62. Terrible blizzard
Einar
Dehors, il fait toujours aussi froid et c’est même un véritable blizzard que je peux voir par la petite ouverture que j’ai fabriquée dans la porte d’entrée. La neige virevolte avec le vent qui est particulièrement fort, ce soir. La visibilité est tellement faible que je ne distingue même pas les arbres qui bordent le chemin qui mène à la maison. Je referme la trappe et suis content de constater qu’à l’intérieur, il y a très peu de courants d’air et que j’ai fait du bon travail pour l’isolation. Je souris aussi quand mon regard se pose sur la jolie femme qui est assoupie dans mon lit. Vu le temps qu’il fait, nous sommes peu sortis de la maison et avons passé l’essentiel de la journée dans notre lit à nous câliner, nous aimer et profiter de ce désir qui semble nous rassembler et nous embraser constamment.
Je reviens vers Clothilde et me glisse sous les différentes couches de peau et de laine dont elle a besoin pour ne pas avoir froid. Dès que mes doigts entrent en contact avec sa peau, elle pousse un petit soupir de satisfaction et vient se lover contre mon torse. Je sens ses tétons frotter contre moi et sa tête se niche dans mon cou. Ses doigts caressent doucement ma barbe et nos jambes s’entremêlent afin de démultiplier les zones de contact entre nous. C’est un peu comme si rien ne pouvait s’immiscer entre nous.
Alors que je commence à m’assoupir, un bruit lointain me sort de ma rêverie et je rouvre les yeux, tout de suite sur le qui-vive.
— Clothilde, la réveillé-je tendrement, tu n’as pas entendu quelque chose ?
— Hum… Tu veux dire à part toi qui me réveilles ? Non, je n’ai rien entendu…
Je reste un instant silencieux et pense que je me suis trompé quand à nouveau, un bruit se fait entendre.
— C’est le son d’une corne ! m’exclamé-je. Quelqu’un est en danger !
— Et ? Tu comptes vraiment sortir par ce temps ? soupire-t-elle en resserrant son étreinte.
— Il le faut, rétorqué-je en la repoussant à contrecœur. Quelqu’un a besoin d’aide, on dirait. Pourvu qu’ils aient encore la force de sonner leur corne.
— Einar, sérieusement ? me demande-t-elle alors que je me relève déjà. Tu vas juste finir dans le même état qu’eux en sortant par ce temps ! C’est super dangereux !
Clothilde se redresse sur le lit, sa voix ayant pris une teinte un peu affolée.
— Je ne peux pas rester sans rien faire. J’y vais.
J’enfile rapidement des vêtements chauds ainsi qu’une grosse pelisse pour me prévenir du froid et récupère ma hache avant de sortir dans le blizzard extérieur. Je suis tout de suite cinglé par des rafales de vent et la neige s’accroche à mes vêtements. Je me dirige immédiatement vers les bois en espérant que j’ai bien situé d’où venait l’alarme que j’ai entendue. Heureusement pour moi, une nouvelle fois, j’entends le bruit de la corne qui retentit et j’avance aussi rapidement que les conditions climatiques me le permettent pour me rapprocher de ces personnes qui doivent être en danger.
La scène sur laquelle je tombe me stoppe dans ma progression. J’ai l’impression qu’un arbre s’est effondré et que deux personnes sont ensevelies dessous. Avec la neige qui tombe, c’est difficile de distinguer clairement mais je me rends immédiatement compte que toute intervention va être risquée. Il y a d’autres arbres qui semblent prêts à tomber aussi. Je me demande qui a pu sonner l’alarme quand je vois un mouvement. Ma première envie est de me précipiter mais je me retiens et y vais avec précaution.
— J’arrive ! Ne bougez pas, je vais vous sortir de là ! crié-je pour me faire entendre malgré le bruit de la tempête qui fait rage.
J’avance avec beaucoup de prudence et parviens à m’approcher de la femme que je découvre. C’est elle qui nous a alertés et je lui tends la main pour l’aider à se dégager. Elle l’attrape et je constate qu’elle semble frigorifiée. Je tire et parviens à la faire sortir du trou dans lequel elle s’est retrouvée.
— Ça va ? Vous n’avez rien ? demandé-je alors qu’elle s’accroche à moi.
— Ça va… Je suis frigorifiée, mais ça va. Il faut qu’on aide mon mari !
— Je vais essayer. Suivez le chemin et allez prévenir. Il va me falloir de l’aide, je ne suis pas sûr d’y arriver tout seul.
— Quoi ? Mais je peux vous aider, moi ! Je ne veux pas laisser mon mari !
— Vous allez mourir de froid si vous restez ! Vous êtes trempée ! Allez chercher de l’aide ! Je m’occupe de votre mari.
— D’accord, d’accord. Je… je fais au plus vite, abdique-t-elle en tournant les talons.
Je ne la regarde pas s’éloigner et reporte toute mon attention sur l’homme qui semble inconscient et bloqué sous une grosse branche. Vu toute la neige qui est tombée, le terrain est très glissant et il y a des trous cachés. J’en évite un de justesse et parviens à me rattraper à une branche. Je l’ai échappé belle.
Je parviens à rejoindre l’homme que je secoue pour le réveiller, sans succès. J’essaie de le tirer mais il est vraiment coincé sous l’arbre. Il faut que je le dégage si je veux réussir à le sauver. Je fais le tour de la grande branche sous laquelle il est coincé et essaie de la soulever. Peine perdue, elle semble trop lourde. Je sens une urgence me saisir et les battements de mon cœur s’accélèrent. Je me décale un peu et réussis à trouver un point d’appui. Je pousse la branche et j’ai le sentiment qu’elle bouge légèrement. J’appuie plus fort encore et… je ne sais pas ce qu’il se passe mais j’entends un grand craquement et l’arbre entier semble bouger. Je glisse et j’essaie de m’accrocher mais mes mains ne saisissent que du vide. Je m’enfonce alors que la terre entière semble se dérober sous moi. Je crie, entraîné par la chute d’une nouvelle branche.
C’est horrible, me voilà à mon tour piégé même si je n’ai pas perdu conscience. Dans l’effondrement de l’arbre, je me suis fait mal à la jambe et j’essaie de me concentrer sur cette douleur pour ne pas sombrer malgré le froid qui commence à s’emparer de mon corps. Je tente de voir pourquoi je n’arrive pas à dégager mon pied, sans succès. Je pense que mon chemin s’arrête là, que je vais mourir et me dis qu’au moins, j’ai eu la chance de connaître Clothilde avant d’aller au Valhalla. Que va-t-il lui arriver ? Le mieux serait sûrement que Bjorn s’occupe d’elle, mais va-t-elle l’accepter ? Et pourquoi je ne pense qu’à elle quand la mort s’approche ?
Je ferme les yeux et adresse silencieusement une prière aux Dieux qui vont m’accueillir pour qu’ils prennent soin de la femme que j’aime et que j’abandonne malheureusement si tôt. J’ai d’ailleurs l’impression qu’elle m’appelle aussi, qu’elle crie mon nom.
— Einar ! Einar, reste éveillé, on est là !
“On est là” ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Et depuis quand parle-t-elle aussi bien notre langue et sans accent ? Et pourquoi je pense à son accent alors que je vais mourir ? “On est là” ? Mais qu’est-ce qu’elle raconte ? Je me force à ouvrir les yeux mais la neige s’est accumulée et je ne distingue rien du tout.
— Clothilde ! crié-je. Clothilde !
Elle est vraiment là ! Elle a récupéré ma hache que j’ai dû laisser tomber à un moment et frappe de toutes ses forces sur la branche qui me retient prisonnier. On dirait une furie et tout à coup, alors que j’étais bloqué jusque là, ma jambe se libère de son étau et je bondis. Je me dégage et attire Clothilde à moi pour l’éloigner du danger. Quelle guerrière avec sa hache à la main ! Nous nous reculons et je ne réussis pas à la retenir alors qu’elle s’élance vers l’autre femme qui semble être revenue pour aider son mari. Les mouvements de l’arbre semblent l’avoir libéré aussi et les deux femmes le tirent à elles. Malgré la douleur que je ressens dans la jambe, je claudique et vais les aider. A trois, nous soulevons l’homme et nous luttons pour le porter et le ramener jusqu’à chez nous. Le chemin du retour est compliqué. La progression est lente mais nous nous soutenons l’un, l’autre. Quand l’un faiblit, un autre prend le relais et c’est avec soulagement que j’ouvre la porte de notre logement.
— Mettez le sur le lit, dis-je alors que je referme la porte derrière nous.
Un grand silence se fait maintenant que le bruit du vent a stoppé. Je ne m’étais même pas rendu compte à quel point il était assourdissant. Je retire ma pelisse et suis soulagé de voir que l’homme respire. Sa femme est penchée vers lui et Clothilde vient se blottir dans mes bras.
— Merci, ma Chérie, tu m’as sauvé la vie, soufflé-je en la caressant avec force pour la réchauffer.
— Je t’avais dit que c’était une mauvaise idée, soupire-t-elle. Tu es blessé ? Mets-toi au chaud près du feu, tu as l’air d’avoir encore plus froid que moi, pour une fois.
Elle me pousse fermement et nous nous rapprochons du centre de la pièce où elle lance une nouvelle bûche afin de raviver la flamme.
— J’ai juste un peu mal à la jambe mais je crois que rien n’est cassé. Tu sais que tu fais peur avec une hache à la main ?
— C’est vrai ? sourit-elle en mettant du lait à chauffer. J’en prends bonne note, je saurai comment obtenir ce que je veux avec toi à l’avenir alors.
— Tu sais bien que tu n’as pas besoin de ça. Et je crois que je ne vais plus laisser traîner ma hache, j’aurais trop peur que tu l’utilises contre moi !
— Ce n’est pas au programme, j’ai trop besoin de ma bouillotte !
Je souris et la serre fort contre moi. Derrière nous, l’autre couple s’étreint aussi maintenant que l’homme est revenu à lui. Dehors, ce blizzard qui a failli tous nous emporter continue à rugir mais ce n’est plus qu’un son un peu lointain, un souvenir qui restera ancré en nous pour toujours. Miraculeusement, nous nous en sommes sortis et nous pouvons affronter l’avenir dans une nouvelle dynamique. Quand les Dieux décident d’épargner des vies, c’est que les survivants ont une mission à accomplir. A nous de trouver laquelle nous attend.
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