64. Les exigences du nouveau Jarl
Einar
Lorsque je me réveille, il me semble qu’il me manque quelque chose. Immédiatement, j’étends mon bras et suis rassuré de poser ma main sur le dos de Clothilde qui s’est enroulée dans la couverture à mes côtés. Je la caresse un moment et me demande ce qui me perturbe quand je réalise qu’en fait, c’est le silence qui m’a réveillé. On n’entend plus le vent pulser autour du bâtiment ni les fenêtres et la porte craquer. Le blizzard s’est arrêté et c’est comme si tout s’était calmé à l’extérieur. Je me penche et dépose de petits baisers dans le cou de la jolie brune qui partage ma couche jusqu’à ce qu’elle s’étire, féline, et se retourne pour m’embrasser.
— Bonjour, ma Chérie. Je crois que la tempête s’est arrêtée. On se prépare et on va voir ce qu’il se passe au village ?
— Si tôt ? murmure-t-elle alors que je sens ses mains glisser le long de mon torse. On pourrait aussi rester au chaud…
C’est clair que nous sommes frustrés tous les deux. Avec Blanche et Erick à côté, nous sommes restés sages ces deux derniers jours. Et le désir que je ressens pour elle est encore décuplé par la sensation de ses doigts qui se glissent dans mes braies.
— Aussi tentant que ça puisse être, nous ne sommes pas seuls. Et je veux savoir ce que mon frère a fait. Tu viens avec moi ?
— Si c’est ce que tu veux… Tant pis pour toi, beau Viking, soupire-t-elle en se redressant. Ils dorment encore, dommage !
Je jette un œil dans leur direction et constate qu’ils sont en effet encore assoupis. Immédiatement, je me retourne et pousse Clothilde pour la surplomber. Elle pousse un petit cri de surprise mais ne me repousse pas. Malheureusement pour nous, alors que je remonte sa chemise de nuit, j’entends un raclement de gorge derrière moi et me dis qu’il va encore falloir patienter un peu. Je m'effondre sur Clothilde qui me serre contre elle et nous nous faisons un câlin sage.
Peu de temps après, nous nous levons et nous préparons. J’informe Erick de notre départ pour le village et suis surpris quand il me dit qu’ils vont venir avec nous.
— Mais, je croyais que vous alliez fuir et vous éloigner le plus possible de mon frère ?
— Eh bien, on en a discuté avec Blanche… et on va rester pour l’hiver. J’espère que ton frère ne fera pas n’importe quoi et qu’on survivra.
— C’est plus raisonnable que de partir en plein milieu d’une tempête, en effet. On y va dès qu’on est prêts, ça vous va ?
— Oui, ne traînons pas. Encore merci de nous avoir accueillis ici.
Effectivement, nous ne perdons pas une seconde et nous récupérons nos vêtements les plus chauds avant de nous mettre en route. La neige qui est tombée ne facilite pas notre progression mais à quatre, nous nous relayons pour tracer le chemin et nous ne tardons pas à arriver au village. Nous saluons Erick et Blanche qui nous quittent rapidement et j’hésite sur l’endroit où me rendre. Mais le choix est vite fait quand je vois Bjorn entrer dans la maison d’Olaf.
— Viens Clothilde, il est chez le Jarl. On va pouvoir savoir ce qu’il en est tout de suite.
— Oh oui, jetons-nous dans la gueule du loup, grimace-t-elle. Tu es sûr que je dois venir avec toi jusque là-bas ? Je ne suis rien ici, moi.
— Tu préfères aller chez ma mère ?
— Heu… non, je te suis. C’est toi qui décides, Maître, me répond-elle en insistant lourdement sur le dernier mot.
Je préfère ne pas relever et prends sa main pour qu’elle me suive, non pas en tant qu’esclave mais en tant que compagne, et nous pénétrons à notre tour dans le domaine du Jarl. Nous surprenons Bjorn en train de regarder Olaf ramasser ses affaires.
— Qu’est-ce qu’il se passe ici ? les interrogé-je alors qu’ils tournent tous les deux la tête vers nous.
— Olaf rend son tablier, répond simplement mon frère.
— Olaf ? Tu… Pourquoi tu t’en vas ? C’est quoi cette histoire ?
— A ton avis, grogne-t-il. Ne fais pas semblant de ne pas comprendre.
Je les regarde tous les deux et essaie de faire sens de ce qu’il se déroule devant nous. Clothilde tente de me tirer par la main pour ressortir, mais je résiste à sa pression.
— Non, je ne comprends pas. Tu es le Jarl et Bjorn était censé te remplacer, mais pas dans l’immédiat. Pourquoi tant de précipitation ?
— C’était ça ou la mort, que crois-tu ? vocifère Olaf. Ton frère se croit plus fort et capable de mieux, mais c’est un fourbe qui m’a bien eu !
— Bjorn ? Mais pourquoi… Il y avait un accord, non ? insisté-je alors que je sens bien que Clothilde aimerait que je ne prenne pas part à cette discussion.
— Il y avait, oui. Jusqu’à ce qu’Olaf pense encore une fois plus à lui qu’à notre communauté. Peut-être que je suis fourbe, mais je ne suis pas une raclure qui se sert dans les réserves sans penser aux autres.
— Les réserves ? Qu’est-ce qu’il raconte, Olaf ?
— Il raconte bien ce qu’il veut tant que c’est dans son intérêt !
— Oh arrête, Olaf ! Nous sommes plusieurs à t’avoir vu piquer dans les réserves pour te faire un festin !
Je préfère ne rien ajouter, me rendant compte que ma colère qui était dirigée contre mon frère est peut-être mal placée. Si Olaf a vraiment pris dans les réserves du village, c’est un crime qui est en effet impardonnable. J’ai du mal à le croire, mais si plusieurs l’ont vu… Il rassemble ses affaires et s’en va, non sans proférer des menaces avant de nous quitter.
— Tu ne l’emmèneras pas au Valhalla, Bjorn. Et je n’ai pas dit mon dernier mot. Je te jure que si je reviens, ça ne sera pas pour te rendre hommage.
— Je tremble de peur, s’esclaffe Bjorn. Tu ne mérites plus ta place, assume et sois reconnaissant de ne pas être mort.
— Et toi, sois reconnaissant que tout le monde a peur de toi et que la tempête se soit calmée au moment où tu as déclaré prendre le pouvoir. Le soutien des Dieux est aléatoire, Bjorn, tu t’en rendras vite compte.
Il sort telle une furie sans plus un regard pour nous et nous nous retrouvons tous les trois dans cette demeure réservée au Jarl en fonction.
— Tu vas vraiment t’installer ici et laisser Maman seule à la maison avec Marguerite ? lui demandé-je alors que Clothilde tente une nouvelle fois de m’attirer pour me faire sortir à mon tour.
— Je ne vois pas où est le problème. Je ne vais pas vivre toute ma vie avec Maman non plus. Tu es bien parti, toi.
— Oui, mais je n’en reviens pas que tu sois le nouveau Jarl. Tu… tu n’as pas perdu de temps, dis donc.
— J’ai fait ce qu’il y avait à faire. Et maintenant que je suis là, je vais avoir besoin de soutien. Je peux compter sur toi ?
— Tu sais bien que tu peux compter sur moi, oui. Je suis ton frère, quand même. La famille, c’est sacré.
— Bien. J’aimerais récupérer Clothilde pour commencer. Je vais avoir besoin d’elle.
Je reste bouche bée quand il me sort ça, le plus naturellement du monde. Clothilde est elle aussi interdite et semble effrayée tout à coup.
— Non mais ça ne va pas, la tête ? Clothilde n’est pas à ta disposition !
— Je te rappelle que c’est moi qui l’ai ramenée, quand même. Fais un effort, Einar, tu sais ce que représente le rôle de Jarl, j’ai besoin d’elle.
— Et pourquoi tu as besoin d’elle ? Tu peux me demander ce que tu veux mais surtout pas ça.
— J’ai besoin de quelqu’un à mon service et tu le sais. Il me faut un joli lot pour amadouer les hommes, mais aussi quelqu’un pour gérer un peu tout. Elle gérait une ferme, Einar ! Elle t’es loyale, donc elle me sera utile et je pourrai lui faire confiance.
— Tu peux toujours rêver ! intervient Clothilde. Je serai la première à ouvrir la porte à quiconque voudra te trancher la gorge ! Hors de question que je te serve et que j’écarte les cuisses pour toi !
— Toi, tu n’as rien à dire, tu n’es qu’une esclave, je te rappelle. Quand tu seras à mon service, tu vas vite le comprendre.
— Bjorn, je rugis en levant le poing, je ne te permets pas. Clothilde est à moi et ne sera jamais à toi ! Jarl ou pas, je m’en moque totalement !
Je me positionne entre les deux, toujours menaçant, mais Bjorn ne semble pas plus perturbé que ça par ma fureur.
— Alors tu t’es entiché de la Normande ? s’esclaffe-t-il. Ça ne change rien pour moi. Je l’ai ramenée, je t’ai laissé t’amuser un peu avec elle, mais elle est à moi. Que faut-il pour te convaincre, Einar ? Je n’ai pas envie d’en venir aux menaces, tu es mon frère.
— Rien ne me convaincra, Bjorn. Tu peux menacer tout ce que tu veux, Clothilde ne sera jamais à toi. Une vie pour une vie, si tu te souviens bien. Tu ne peux pas revenir sur ça. Jamais. Oublie ça tout de suite sinon c’est moi qui vais en arriver aux menaces.
— Tu sais très bien qu’on n’utilise pas ça en famille, normalement. Tu me l’as volée, Einar, et tu m’as humilié au passage en le faisant, je te signale. Quelle image est-ce que je renvoie si je ne la récupère pas, hein ?
— Je me fous de ton image. Oublie ça, d’accord ? Sinon, c’est à moi que tu auras affaire.
Je récupère la main de Clothilde et la tire derrière moi pour sortir au plus vite de cette maison. J’ai la rage contre mon frère. Peut-être qu’il avait raison par rapport à Olaf mais en ce qui concerne Clothilde, s’il met ses paroles en actes, il va se retrouver face au pire ennemi qu’il a jamais affronté. Foi d’Einar, quelle que soit la volonté des Dieux, jamais je n’abandonnerai la femme qui me rend si heureux depuis qu’elle est entrée dans ma vie.
Annotations