76. Le désespoir de ceux qui restent

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Einar

Notre petit groupe a pu s’installer dans la grande halle centrale et nous avons étalé des peaux et des couvertures à même le sol afin de pouvoir nous reposer. Par précaution, j’ai instauré un système de garde mais nous n’avons pas été dérangés et je peux ainsi profiter ce matin de ma jolie compagne lovée tout contre moi. C’est fou ce que j’aime cette sensation de nos deux corps nichés l’un contre l’autre, de son odeur si particulière due au savon qu’elle fabrique elle-même avec du lait de chèvre, de sa peau si douce que je parviens à atteindre malgré les différentes couches de vêtements. C’est dommage qu’on n’ait aucune intimité parce qu’elle a ce don pour attiser mes envies et mes désirs, mais je suis raisonnable et je me contente de quelques baisers avant de me lever.

— Je vais aller me dégourdir les jambes à l’extérieur. Tu veux venir avec moi ?

— Je veux bien t’accompagner, oui. J’en ai besoin, même si nous avons passé la journée d’hier à marcher.

Je souris et l’aide à se relever en lui tendant la main. La coquine en profite pour se coller à moi et nous échangeons un nouveau baiser, petit moment de tendresse dont elle est coutumière et dont je ne peux plus me passer. Nous sortons et je chuchote à Clothilde pour ne pas que des locaux puissent nous entendre :

— Sois attentive, on ne sait jamais ce qu’il peut se passer. Et si on doit se défendre ou attaquer, tous les détails peuvent être importants.

— Bien, Chef, tu peux compter sur mes petites oreilles.

Je lui souris et lui prends la main, oubliant un peu les consignes que je m’étais données de ne pas avoir des gestes et attentions envers elle afin de ne pas la désigner comme cible privilégiée en cas d’attaque. Je n’arrive tout simplement pas à faire comme si nous n’étions rien l’un pour l’autre. Je regretterais peut-être en cas de souci, mais je ne peux pas lutter contre cette attraction mutuelle.

Alors que nous sommes en train de revenir vers la halle centrale, je constate qu’un petit groupe s’est rassemblé devant la porte d’entrée et qu’ils parlementent avec Godur, un petit jeune de notre groupe qui assure la garde. Je ne sais pas de quoi ils parlent mais quand il m’aperçoit, il me désigne du doigt et immédiatement, leur attention se porte sur nous. Ils s’approchent et nous encerclent et j’en veux à Godur de me mettre dans cette situation alors qu’il a refermé la porte comme s’il voulait se protéger. Tu parles d’un soutien !

En attendant, ceux qui nous entourent forment un groupe un peu hétéroclite. Il y a notamment une femme, blonde, avec son bébé dans les bras, deux jeunes à peine sortis de l’enfance et quelques hommes dont les regards patibulaires ne me rassurent pas.

— Il y a un souci ? demandé-je en essayant de paraître le plus nonchalant possible.

— C’est vous, le chef ? m’interroge brusquement un homme à peine plus petit que moi, le regard froid.

— Je suis le leader de cette délégation, oui, mais rien de plus, expliqué-je sans m’avancer plus.

— C’est vous qui avez tué mon frère, gronde-t-il en approchant d’un pas.

— Votre frère ? demandé-je en posant ma main sur mon épée.

Qu’est-ce que cette accusation gratuite ? Et pourquoi s’en prennent-ils tous à moi comme ça ?

— Mon frère, oui, et son mari, continue-t-il en désignant la femme qui porte un bébé. Un seul des trois éclaireurs est revenu et nous avons appris que les deux autres étaient morts.

Je comprends désormais mieux leur agressivité à mon égard. Je m’en veux de les avoir laissés m’entourer ainsi, surtout en présence de Clothilde qu’il va me falloir protéger en plus de me défendre. Je n’hésite plus et sors mon arme en m’assurant d’être bien stable sur mes pieds pour leur faire face.

— Je suis désolé pour vous, mais c’est ce qui est arrive quand il y a des combats. Ce sont les Dieux qui décident qui survit et qui les rejoint au Valhalla. Et qui vous a dit que j’avais quelque chose à voir avec leur décès ?

— Les nouvelles vont vites, ici, intervient la femme. Il a été dit que c’est vous qui les avez tués.

— Einar n’a fait que nous protéger, intervient Clothilde en posant une main sur son ventre qu’elle met en avant. Nous sommes désolés, mais vos hommes l’ont attaqué, il n’a fait que nous défendre.

— Clothilde, tenté-je de la réprimander. Laisse, ils n’ont pas l’air d’avoir envie de discuter, là.

— Et c’est compréhensible, non ? Toi comme moi serions dans le même état si nous avions perdu un membre de notre famille. Mais je vous en conjure, à notre place, vous auriez fait la même chose également. Ils nous ont attaqués sur nos terres, Einar a juste voulu protéger notre enfant...

— Pourquoi les avoir tués alors qu’Asgeir est toujours en vie ? demande le premier homme, toujours aussi renfrogné.

— Si j’avais pu, je n’aurais tué aucun des trois mais ils nous ont sauté dessus. Et c’étaient eux ou nous. J’ai réussi à maîtriser celui que vous appelez Asgeir. Pour les autres, c’était trop tard. Ce sont eux qui nous ont agressés. Et comme je vous l’ai dit, quand on se bat, on prend le risque de mourir. Ils sont morts au combat, leur mort a été digne.

— Une mort digne ? Et moi, qu’est-ce que ça m’apporte, hein ? m’interroge la femme en serrant son petit contre elle.

— Je suis désolé pour vous, vraiment, dis-je en rangeant mon épée pour ne pas paraître trop agressif alors qu’ils ont l’air plus désespéré qu’autre chose.

— Ils ne devaient pas attaquer, murmure la femme, nous ne comprenons pas…

— Je peux vous dire qu’ils ne sont pas venus en paix, énoncé-je calmement, sans relâcher ma vigilance.

— Mon mari n’était pas un homme mauvais !

— Pardon, intervient à nouveau Clothilde, mais deux hommes qui courent en direction d’un troisième, épées en avant, ne viennent pas quémander un repas chaud et un abri. Einar a été blessé. Nous comprenons que vous soyez malheureux et en colère, mais nous énerver les uns contre les autres ne changera rien.

— Un guerrier est rarement un homme mauvais, ajouté-je. Cela n’empêche qu’il reste un guerrier, et le risque, c’est de tomber sur plus fort que soi… Je suis vraiment désolé pour vous.

— Ça ne me ramènera pas mon mari, soupire-t-elle, les larmes aux yeux avant de se détourner et de s’éloigner.

La colère des autres semble aussi retomber et je respire un peu, soulagé de voir qu’ils n’ont plus la volonté de se venger et qu’ils comprennent que je n’ai fait que me défendre et que c’est le sort qui a décidé, que je n’ai pas tué par plaisir. Clothilde attire mon attention en me tirant sur le bras et je la regarde pour voir ce qu’elle me veut.

— Cette femme me fait de la peine, souffle-t-elle. Nous pourrions peut-être l’aider, non ? Je… Mon Dieu, tu imagines, seule avec son bébé ? La pauvre…

— Qu’est-ce que tu voudrais qu’on fasse ? Je suis d’accord avec toi, sa situation est triste, mais ce n’est pas à nous de nous en mêler.

— Je ne sais pas… Peut-être qu’on pourrait… la ramener avec nous ? L’aider avec son enfant ? Est-ce que c’est quelque chose qui se fait, chez vous ?

Clothilde est toujours surprenante, mais là, elle fait fort. La ramener avec nous ? Elle veut quoi, me partager avec elle ou quoi ?

— Comment ça, la ramener chez nous ? Tu ne crois pas qu’elle ferait mieux de rester ici ?

— Parce que c’est le genre de questions que vous vous posez, ça ? m’interroge-t-elle sérieusement avant de soupirer. Peut-être que nous pourrions lui poser la question ? Si elle n’a personne ici ou presque, qui sait ? Je… Elle m’a fait tellement de peine. Je me suis imaginée à sa place et c’est terrifiant.

— Tu as raison, soupiré-je, parfois on ne se pose pas ce genre de questions. Rattrapons-la et demandons-lui. Si on peut l’aider, il faut le faire.

— Tu es quelqu’un de bien, mon Viking, sourit-elle en déposant un baiser sur ma joue.

Rien que pour ce sourire et ce baiser, je crois que je serais prêt à toutes les folies du monde. Je ne sais pas si je suis quelqu’un de bien mais assurément, être près de Clothilde me rend meilleur. Sans elle, jamais je n’aurais pensé à ce que vit cette pauvre femme que nous rattrapons sans peine avant qu’elle ne rentre à son domicile.

— Attendez, l’attrapé-je. Nous voulons vous proposer quelque chose. En… Pour vous prouver que même si je suis un guerrier moi aussi, nous ne sommes pas des gens mauvais.

— Me proposer quelque chose ? Et qu’est-ce qui pourrait remplacer mon mari, au juste ?

— Ma compagne souhaite vous proposer de venir vivre chez nous. Comme ça, vous n’aurez pas à craindre de manquer de nourriture, votre bébé pourra grandir sans peur. Et vous, vous serez en sécurité.

— Vous m’avez pris mon mari et vous me proposez de quitter l’endroit où je vis depuis que je suis née ? De m’éloigner de mon oncle ? Vous devriez éviter ce genre de proposition, on pourrait vous soupçonner de vouloir capturer la nièce du Jarl.

— Cela n’a rien à voir avec le Jarl, commencé-je avant que Clothilde ne m’interrompe.

— Il n’y a pas de capture si vous êtes d’accord. Notre village… Il est agréable, il y a beaucoup d’enfants, nous avons suffisamment de nourriture et vous ne serez pas seule. Ce n’est qu’une proposition, bien entendu, c’est vous qui décidez. Avec Einar, nous voulons juste vous proposer une autre solution, si vous n’avez pas d’attache ici et besoin de repartir à zéro.

Je la vois porter son regard sur le ventre de Clothilde puis à son propre bébé. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est une bonne chose qu’elle soit venue avec nous, cela a l’air de faciliter la prise de contact avec ces Vikings plus désespérés qu’agressifs.

— Prenez le temps d’y réfléchir, poursuit Clothilde. Einar est un homme bon, un homme de parole, vous savez ? Il a juré de me protéger et s’emploie chaque jour à le faire. Et puis, je ne dirais pas non à un peu de compagnie de mon côté. Nous pourrons nous soutenir et nous entraider.

— Oui, je vais y réfléchir, indique la jeune femme. Merci de votre proposition…

Elle n’en dit pas plus et pénètre dans sa maison, nous laissant seuls devant. Je ne sais pas dans quoi on se lance avec cette proposition mais je suis content de lui avoir fait. Je souris à Clothilde qui se serre à nouveau contre moi.

— Tu sais que tu es incroyable, ma belle Normande ? Tu as des idées un peu folles mais un coeur énorme et je t’aime. Pour ça et pour tellement d’autres choses.

— Merci de me suivre dans mes idées un peu folles, mon Viking, sourit-elle en caressant ma joue avec tendresse. Je t’aime aussi. Est-ce que tu crois qu’on peut retourner à la Halle ? Je meurs de faim et il y a un ou deux bébés Vikings à nourrir !

J’espère qu’il n’y en a qu’un, mais il semble bien de plus en plus probable que nous ayons fait non pas un mais deux bébés. Et s’ils sont aussi adorables et mignons que Clothilde, je sens que je vais être le père le plus heureux du monde.

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