79. La fausse bonne idée de la perle
Clothilde
Je m’étire sous les couvertures et jure en sentant mon corps endolori d’avoir bien trop marché ces derniers jours. Au moins, j’ai dormi dans un lit confortable et ça fait du bien. Ce qui est bien moins agréable, c’est que je ne suis pas enveloppée par les bras de mon Viking et que la place à mes côtés est libre et froide. Je déteste me réveiller seule, j’ai pris l’habitude de profiter quelques minutes de la chaleur d’Einar, chastement ou non. Le matin est un peu un moment hors du temps où il n’y a aucune pression, aucun regard sur nous. Einar est juste lui-même et moi, je ne suis que la femme qu’il aime, loin des regards dédaigneux de certains au village, de la petite fermière sage et innocente aussi.
Ou gentille… Quand j’entends Iona éclater de rire derrière les tentures, j’ai envie de tout sauf d’être gentille. Pourquoi ai-je eu cette idée stupide de la ramener ici ? Ma bonté me perdra, c’est certain. Finalement pas si attristée que ça, la jolie blonde, puisqu’elle ne se gêne pas pour approcher mon homme et le draguer. Et je déteste ça. Je hais ce que ça me fait ressentir, cette peur irrationnelle de le perdre alors que je vois dans son regard qu’il m’aime, qu’il se sent bien, heureux avec moi.
Je me lève aussi rapidement que possible vu mon état, enfile une robe propre et prends le temps de tresser mes cheveux en silence, tentant de façon mesquine de ne pas signifier aux deux personnes qui chuchotent que je peux les entendre. Sauf que je ne discerne pas grand-chose de ce qu’ils peuvent se dire, juste quelques mots qui, assemblés, ne signifient rien. Ce que je perçois bien plus distinctement, en revanche, ce sont les rires de la blonde, et ils me hérissent le poil. Pas étonnant que j’aie hâte qu’Einar lui trouve un lieu où s’installer.
Je sors finalement de notre chambre et les trouve installés à table tous les deux, face à face. Le bébé dort à quelques pas du feu, emmitouflé dans sa couverture en laine, paisible. Un tableau de famille parfait qui, Dieu merci, devrait être le nôtre dans quelques mois. Sans elle, avec Nuage en plus. L’idyllique image disparaît quand mon Viking m’attire sur ses genoux et enfouit son visage dans mon cou pour y déposer des baisers qui me font frissonner. Suis-je monstrueuse d’avoir envie de sourire outrageusement à Iona ? Sans doute… Ma jalousie est-elle déplacée ? Au vu des paroles d’Einar pour me rassurer, hier, c’est certain. Mais je ne contrôle pas mes émotions, je n’y peux rien. Heureusement que cette sensation de bien-être prend possession de moi, ainsi installée, choyée par mon homme.
— Tu aurais dû me réveiller, soufflé-je en attrapant son visage entre mes mains pour poser mes lèvres sur les siennes.
— Mais non, tu avais besoin de te reposer. Et puis, cela m’a laissé le temps d’expliquer à Iona que je vais l’emmener chez ma mère tout à l’heure. Elle y sera plus à l’aise qu’ici, même si elle dit que ça ne la dérangerait pas de rester avec nous.
Tu m’étonnes que ça ne la dérangerait pas. D’ailleurs, je suis sûre qu’elle ne se gênerait pas non plus pour s’allonger dans notre lit, ou prendre ma place sur ses genoux. Peut-être serait-elle même capable de me demander de m’occuper de son fils, qui sait ! Mais je m’en fiche, Einar a trouvé une solution et elle ne sera bientôt plus ici, et ça, ça me réjouit bien trop pour que je ne ressente pas un élan de culpabilité.
— Bonne idée. Marguerite va bien s’occuper de vous, et elle sera ravie de pouvoir pouponner. Elle me parle souvent de l’époque où Einar était enfant, et elle a toujours le sourire aux lèvres dans ces moments, lancé-je à notre invitée en me servant du lait.
— Est-ce que tu étais déjà aussi fort et beau que maintenant ? lui demande-t-elle en posant sa main sur son bras, ce qui a le don de m’agacer à nouveau.
— Je crois que mon frère était plus beau que moi, répond-il simplement en retirant son bras pour me caresser le dos. Tu viens avec nous chez ma mère, ma chérie ?
— Bien sûr ! J’ai hâte de retrouver notre bébé ! Et je suis certaine que Marguerite aura préparé de quoi nous nourrir de façon plus agréable qu’avec ce pain. Es-tu déjà allé t’occuper de nos bêtes, ce matin, ou faut-il qu’on y aille avant de partir ?
— Non, tout est fait. Je crois que c’est ça qui a réveillé Iona, d’ailleurs. Dès que tu es prête, on peut y aller.
— Alors allons-y, ne traînons pas.
Débarrassons-nous de notre invitée et récupérons Nuage… Oui, c’est un plan qui me convient bien et je ne traîne pas à m’habiller chaudement, contrairement à Iona qui ne semble pas pressée de partir, si bien qu’Einar lui tend sa cape pour l’inciter à accélérer le mouvement.
Le vent souffle ce matin, mais le soleil réchauffe l’atmosphère. Il ne reste que très peu de neige sur le sol, l’hiver semble s’éloigner pour de bon. J’ai hâte de pouvoir enlever toutes ces couches de vêtements et je me demande sérieusement comment les femmes peuvent supporter ce poids supplémentaire lorsqu’elles sont bien enceintes.
Jalousement, je ne quitte pas mon Viking, mon bras passé sous le sien. De manière officielle, j’ai besoin de son soutien pour me déplacer.. Plutôt ridicule comme excuse, même si mes douleurs au dos sont plus supportables lorsqu’il passe son bras autour de ma taille. Officieusement, je jubile de voir Iona frustrée, et j’ai la sensation d’être une horrible personne. Cependant, avoir perdu son mari ne lui donne pas le droit de chercher à me voler le mien sous mes yeux, si ? Il ne faut pas abuser, je tiens à protéger ce que j’ai.
Nuage nous accueille à peine avons-nous passé la porte de la maison. Il saute sur ses pattes arrière et pose les deux autres sur les cuisses de mon Viking, lui lèche les mains, heureux de le retrouver, avant de faire de même sur moi, avec plus de délicatesse. Il est encore jeune, mais Einar s’emploie à le dresser avec attention et notre petite boule de poils semble très futée.
— Je suis contente de vous voir ! s’exclame Marguerite en nous rejoignant à son tour pour nous prendre dans ses bras l’un après l’autre.
Elle est toujours plus démonstrative que la mère d’Einar qui ne se lève même pas de table et nous salue d’un signe de tête en jetant plusieurs coups d'œil en direction de l’inconnue que nous amenons chez elle.
— Qui est cette femme ? interroge-t-elle rapidement mon Viking.
— Tu te souviens des Vikings que j’ai dû tuer suite à leur agression ? Eh bien, c’est la femme de l’un d’entre eux. Sans le soutien de son mari, Iona, c’est comme ça qu’elle s’appelle, précise-t-il, ne pouvait pas s’en sortir dans son village. Clothilde a eu l’idée de lui proposer de venir avec nous pour qu’on puisse l’aider. Et… on s’est dit qu’elle serait mieux ici que chez nous, ce serait plus confortable. Et toi, tu pourrais l’aider avec le bébé, aussi.
Mon Viking a le don pour annoncer les choses et je ne doute pas que la mama ne va pas vraiment aimer cette prise d’initiative… Déjà qu’elle ne m’apprécie pas vraiment, mon élan de gentillesse ne va rien arranger.
— Nous ne sommes pas un refuge, cingle-t-elle en nous fusillant du regard. Et puis quoi encore ?
— Je te demande juste de l’héberger, rien d’autre, plaide Einar. Un peu de compagnie ne te fera pas de mal dans cette grande maison.
— Marguerite est là pour ça.
— Et Marguerite va adorer s’occuper de ce petit ange, sourit l’intéressée, le regard posé sur le bébé qui gesticule dans les bras de sa mère.
— Je ne veux pas déranger, intervient Iona. Peut-être que ce serait mieux si je reste avec Einar et Clothilde, finalement…
Ben voyons ! Mon Dieu, pourquoi n’ai-je pas tenté de cerner un peu plus cette femme avant de l’inviter ici ? Elle n’a vraiment aucune gêne !
— Ou alors, on propose à Bjorn de l’épouser ? Ce serait une façon de lier les deux villages sur le long terme, non ? lancé-je, fière de ma trouvaille durant une seconde.
Est-ce que je viens réellement de proposer un mariage arrangé ? Je crois que je vais réellement finir en Enfer !
— En quoi cela lierait-il les deux villages ? m’interroge Tyra, la mère d’Einar, visiblement intéressée par cette proposition sortie de nulle part.
J’hésite à répondre, maintenant que j’ai pris conscience que ma suggestion était horrible. Ayant moi-même été promise à un homme sans qu’on me demande mon avis, je m’en veux d’avoir balancé ça sans réfléchir, juste pour me débarrasser d’elle. Sauf que c’est trop tard…
— C’est la nièce du Jarl qui vient d’être destitué, mais il est très respecté par l’ensemble du village et il est certain qu’il voudra reprendre sa place dès que ça se calmera. Alors, savoir qu’elle est mariée à Bjorn l’obligera à coopérer, non ?
— Mais c’est une excellente idée, ça ! s’enthousiasme Tyra alors que Iona me jette un regard peu amène. Et la petite est mignonne, Bjorn ne sera pas déçu. Vous êtes la bienvenue chez nous, Iona ! Marguerite, prépare lui la chambre d’Einar. Einar, ta Normande est une perle !
Je ne devrais pas me réjouir et être touchée qu’elle parle de moi de manière positive, surtout vu ma proposition, mais c’est pourtant le cas. Il est rare que Tyra fasse des compliments, et encore plus à mon encontre, alors j’avoue que me sentir acceptée et appréciée me fait plaisir. Surtout venant d’elle. J’espère, en revanche, que Bjorn ne sera pas un enfoiré avec Iona. Si je la déteste d’avoir des vues sur mon homme, je n’aimerais pas, malgré tout, qu’il la traite mal. Personne ne mérite de souffrir…
— Tu entends ça ? soufflé-je tout bas à mon Viking, le sourire aux lèvres. Une perle !
— Par contre, reprend sa mère, il ne faudrait pas traîner pour le mariage… Je crois que le plus simple, vu que tout est déjà presque prêt, ce serait de le faire à la place du tien, Einar. Pour toi, il n'y a pas de vraie urgence, les Normands ne risquent pas de venir nous attaquer vu leur incapacité à se défendre. Et peut-être que ce délai te permettra de retrouver tes esprits et te laissera le temps de te trouver une fille de chez nous. Je vais aller prévenir Bjorn immédiatement, il sera content de voir que l'on renforce son pouvoir.
Wow, elle me fait quoi, la future grand-mère, là ?
— Mais Maman, c'est Clothilde que j'aime, proteste faiblement Einar alors qu'elle est déjà en train de revêtir sa pelisse blanche.
— L’amour n’a pas sa place dans un mariage et tu le sais. Je crois que ta Normande l’a compris aussi avec cette proposition. Tu vois, tu devrais y réfléchir sérieusement.
Elle sort de la maison sans attendre et j’observe mon Viking qui ne dit pas un mot, à moitié perdu dans ses pensées. Y réfléchit-il réellement ? Parce qu’il n’a pas vraiment défendu notre union, soyons honnêtes ! Et sa mère, de quel droit repousse-t-elle notre mariage, d’abord ? Je ne veux pas que mes enfants naissent dans le péché, moi, et Einar le sait ! Pourquoi n’a-t-il quasiment rien dit ? Pourquoi laisse-t-il faire sa mère, encore et toujours ?
Annotations