72. L’amour en questions

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Einar

Stupide, stupide, elle a osé me traiter de stupide ! Moi, tout ce que je veux, c’est qu’elle se sente bien, qu’elle soit heureuse et c’est stupide ? Essayer de tout faire pour la protéger, c’est stupide ? Mais pour qui se prend-elle ? Même ma mère, si elle l’a sûrement souvent pensé, ne l’a jamais exprimé de manière aussi claire ! Et puis, qui est-elle pour dire que les possibilités d’être attaquées par les Vikings du Nord sont “discutables” ? Elle n’y connait rien à nos politiques ! Et ça m’énerve d’être autant touché par ces quelques mots qu’elle a prononcés sans vraiment y réfléchir, je suis sûr. Il faut que je me rappelle qu’elle n’est pas ma mère, qu’elle m’aime et que si elle s’est énervée comme ça, c’est qu’elle a peur pour moi.

J’enfonce mes mains dans mes poches après avoir remonté le col de ma pelisse pour me couvrir le cou alors que je piétine la neige devant notre maison. Je fais ça machinalement mais je ne sens pas vraiment le froid, trop absorbé par mes pensées. Et ces pensées tournent en rond autour de la jolie brune qui partage ma vie. Je me dis qu’elle a bien du courage à être ici alors que toute sa famille est restée en Normandie. Est-ce que je regrette l’idée qu’a eue Bjorn de l’enlever ? J’avoue que je n’y arrive pas. Mais en même temps, je comprends à quel point ça doit être difficile pour elle d’être ainsi séparée de tous ceux qu’elle aime. A part moi, j’ose espérer.

Est-ce que moi, je l’aime vraiment ? Oui, plus que tout. Mais je n’arrête pas de me demander si cet amour est véritable. Quand on aime, on fait tout pour l’être aimé, non ? Et là, tout ce qu’elle désire, c’est rentrer en Normandie. Qui suis-je pour l’en empêcher ? Et pourquoi ne pas l’envisager ? Ici, avec les guerres constantes, le climat, les guérisseuses qui ne guérissent rien, est-ce vraiment l’endroit idéal pour élever notre enfant ? Je me dis que finalement, ça pourrait être pas mal de la laisser partir afin de donner un vrai avenir à ce bébé qui n’est pas encore né. Mais si je fais ça, comment pourrais-je vivre sans elle ?

Je lève les yeux au ciel et m’éloigne un peu de la maison pour m’aveugler avec les flocons qui tombent. J’essaie de me noyer dans ces tourbillons afin d’arrêter ce flot de pensées que je n’arrive pas à maîtriser. Ma vie était tellement plus simple avant que Clothilde n’y entre et ne vienne tout bouleverser ! Mais qu’est-ce qu’elle était fade aussi. Je… je ne peux plus me passer d’elle et si je la laisse partir, je vais en mourir, sûrement. Mais je n’ai pas le droit… Non, il faut que j’arrête de penser à tout ça.

Lorsque j’entends la porte de la maison s’ouvrir, je suis surpris par le bruit et baisse les yeux que je suis obligé de frotter pour pouvoir apercevoir Clothilde qui sort à son tour. Elle aussi a revêtu une grosse pelisse en peau de lapin qui lui donne un air sauvageon qui la rend si mignonne que mon coeur fait un bond en la voyant.

— Je suis là, Clothilde, je ne suis pas parti, l’informé-je en me disant que j’ai dû l’inquiéter en sortant si vite. J’avais besoin de prendre l’air.

— Einar, soupire-t-elle en approchant. Est-ce que… tu veux bien qu’on discute ? Enfin, je voudrais surtout… m’excuser pour mon comportement.

— Non, tu n’as pas à t’excuser. Tu as raison, les risques sont stupides si je te laisse seule ici. C’est juste que tu as trop fait écho à la façon dont me traite ma mère, avoué-je. Et j’ai pas supporté d’entendre ça venir de ta bouche même si tu as raison sur le fond.

— Quoi ? Oh non ! Non, non, non, pitié, ne me dis pas que j’ai agi comme ta mère ? s’agite-t-elle en attrapant mes mains entre les siennes. Je suis désolée, tellement désolée, je ne voulais pas… Tu n’es pas stupide, Einar, j’ai dit ça par peur, c’est tout. Je suis juste terrifiée de t’imaginer partir et ne jamais revenir.

— Et pourtant, si ça arrive, tu seras libre de rentrer en Normandie. C’est là-bas qu’est ta place. Pas dans ce pays froid et hostile, rempli de mes compatriotes tous plus fous les uns que les autres.

— Mais je n’ai aucune envie d’être séparée de toi, souffle-t-elle en se nichant dans mes bras.

— Moi non plus, je n’ai aucune envie d’être séparé de toi, indiqué-je avant de la sentir frissonner contre moi. Viens, rentrons, tu vas attraper le mal, si on reste dehors dans le froid.

Je la soulève sans effort tellement elle est légère et elle s’accroche à moi, m’aidant juste à ouvrir la porte pour que nous puissions rentrer sans nous cogner. Je la repose à peine la porte refermée et elle retrouve immédiatement sa place au creux de mes bras, comme si elle voulait se réchauffer par ce simple contact.

— Si tu penses qu’il faut y aller, vas-y… Je ne peux pas te l’interdire alors que je te demande de me respecter et de me laisser libre de mes choix. Promets-moi juste de faire attention à toi et de me revenir…

— Ce n’est pas une bonne idée, tu l’as dit et tu as raison. Si j’y vais tout seul, au mieux, je meurs de froid sur un chemin, au pire je meurs après des tortures de leur part quand ils m’auront capturé. Et je n’ai pas vraiment envie de mourir tout de suite. Il faut réfléchir à une autre solution par rapport à eux, c’est évident, même si ça me mine de ne pas pouvoir me mettre dans l’action.

— Donc pas de mission secrète et risquée pour le moment ? me demande-t-elle en relevant la tête, un petit sourire en coin sur les lèvres. Ma bouillotte personnelle reste à la maison ?

— Je ne voudrais pas que tu prennes froid, souris-je en retour. Et ce n’était pas la meilleure idée du monde. Heureusement que tu es là et que tu me ramènes à la réalité des choses, parfois. Tu sais que je t’aime et que tout ce que je veux, c’est te protéger et te rendre heureuse ?

— Est-ce que tu veux toujours m’épouser, aussi ? Parce que… je t’aime et je suis prête à sacrifier un peu de ma liberté pour toi.

Je m’écarte légèrement d’elle afin de pouvoir mieux l’observer. Je me demande si j’ai bien compris ce qu’elle est en train de me dire.

— Bien sûr que je veux toujours t’épouser ! Mais… ce n’est pas un peu de liberté que tu sacrifies, là. Tu sais à quoi je pensais, là, dehors, sous la neige ? A comment je pouvais faire pour te laisser rentrer en Normandie. Tu y serais tellement plus en sécurité. Et avec ta famille, aussi, ça n’a pas de prix, ça.

— Rentrer en Normandie ? Mais… et toi, dans tout ça ?

— Moi, je suis né ici, ma vie est ici et je n’ai pas le droit de t’enfermer avec moi en Swede. Ce serait comme empêcher un oiseau de voler et rentrer dans son nid. Les Dieux ont parfois des désirs que l’on ne comprend pas et il faut accepter les épreuves qu’ils nous envoient.

— Je ne comprends pas, souffle-t-elle en reculant de quelques pas sans oser me regarder dans les yeux. Où veux-tu en venir, Einar ? Tu… tu veux que je reparte ? Je suis perdue, là.

— Mais non, je ne veux pas que tu repartes, c’est ce que toi, tu veux ! m’emporté-je. Si tu veux vraiment savoir ce que je désire, c’est ne jamais m’éloigner de toi. Mais je ne suis pas un monstre, non plus. Je veux que tu sois heureuse, et si ça passe par ton retour en Normandie, je suis prêt à me sacrifier pour que ça arrive. Je t’aime à ce point-là, Clothilde. Ton bonheur est plus important que tout, même que mon envie de t’épouser et de ne jamais être séparé de toi.

— Ma famille me manque, Einar, je ne peux pas dire le contraire, mais… nous allons aussi former une famille, je ne peux pas éloigner notre enfant de son père. C’est difficile de vivre ici pour moi, tu le sais, mais je ne suis pas non plus un monstre, et puis tu es là. Je ne veux pas m’éloigner de toi non plus.

Je me rapproche à nouveau d’elle et pose mes mains sur ses hanches en plongeant mon regard dans le sien.

— Est-ce que ça veut dire que tu préfères rester avec moi plutôt que de partir ? Est-ce que tu es vraiment d’accord pour… pour m’épouser ? parviens-je à demander après avoir pris une grande inspiration.

Je n’ai jamais eu aussi peur, même sur le champ de bataille. J’ai l’impression que nous sommes en train de sceller notre avenir et cela m’angoisse au plus haut point, surtout quand je vois à quel point elle semble agitée par la décision qu’elle s’apprête à prendre et que je respecterai, quelle qu’elle soit.

— Ça veut dire que je ne pourrai pas m’empêcher d’être parfois triste de ne plus être là-bas, mais que ma vie est à tes côtés, Einar, me lance-t-elle finalement avant d’embrasser ma joue, se collant contre moi pour l’atteindre. On est une famille. Tu es ma famille.

Mais pourquoi ne peut-elle pas me répondre simplement ? Elle va être triste d’être à mes côtés ? Je m’embrouille un peu, là, mais ses yeux amoureux arrivent à s’adresser à mon esprit plus rapidement que n’importe quel mot qu’elle pourrait prononcer.

— Si je suis ta famille, c’est que tu acceptes de m’épouser, alors… C’est bien ça ? demandé-je ayant besoin de sa confirmation claire et précise.

— Tu as bu, Einar ? rit-elle. Je ne suis pas claire, c’est ça ? Bien sûr que j’accepte. Je veux juste que tu comprennes que si parfois je suis triste, ce n’est pas d’être à tes côtés. Je t’aime, je suis bien avec toi et tu me rends heureuse.

— Avec moi, tu ne seras jamais triste, m’enthousiasmé-je en la soulevant dans mes bras. Je ferai tout pour te rendre heureuse et même plus ! Je t’aime, ma Clothilde. Je t’aime et j’ai hâte que tu deviennes ma femme !

Nous scellons cette belle promesse que je vais m’efforcer de tenir par un baiser passionné et langoureux. Je sais que ce sera compliqué parfois, qu’il y aura des moments où son autre famille lui manquera beaucoup, mais ce sera mon devoir, et mon plaisir, de tout faire pour que ces moments durent le moins possible, et de lui faire oublier sa peine. Parce que je l’aime et parce qu’elle m’aime. Le reste, pour l’instant, je m’en moque.

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