59. Une invitation qui passe mal

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Clothilde

J’observe du coin de l'œil Einar en train de se nettoyer avec l’eau que j’ai fait chauffer sur le feu alors que je devrais être concentrée sur mes légumes. Après une journée de travail, les veines sur ses avant-bras ressortent sur sa peau qui a déjà perdu un peu du hâle qu’elle avait gagné durant son été en Normandie. Ses cheveux plus longs que lorsque je l’ai rencontré s’échappent du chignon qu’il a fait sur le haut de son crâne, sa barbe est un peu brouillonne alors qu’il vient de passer le tissu mouillé sur son visage. Cet homme transpire la virilité et la force. Un sourire se dessine sur mes lèvres lorsque je remarque les traces laissées par mes ongles dans son dos la nuit dernière. L’amant fougueux dont je partage la couche et la vie m’a fait voir des étoiles et mon corps s’en souvient encore. Voici deux jours qu’il me montre que Rhadia a tort, qu’il ne s’ennuie pas du tout avec moi, et que je m’emploie à mettre de côté ma timidité et mon côté “prude”, comme dirait l’autre folle, par peur qu’il se lasse. Pourtant, je devine dans ses yeux qu’il ne s’agit pas que de sexe. Je suis loin d’être une experte dans les relations, mais il arbore parfois le même air tendre et amoureux que mon père lorsqu’il regardait ma mère et j’ai bon espoir que notre situation soit suffisamment stable pour que je ne finisse pas reléguée au rôle de bonne dans cette maison dans les mois à venir.

J’approche finalement et lui prends le tissu des mains en posant mes lèvres sur son torse. Je rince le linge et me place derrière Einar pour le faire courir sur sa peau, attentive aux réactions de son épiderme qui se pare de frissons lorsque mes lèvres se joignent au tissu. Ma main libre glisse sur son flanc, se faufile jusqu’à son ventre et suit la ligne de poils qui descend dangereusement sous ses braies. Depuis que lui et moi vivons ici, j’ai l’impression d’avoir toujours envie de me retrouver nue contre lui. Nous passons le plus clair de notre temps, une fois enfermés dans cette maison, à nous frôler, nous toucher, nous embrasser et nous unir, si bien que j’ai laissé tomber plusieurs couches de vêtements, ne portant plus que mon châle par-dessus ma robe. Il me donne chaud, parfois même sans me toucher, d’un regard qui en dit long sur les pensées qui le traversent me concernant. Et c’est une formidable bouillotte à taille humaine.

Malheureusement pour nous, Einar s’est à peine tourné pour me prendre dans ses bras que plusieurs coups sont frappés à la porte. Il soupire lourdement mais prend tout de même une minute pour capturer mon visage entre ses grandes mains calleuses et me gratifier d’un baiser qui me promet monts et merveilles.

J’essore le linge et l’étends sur le rebord du seau en me retenant de grimacer quand sa mère fait son entrée. Son regard vogue de son fils à moi à plusieurs reprises tandis qu’elle s’assied à table comme si elle était chez elle, sans même me gratifier d’un bonjour ou d’une quelconque forme de salutation. Toujours aussi aimable, cette femme…

— Vous n’avez toujours pas terminé de vous installer ? reproche-t-elle à Einar en voyant qu’il n’y a que deux chaises autour de la table fraîchement arrivée à l’intérieur.

— L’essentiel est fait, Maman. Regarde comme il fait chaud, ici. Le reste, ce ne sont que des détails, non ?

— Peut-être… Pourquoi n’as-tu installé qu’une partie des tentures ? Il devrait y avoir deux chambres. Où va coucher ton esclave quand tu ramèneras une femme ? Te connaissant, j’imagine qu’elle aura mieux qu’une couverture à-même le sol, tout de même, grimace-t-elle avant de me lancer un regard dédaigneux.

— De quelle femme tu parles ? demande Einar, surpris. Je n’ai besoin de rien, tu sais ? Je suis heureux comme ça.

— Tu ne vas quand même pas passer ta vie avec cette étrangère ? Bon, elle a un joli cul mais ça va vite se flétrir, ne te fais pas d’illusion, lui répond-elle comme si je n’existais pas.

— Mon cul se porte très bien, je vous remercie, ne puis-je m’empêcher d’intervenir.. Et puis, ils flétrissent tous un moment, non ?

— Surtout quand on ne fait que s’en servir, persifle-t-elle. Vous avez raison, en tout cas, ça doit réchauffer un peu mon fils et ça le fait patienter le temps que je lui trouve une femme digne de ce nom.

— Mais Maman…, commence Einar avant que je ne l’interrompe.

— Qu’est-ce que vous entendez par digne de ce nom, au juste ? Une Viking ? Du genre de la traînée qui couche avec les deux frères au point qu’il serait impossible de savoir qui est le père de l’enfant qu’elle pourrait porter ? ris-je nerveusement.

— Tu n’es qu’une esclave, me dénigre-t-elle. Alors, je ne critique pas, hein ? Les hommes doivent bien passer leurs envies, mais de là à devenir une épouse, on n’en est loin ! Ne te fais pas de faux espoirs. Et pour Einar, je ne suis pas inquiète, il y a plusieurs jeunes femmes parmi lesquelles il pourra choisir.

— Esclave n’est qu’un statut comme un autre. C’est vous qui m’appelez comme ça. Je suis un être humain, pour l’amour de Dieu ! Une femme, capable d’enfanter comme une autre. Votre fils vient de vous dire qu’il était heureux comme ça, pourquoi vouloir changer les choses ? C’est n’importe quoi ! m’agacé-je.

— Parce que c’est mon fils ! Et que son frère va être Jarl ! Il ne peut pas perdre son temps avec une fille de joie comme toi. Tu es là pour réchauffer son lit, rien d’autre.

Je ricane en jetant un regard à Einar qui nous observe tour à tour, silencieux. Ne peut-il pas calmer sa mère ? Lui dire qu’il fait ce qu’il veut de sa vie ? Pourquoi ne dit-il rien ?

— Votre fils, Jarl ? Sans mon idée lors de votre assemblée, il aurait fini pendu ou je ne sais quoi encore ! Je ne suis peut-être qu’une esclave à vos yeux, et grand bien vous fasse si traiter les gens comme ça ne vous empêche pas de dormir, mais je pense avoir un minimum prouvé ma loyauté envers votre famille en vous aidant à apaiser les choses avec le Jarl actuel alors que votre fils m’a enlevé à ma vie et ma famille, non ? Ça ne mérite même pas un minimum de considération ?

— On ne considère pas les esclaves, rétorque-t-elle en reportant son attention sur son fils. Einar, demain soir, viens manger à la maison. J’inviterai une jeune femme qui devrait te plaire, d’accord ?

— Euh… Je ne sais pas, Maman… Pourquoi pas venir manger, en effet, si ça te fait plaisir.

Le sourire victorieux qu’elle affiche me donne envie de vomir et je fusille du regard Einar, faible homme face à sa harpie de mère. Là, tout de suite, il n’a plus rien de viril à mes yeux et j’ai juste envie d’aller me terrer dans un coin pour les maudire, lui et sa famille, pour les dix générations à venir.

— A demain, alors. Je compte sur toi, conclut-elle avant de le serrer contre elle et de sortir, la tête haute et fière, ravie de son petit échange avec Einar.

Je balance une bûche dans le feu et dépose sur la table le plat du soir pour mon Viking sans lui adresser un mot ou un regard. Je n’attends même pas qu’il soit installé pour me servir et le laisse se débrouiller comme un grand, histoire de lui rappeler qu’il n’est pas un petit garçon qui doit obéir à sa mère. J’aurais aimé qu’elle arrive une heure plus tôt, avant que j’aie préparé quoi que ce soit, d’ailleurs, je serais partie me coucher sans lui faire à manger. Ma réaction est puérile, j’en ai bien conscience, mais son attitude me dérange autant que celle de sa mère. Hors de question de n’être qu’une esclave, ne comprennent-ils pas que j’ai mis mon cœur dans la balance, moi ? Sans doute n’en ont-ils juste rien à faire après tout.

Sa mère a jeté un sacré froid dans la maison. Ce soir, j’aurais bien besoin de quelques couches supplémentaires, surtout qu’Einar ne fait pas vraiment d’effort pour me rassurer quant à la suite. Il reste silencieux, perdu dans ses pensées, si bien que nous mangeons dans un calme lourd et dérangeant. Peut-être a-t-il compris que je suis sur les nerfs, prête à dégoupiller, et qu’il me laisse le temps de me calmer ? Je doute que quoi que ce soit puisse m’apaiser, à cet instant. L’idée même qu’il couche avec une autre me révulse. Que dirait-il, lui, si je faisais de même ?

Je repousse finalement mon assiette à peine entamée et me lève, ce qui attire finalement le regard du Viking dont je réchauffe le lit.

— Je suis fatiguée, je vais me coucher, marmonné-je en enlevant mon châle pour le poser sur la chaise.

— Déjà ? Tu es malade ? s’inquiète-t-il.

— Ta mère m’a coupé l’appétit. Non, VOUS m’avez coupé l’appétit, en vérité, continué-je en délaçant ma robe.

Je sais que c’est fourbe et que ça ne me ressemble pas, mais je veux qu’il se souvienne que mon corps est à lui. Voilà pourquoi je me déshabille sous ses yeux et dépose ma robe sur mon châle sous son regard envieux. Monsieur a de l’appétit et ce n’est plus pour son plat. C’est parfait.

— Je te laisse finir de dîner tranquillement. Bonne nuit, Einar.

Je lui tourne le dos sans plus lui accorder d’attention et disparaîs derrière les tentures. J’allume les bougies sur la table près de notre lit, enfile mon vêtement de nuit et me glisse sous les épaisses couvertures qui s’accumulent sur le matelas. Je pourrais débuter un décompte parce que je commence à bien connaître mon Viking, mais je souris simplement en l’entendant souffler les bougies à côté avant que le bruit de bûches qui s’entrechoquent me parviennent aux oreilles.

Je lui tourne le dos lorsqu’il se couche à son tour, et retiens avec difficulté le frisson qui cherche à parcourir mon corps lorsqu’il se colle dans mon dos. Sa main repousse mes cheveux pour dégager mon épaule, il tire sur le tissu pour poser ses lèvres à-même ma peau, mais je ne bouge pas d’un pouce pour autant. Une partie de moi a envie de répondre positivement à ce rapprochement quand l’autre veut lui faire payer sa prise de position. Parce que c’en est une. Plutôt que de dire non à sa mère pour appuyer le fait qu’il ait dit être heureux dans cette configuration, cet idiot a accepté de rencontrer une femme que sa mère lui présentera. Et moi, dans tout ça ? Le sentiment de trahison s’est insinué dans mes veines, fourbe et malsain.

— Je t’ai dit que j’étais fatiguée, le repoussé-je lorsque sa main empaume mon sein.

— Oh, je pensais que tu disais ça pour m’attirer au lit, réplique-t-il en collant son érection contre mes fesses.

— Tu penses vraiment que j’ai envie de toi après la discussion avec ta mère ? m’esclaffé-je. Non, je te laisse te reposer avant ton dîner en charmante compagnie.

— Mais, je vais juste aller manger… Et j’ai envie de toi… Tu… tu ne veux vraiment pas ? continue-t-il en reposant sa main sur mon sein avant de déposer des bisous sur ma nuque.

— Tu vas juste aller manger ? Ta mère t’a invité pour rencontrer une femme et tu me dis que tu vas juste manger ? Tu sais quoi, laisse tomber, Einar, obéis à ta petite maman, je m’en fous. Après tout, il y en a des tonnes de Vikings, ici. Si tu t’amuses avec d’autres femmes, ça me laissera le loisir d’élargir mes connaissances avec d’autres hommes, moi aussi.

J’ai conscience que je joue gros en osant prononcer ces mots. C’est quitte ou double. Soit j’ai vu juste dans son comportement et l’élan de possessivité qu’il a envers moi est réel, le poussant à me choisir plutôt qu’à répondre aux sollicitations de sa mère, soit je me suis totalement trompée et il va me rire au nez parce que mon attitude est tout sauf celle d’une femme prête à découvrir d’autres couches que la sienne…

— Mais c’est toi que je veux, Clothilde, s’exclame-t-il en me forçant à me tourner vers lui. Je m’en fous des autres, c’est avec toi que je veux être.

— Alors pourquoi tu ne l’as pas dit à ta mère ? soufflé-je alors que mon palpitant s’est affolé à ses mots.

— Elle ne comprendrait pas… Et… j’allais juste pour manger, chez elle, rien d’autre. Tu sais bien que tu es la seule que je veux faire mienne, non ?

Je sens son sexe se frotter contre mes cuisses et son désir pour moi est palpable, mais je fais tout pour rester lucide et ne pas me perdre dans mes propres envies qu’il réveille systématiquement.

— Comment veux-tu que j’en sois certaine, Einar, alors que tu acceptes l’invitation de ta mère ? Je… Tu ne comprends pas comme tout ça est dur pour moi ? Je n’ai pas ma place ici, alors pourquoi l’aurais-je à tes côtés ? Surtout quand ta mère me rappelle combien je suis insignifiante… et que tu ne dis rien pour la détromper.

— Je suis désolé, Clothilde, je n’avais pas réfléchi à tout ça. Tu as toute ta place à mes côtés. Tu as toute ta place dans ma vie. Pardonne-moi de ne pas avoir répondu davantage à Maman et laisse-moi te démontrer à quel point tu n’as pas de souci à te faire.

Evidemment, c’est par le sexe qu’il veut me démontrer tout ceci, mais c’est toujours mieux que rien, non ? Même si de mon côté, je crois que je pourrais lui faire une déclaration d’amour chaque fois qu’il m’enlace, je me contente de ce qu’il m’offre. C’est toujours mieux que d’être reléguée au rang de bonne, même si je n’en suis finalement pas loin. La seule différence, c’est que ce sont ses bras qui me tiennent contre lui la nuit et non une solitude supplémentaire comme peut le vivre Marguerite. Et ça fait déjà une grande différence quand on vit dans un lieu inconnu où personne ou presque ne fait attention à vous. Einar est la seule personne, ici, à se soucier réellement de moi et à s’occuper de ma personne, même s’il est parfois maladroit, même s’il peine à comprendre ce que je peux ressentir. Sans lui, je serais totalement perdue. Et il est hors de question que je laisse faire sa mère ou une quelconque femme, j’ai besoin de lui et je refuse de le partager.

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