71. Mariage et déraison

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Clothilde

J’observe Einar se dévêtir pour me rejoindre au lit après être allé nourrir les animaux et raviver le feu. Quittant son fessier bombé des yeux, j’ai tout le loisir d’observer les muscles de son dos rouler sous sa peau vierge de tout tatouage. La cicatrice qui barre son omoplate droite danse comme si elle menait sa propre vie et, malgré la rougeur et la boursouflure de cette marque qui ne disparaîtra jamais, je trouve le spectacle plutôt agréable à regarder.

Il est encore tôt, ou du moins, le soleil est à peine levé et, après avoir fait l’amour, l’envie de paresser sous les couvertures tous les deux le pousse à se recoucher à mes côtés. J’ai fermé les yeux et fais mine de m’être rendormie avant qu’il ne grille que je le détaille sans aucune gêne, mais son petit rire lorsqu’il enlace ma taille et pose sa tête sur ma poitrine me fait comprendre qu’il n’est pas dupe.

Je glisse ma main dans ses cheveux et caresse son cuir chevelu tandis qu’il ronronne tel un chat et soupire de contentement, sa main se promenant sur mon ventre avec paresse.

— Parle-moi des mariages, ici, soufflé-je, le faisant sourire contre ma peau.

— Que souhaites-tu savoir, ma future épouse ? me provoque-t-il. C’est un moment magique, c’est tout. Et ça te permettra de ne plus vivre dans le péché, c’est tout ce qui compte, non ?

— Je vivrai toujours dans le péché selon ma religion, tu sais ? Ce n’est que pour vous que ça ne sera plus le cas… Alors, dis-moi, comment ça se passe ? Est-ce que les femmes portent une jolie robe ? Est-ce qu’on échange des voeux ? Est-ce qu’il y a des mariages d’amour, chez vous ?

— Des mariages d’amour ? Non, c’est rare. Pour Bjorn, tu vois, je suis sûr que ma mère est déjà en train de réfléchir à quelle femme pourrait lui apporter plus de pouvoir et de richesses. Bon, pour moi aussi, sûrement, mais ça n’a pas d’importance, je te l’ai dit, c’est toi que je veux épouser, sourit-il en me caressant doucement le dos. Et les femmes qui se marient portent ce qu’elles veulent, souvent une simple robe blanche, ce n’est pas ça qui est important. Par contre, elles ont traditionnellement une couronne de fleurs tressées. En hommage à la déesse Frigg, la déesse des mariés. Je suis sûr que ça t’irait bien. Après, je crois que c’est moins codifié que chez vous. L’important, pour nous, c’est surtout d’avoir de quoi boire !

Bizarrement, ça ne m’étonne pas plus que cela. Faire la fête semble très important pour les Vikings, ils ont toujours une bonne raison de se rassembler pour festoyer ensemble. L’alcool y coule à flot et la nourriture s’étale à profusion sur les tables et au-dessus du feu. Et les filles passent de bras en bras, consentantes ou non.

— Alors, si j’accepte, nous allons être une exception, toi et moi ? Est-ce que… est-ce que le Jarl peut s’opposer à un mariage ?

— Tu sais bien que tout est exceptionnel chez toi, hein ? Ce n’est pas nouveau. Et Bjorn n’a aucun intérêt à s’opposer au mariage. Il pourrait nous demander de le retarder en cas de guerre, par exemple. Et avec les hommes de Norske qui nous menacent, cela pourrait arriver…

— Donc, même si je te dis oui, il est possible que notre enfant, ou nos enfants d’ailleurs, naissent dans le péché…

— Non, je ne crois pas, on a le temps quand même. Enfin, tout dépend de quand tu dis oui, parce que plus tu attends, moins on a de temps pour tout organiser. Il faut qu’on fasse venir toute notre famille, même éloignée, qu’on s’assure avoir assez de fûts d’hydromel, qu’on trouve un ancien pour faire la cérémonie… Bref, ça ne se fait pas d’un claquement de doigts, mais il y a encore beaucoup de vendredis avant le retour du printemps.

Je lâche un petit rire qui n’a rien de joyeux à la mention de “notre” famille. Plutôt comique quand on sait qu’il y a peu de chance que la mienne soit invitée à venir festoyer.

— Notre famille, hein ? soupiré-je tandis qu’il se redresse pour croiser mon regard.

— Tous ceux qui peuvent venir sont invités. Et je suis désolé que ta famille soit si loin, Clothilde. Vraiment désolé, mais on n’allait pas enlever tout le monde, non plus.

— Non, vous n’auriez pas pu, puisqu’à ce moment-là, il n’était pas question de mariage… Mais on peut inviter les gens plutôt que de les enlever, vous connaissez ça, vous, les Vikings, les invitations ?

Je dis ça sur le ton de la plaisanterie, mais l’ironie perce dans ma voix bien malgré moi. Encore heureux qu’ils n’aient pas enlevé toute ma famille. Je n’aurais jamais pu supporter de voir les petits ici.

— Eh bien, je te laisserai inviter qui tu veux, tu vois, je suis magnanime. Mais avant ça, il faudrait vraiment régler ce problème des gens du Nord. Si on ne fait rien, il va y avoir de nombreux morts. Bjorn n’a pas l’air de vouloir s’en préoccuper… Peut-être qu’il faudrait que j’aille voir moi-même ce qu’ils préparent et lui faire un retour pour le convaincre d’agir…

— On parle de mariage et toi tu repars encore là-dessus ? soupiré-je. Et je n’ai personne à inviter, Einar. Hormis Marguerite, personne ne me parle, ici.

— J’ai envie de t’épouser, Clothilde, n’en doute pas une seconde, mais je veux aussi t’assurer à toi et à notre enfant un avenir. Et quel avenir si tu es faite prisonnière ou si on meurt dans une attaque ? Les deux sont liés pour moi. Je veux te protéger et m’assurer qu’il ne t’arrive rien.

Son regard est déterminé, presque froid, comme si mon futur époux n’était plus qu’un Viking ou… un homme prêt à tout pour protéger sa famille. C’est aussi effrayant qu’attendrissant.

— Bjorn veut mettre en place des tours de garde, il s’en préoccupe, je crois… Et tu l’as dit toi-même, ils ne devraient pas attaquer avant la fin de l’hiver.

— Mais si je n’y vais pas, qui d’autre va aller se renseigner sur leurs forces et leurs intentions ? Ce n’est pas en restant passifs ici qu’on apprendra quoi que ce soit. On a besoin d’informations pour éviter d’être surpris au printemps !

C’est à mon tour de me redresser, l’obligeant à s’éloigner un peu de moi tandis que je m’assieds et remonte l’une des couvertures en laine sur ma poitrine.

— Excuse-moi, qu’est-ce que tu dis, là ? Tu comptes partir pour les espionner ?

— Qui d’autre que moi pourrait faire ça ? Et qui d’autre que moi est convaincu de la nécessité d’y aller ? Si Runolf était là, on pourrait y aller ensemble, mais il est tranquille et heureux en Normandie… Je ne vois que moi, Clothilde.

— Mais non ! m’emporté-je. Tu ne peux pas partir ! Il fait trop froid, et y aller seul ? C’est stupide, Einar !

— J’ai l’habitude du froid, ce ne serait pas la première fois que je fais ce genre d’expédition, tu sais ? Et pour ce qui est d’y aller seul, je ne vais pas mettre en danger quelqu’un d’autre. Tu peux me faire confiance, je suis en capacité de me défendre. Et en sachant que tu m’attends ici, je ferai tout pour rentrer entier !

— Tu plaisantes, j’espère ! Tu vas te barrer et me laisser seule ici ? Et je fais quoi, moi, en t’attendant ? Je joue à l’épouse éplorée qui attend patiemment son homme ? Je prie tous les matins pour que ton frère ne profite pas de ton absence pour venir me trouver ? Tu ne peux pas partir, Einar. C’est trop risqué, et… non, je ne veux pas que tu partes.

— Il faudra que tu retournes en ville, avec Marguerite, certainement. Mais mon frère ne fera rien. Il a compris qu’il n’avait plus aucun droit sur toi, tu peux être rassurée sur ce point-là.

Est-ce qu’il est sérieux ? Têtu, assurément, borné également, mais certainement pas attentif à mes mots.

— Je ne retournerai pas vivre sous le même toit que ta mère, Einar. Ça voudrait dire bouger les animaux, laisser la maison sans surveillance. Tu veux vraiment me laisser seule ?

— Je ne veux pas que tu sois seule, non, soupire-t-il en réfléchissant. Mais tu ne crois pas que c’est important de préparer l’avenir ? Notre enfant, je ne veux pas qu’il grandisse en tant qu’esclave ou pire qu’on soit tués avant de lui donner vie…

— Et si tu te fais attraper ? Capturer ? Tuer pendant que tu es en repérage ? Qu’est-ce que je deviens, moi ? m’agacé-je en repoussant la main qu’il pose sur ma cuisse.

— Tu ne me crois pas capable de me montrer le plus fort ? Tu sais que celui qui sera capable de me capturer n’est pas encore né ! Je n’ai pas peur de ces pauvres demeurés du Nord.

— Je t’ai vu inconscient sur un lit, je t’ai soigné pendant des jours, Einar ! Tu n’es pas un Dieu, rien qu’un humain capable de saigner, de souffrir et de mourir, pour l’amour du Ciel ! Tu ne peux pas partir seul, c’est trop dangereux !

Mon Viking soupire en se passant la main dans les cheveux, clairement agacé par cette conversation. Comment a-t-on pu passer de ce réveil des plus agréables, de cette discussion sur le mariage à cette dispute qui n’a pas lieu d’être ? Je sais qu’il pense bien faire, mais je ne peux pas le laisser tout risquer comme ça parce qu’il se croit invincible.

— Tu sais quoi ? Vas-y, pars jouer les espions, mais ne compte pas sur moi pour t’attendre bien sagement. Si tu me laisses seule ici, je trouverai un bâteau pour rentrer chez moi. Je refuse de t’attendre pendant des semaines, la peur au ventre, et de ne jamais te voir revenir parce que tu auras pris des risques stupides basés sur des possibilités discutables.

— Des risques stupides ? s’énerve-t-il en se relevant subitement. Tu ne comprends donc pas que c’est parce que je t’aime et que je veux vous préserver que je pense à ça ? Il n’y a rien de stupide à vouloir protéger ceux qu’on aime.

Je soupire tandis qu’il récupère ses affaires et quitte la chambre. J’imagine qu’il va s’habiller et s’occuper à l’intérieur, vu le froid de la nuit dernière, mais j’entends rapidement le bruit caractéristique de la porte qui s’ouvre puis se referme. Ce grincement ne m’aura jamais paru aussi sinistre qu’à cet instant. Et lui, ne comprend-il pas que c’est parce que je l’aime que je ne veux pas qu’il prenne ces risques ?

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