ont conscience de ce qui s’est passé… Et je me demande s’ils vont bien. Si on omet tout ça et ce statut d’esclave, le froid, l’ignorance des autres, je suis contente d’être avec toi. Après tout, je voulais un dernier baiser, j’en ai obtenu bien plus.

— J’espère que mes baisers compensent un peu tout ce qui ne va pas. Et la beauté du paysage aussi. Regarde autour de nous, n’est-ce pas là un petit bout de Valhalla ?

Effectivement, la scène qui s’offre à nous est bucolique. On entend les cris des oiseaux répondre au bruissement du vent dans les arbres qui vient agrémenter le bruit de l’eau d’une rivière qui serpente non loin de nous. Les pins ont perdu une partie de leurs aiguilles qui jonchent le sol et font de superbes tapis de sol d’un vert sombre et profond. Et l’impression d’être seuls au monde est forcément présente dans un tel cadre.

— Oui, c’est superbe, sourit-elle. Concernant tes baisers, je crois que j’ai besoin d’un rappel, en revanche, pour pouvoir me prononcer.

— Tu as déjà oublié ? Eh bien, le froid te joue vraiment des tours, répliqué-je, tout sourire, en posant mes mains sur ses hanches.

Je me penche sur elle et la surplombe de toute ma hauteur. J’ai toujours peur de lui faire mal et le sentiment que je pourrais la briser d’un simple faux mouvement, mais la Normande est plus solide qu’il n’y paraît. Nos bouches se retrouvent et à nouveau, c’est comme si c’était elle, la porte qui permet d’accéder au Valhalla. Quel plaisir de sentir ses lèvres s’écarter doucement afin de faciliter le jeu entre nos langues. Et dire qu’au début de notre relation, elle n’avait pour ainsi dire jamais embrassé de garçons.

— Viens, l’entraîné-je à ma suite, je crois que tu as besoin que je te réchauffe en profondeur.

Je récupère une grosse couverture et la dépose à même le sol avant de nous recouvrir de plusieurs peaux de bêtes pour nous tenir chaud. Je parviens à écarter assez de couches de tissus, laine et de cuir pour caresser sa peau et la faire frissonner non pas en raison du froid que nous ne ressentons pas du tout, mais du désir qui à nouveau s’empare de nous. Ce n’est pas l’endroit le plus confortable pour s’aimer, ce n’est pas non plus l’étreinte la plus longue et la plus sensuelle que nous ayons jamais eue, mais c’est une union en pleine nature qui nous connecte à ce qu’il y a de plus primaire dans notre relation. Dans cette nature sauvage, personne ne nous juge, rien ne peut nous déranger, il n’y a que nos deux corps qui se répondent, nos deux âmes qui entrent en fusion. Les Dieux doivent nous apprécier pour nous permettre de tant profiter de cette passion qui nous réunit. La jouissance que nous expérimentons est un écho à tout le plaisir que la beauté des lieux nous envoie. Avec une femme comme ça dans mes bras, au milieu de ce paysage si féérique, je me demande ce que le Valhalla pourrait m’apporter de plus.

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