57. Home sweet home

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Clothilde

Je tapote l’arrière-train de la vache qui traîne pour l’inciter à avancer et soupire en constatant qu’elle a un sale caractère. J’ai l’impression que le type qui a négocié avec Einar nous a refourgué les plus chiantes de toutes. Mes vaches me manquent, elles avaient l’habitude de faire ce que je leur demandais au moins, elles. Je plains celles et ceux qui vont s’occuper de celles-là, parce que ça risque d’être une vraie galère.

Einar avance devant moi, bougonnant contre les deux de tête qui suivent le chariot, s’énervant contre elles comme si ça allait tout changer. J’ai presque l’impression que c’est pire, d’ailleurs, et j’ai envie de rire lorsqu’il les invective.

Elles nous ont considérablement ralentis, si bien que nous avons dû dormir dehors la nuit dernière. Autant dire que je n’ai pas fermé l'œil ou presque, emmitouflée contre Einar dans la charrette, à entendre les loups au loin, priant pour survivre au froid et au reste, d’ailleurs. Quand enfin nous arrivons au village, j’ai juste envie de passer des heures collée contre un feu vif, un gobelet de lait chaud entre les mains, et mon Viking collé dans mon dos. Ce serait juste parfait ! Au lieu de quoi, Einar m’embarque dans les champs pour rejoindre la grange où se trouve le bétail.

Le soleil a beau être levé depuis plusieurs heures, il fait toujours aussi froid. Je me demande vraiment si je vais survivre ici, parce que ça part mal. Mes pieds sont frigorifiés, le bout de mes doigts est devenu insensible tant le vent souffle, et j’ai mal au dos d’être aussi crispée. Ma Normandie me manque, même si le temps n’est pas non plus beaucoup plus chaud à cette période.

Je crois qu’il est temps pour moi d’accepter ma situation. C’est difficile, mais j’ai eu la nuit pour y réfléchir. Je n’ai pas trop eu le choix, en même temps, Einar dormait comme un loir, il ne m’était utile qu’à m’éviter l’hypothermie, ce qui en soi était déjà pas mal. J’ai donc eu tout le loisir de réfléchir à tout ça… Non pas que je fasse le deuil de mon ancienne vie, je crois que je n’y parviendrai jamais, pour la simple et bonne raison que je ne pourrai jamais oublier ma famille. C’est dur, mais me rebeller n’y changera strictement rien. Je ne vais pas prendre un bâteau et rentrer chez moi en douce, Einar ne me ramènera pas à la maison, je ne reverrai jamais mes proches. C’est déprimant au possible. Mais je me sens bien avec la Montagne, il fait ce qu’il peut et j’en ai conscience.

Einar pousse un soupir de soulagement quand nous enfermons les bêtes dans la grange et je ne peux m’empêcher de rire. Il me lance un regard noir, conscient que je me moque, et m’entraîne sur le chemin qui mène à sa maison. Celle qu’il termine. Bjorn devait continuer à travailler dessus durant notre absence, et j’ai bon espoir que nous puissions l’investir dès aujourd’hui. Il ne restait pas énormément de choses à faire, et l’idée de regagner la maison familiale ne me plaît vraiment pas. Je crois que ma présence est difficilement tolérée, quand bien même j’ai participé à ce que Bjorn se rapproche du Jarl… Jamais ils ne m’accepteront, je ne resterai qu’une esclave que le frère délaissé a volée au frère favori, créant davantage de tensions entre eux. Une Normande qu’ils ont ramenée de force mais à qui ils n’offriront jamais une réelle place ici, d’égal à égal.

— Pitié, dis-moi qu’on peut s’installer ici aujourd’hui, soufflé-je lorsque nous entrons à l’intérieur.

— Je ne sais pas si Bjorn a eu le temps de tout finir. Il faut qu’on fasse le tour. Mais sinon, on retournera chez ma mère encore quelques jours, ce n’est pas si grave, si ?

— Ou alors on s’installe et on termine ensemble ? Je veux dire… Le toit est fini, il y a moins de courants d’air ici que chez ta mère… Et puis, on sera tous les deux, comme ça.

— Tant qu’elle n’est pas consacrée, on ne peut pas venir, Clothilde. Cela ne se fait pas.

— C’est-à-dire ? Vous êtes bizarres, vous, les Vikings. Vivre dans une maison consacrée, ça ne se fait pas, mais enlever des innocents, c’est normal ? le provoqué-je.

— La vraie question, me répond-il en souriant, c’est de savoir si tu es bien si innocente que ça, petite coquine !

Il peut croire ce qu’il veut, si ça me permet de dormir ici ce soir, ça me va. Il est évident que je préfère être en tête à tête avec lui, et pas seulement pour nos moments intimes.

— Et donc, il faut faire quoi pour consacrer cette maison et pouvoir y dormir ce soir ?

— Eh bien, une petite cérémonie pour que le feu du foyer central emmène les mauvais esprits vers les cieux et que les Dieux bénissent les murs. Quoique… réfléchit-il tout haut. Rien n’empêche qu’on le fasse tous les deux. J’ai l’impression que c’est important pour toi…

— Tu m’en veux si je te dis que l’ambiance chez ta mère est pesante et que je n’ai aucune envie d’y retourner ? Je… je crois que j’ai besoin qu’on soit ici pour me sentir bien et… un peu chez moi, tu comprends ?

— Oui, je vois… Mais rassure-moi, tu serais quand même d’accord pour qu’on passe récupérer nos affaires ? On ne va pas venir ici sans rien !

— Bien sûr ! Il faut qu’on récupère toutes les couvertures de ton lit sinon je vais mourir de froid, ris-je. Tu es d’accord pour qu’on s’installe aujourd’hui, alors ?

— Oui, je te dois bien ça, sourit-il avant de m’embrasser. Et puis, j’ai hâte de voir la tête de ma mère quand je vais lui annoncer cette folie !

Je me pends à son cou et lui offre un baiser appuyé qu’il approfondit sans attendre. Oui, il est vraiment temps qu’on s’installe ici, aussi bien pour être loin de son frère et sa mère que pour ma tranquillité. Je ne sais pas s’il me le doit, mais j’apprécie qu’il tienne compte de mon besoin.

Nous passons donc récupérer le chariot que nous avions embarqué au village voisin et nous rendons chez sa mère sans attendre. Nous sommes accueillis par le délicieux fumet d’un ragoût qui mijote sur le feu et Einar m’abandonne le temps de discuter avec son frère de notre petit voyage. J’aide donc Marguerite à terminer la préparation du repas puis au service avant de finalement m’installer à côté d’Einar quand sa mère commence à manger. L’ambiance est toujours aussi froide avec elle, d’un autre côté, elle n’a pas trop apprécié que son fils m’emmène avec lui pour négocier l’échange de bêtes. Elle n’apprécie pas grand-chose de ce que son fils ou moi faisons, de toute façon.

— Comment s’est passé le voyage ? demande Marguerite à Einar avec toute la bienveillance qui la caractérise.

— On va dire que tout s’est bien passé, mais je ne savais pas que des vaches pouvaient être aussi têtues, maugrée-t-il. Heureusement que Clothilde est patiente.

— J’ai l’habitude, c’est tout, souris-je. Elles non, en revanche. Et puis, tu t’es plutôt bien débrouillé quand même.

— Ouais, ça reste des vaches, persifle sa mère. Bjorn était avec le Jarl, c’est quand même autre chose.

— Ne t’inquiète pas, Maman, tu vas bientôt pouvoir oublier nos histoires de vaches et t’occuper à temps complet des grandes aventures de ton fils bien aimé, lui sort Einar à mon grand étonnement.

— Qu’est-ce que tu veux dire par-là ? lui demande-t-elle en lui lançant un regard suspicieux.

— Eh bien, dès ce soir, Clothilde et moi, nous récupérons toutes nos affaires et nous emménageons dans notre nouvelle maison. Tu ne pourras même plus venir nous écouter derrière les tentures ! rigole-t-il, voulant visiblement la choquer.

— Vous ne passez pas l’hiver ici ? C’est stupide ! Quelle idée de partir maintenant, vous serez mieux au centre du village !

— Ce qui serait stupide, c’est de rester ici alors que tout est prêt dans la maison que j’ai construite. Et puis, Clothilde n’attend que ça.

— Ben voyons, bien sûr ! Et ce que Clothilde veut, Clothilde l’a, hein ? Cette fille te mène par le bout du nez, pour rester polie ! Peux-tu arrêter de penser comme un mâle en rut et utiliser ta tête, enfin ?

— Oh, mais j’utilise toute ma tête, tu sais. Même entre ses jambes, rit Einar en se levant. Tu viens, “Clothilde qui me mène par le bout du nez” ? On a à faire pour tout préparer.

Je me lève sans attendre et le suis jusqu’à sa chambre, où nous ne mettons pas bien longtemps à ranger ses affaires et les quelques miennes dans une grosse malle. Je souris en le voyant y ajouter les couvertures qui sont sur le lit. Einar a fabriqué les meubles nécessaires pour la maison, hormis la table qu’il a simplement commencée, et j’ai vu que Bjorn a terminé le lit, aussi je ne suis pas surprise lorsque ce dernier entre pour aider son frère à transporter le matelas ainsi que la caisse contenant nos vêtements jusqu’au chariot.

Quand nous sommes prêts à partir, la mère d’Einar fait grise mine et semble vraiment mal accepter le départ de son fils de la maison. Marguerite, elle, a la larme à l'œil et le prend dans ses bras.

— Si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous savez où me trouver, d’accord ?

— Tu sais que tu seras toujours la bienvenue. Si Maman t’embête trop, viens à la maison, lui répond-il en l’étreignant, ce qu’il ne fait pas avec sa mère qu’il salue rapidement.

Marguerite me prend dans ses bras avant de me tendre un panier plein de provisions histoire de tenir quelques jours et nous partons sans attendre en direction de la maison. Bjorn nous accompagne et je laisse les frères discuter ensemble, suivant le chariot alors qu’ils sont devant. Je me sens déjà plus en sécurité en sachant que je ne partagerai plus le même lieu que lui, même si j’ai conscience que ça ne supprime pas les risques. Et le fait de ne pas voir sa mère au quotidien sera également un soulagement. J’ai l’impression que je vais réellement pouvoir m’installer, investir les lieux et cette vie qui m’a été imposée.

Lorsque Bjorn quitte finalement la maison, nous nous installons près du feu pour la petite cérémonie dont il m’a parlé et je l’écoute attentivement réciter ses textes avec application. Il finit par jeter du sel par-dessus son épaule et en glisse dans ma paume pour que je fasse de même.

Je m’installe finalement sur ses genoux en souriant et dépose un baiser sur sa joue.

— Merci. Merci pour tout ce que tu fais pour que je me sente bien ici.

— Je te dois bien ça. C’est un peu à cause de moi que tu te retrouves en Swede. Et puis… tu sais bien que tes sourires me rendent heureux.

— Et si nous allions voir si ce nouveau lit est confortable ? chuchoté-je à son oreille.

— Il faut vérifier, en effet. Et tant pis si on casse tout, rigole-t-il, ça me fera une histoire de plus à raconter à Maman pour la choquer !

Je ris en me levant et n’ai pas besoin de lui faire à nouveau cette proposition, parce qu’il me soulève dans ses bras forts pour m’emporter derrière les tentures. J’espère que le lit est solide, parce que la Montagne semble déterminée à tester sa résistance !

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