80. Coups de colère

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Einar

— Allez, ma petite, venez avec moi, il semblerait que vous ayez gagné un mari dans cette histoire. Mon Bjorn ne devrait pas vous déplaire.

Je regarde un peu groggy Madeleine accompagner Iona vers l'arrière de la maison. Elle semble aussi hébétée que moi par ce qu'il vient de se passer avec ma mère, toujours présente pour régenter nos vies, comme si elle était toujours la femme du Jarl. Alors que j'allais moi aussi me réjouir du compliment adressé à Clothilde, elle a tout cassé avec sa proposition irréfléchie de remplacer mon mariage par celui de mon frère. Et ma promise a l'air furieuse. Ses yeux verts ont pris une teinte sombre et je me demande si elle n'est pas en train d'invoquer les pires punitions divines pour accabler ma famille.

— Tu vas vraiment laisser faire ta mère ? Notre mariage compte-t-il si peu pour toi qu’elle peut le piétiner en une phrase ?

— Mais non, protesté-je. Je… elle n'a pas réfléchi, c'est tout. Je vais aller lui parler et on va trouver une nouvelle date… Cela ne remet pas en cause notre mariage, tu as bien entendu que je lui ai dit que c'est toi que j'aime…

Clothilde a mis ses poings fermés sur ses hanches et fronce les sourcils. Visiblement, mes explications ne lui suffisent pas et j'hésite à continuer à parler pour la calmer ou à la laisser déverser sa colère. Son énervement ne me laisse cependant pas le temps de réfléchir car elle repart immédiatement à l'assaut en pointant désormais un doigt accusateur vers moi.

— Ça ne remet pas en cause notre mariage ? Parce que tu penses que tes quelques mots vont réussir à convaincre ta mère, peut-être ? Je te préviens, Einar, tu sais que c’est important pour moi qu’on se marie avant la naissance des bébés. Ça fait plusieurs mois qu’on discute et qu’on prépare ce mariage et on va tout lâcher pour ton frère et cette femme ? Je ne veux pas attendre davantage pour devenir ta femme, parce que je t’aime, et parce que je ne veux pas vivre davantage dans le péché. Je respecte tes croyances, ne m’oblige pas à aller à l’encontre des miennes, je t’en conjure…

Je l’ai rarement vue aussi en colère et je me dis qu’il faut que je fasse quelque chose, sinon elle serait bien capable de reprendre le bateau direction la Normandie sans moi.

— Ecoute, ne t’énerve pas, je vais aller lui parler. Et on maintient la date du mariage, ne t’inquiète pas. Je vais tout arranger.

— Ca me semble compliqué de ne pas m’énerver quand c’est ta mère qui régente nos vies. J’ai déjà eu un père qui tenait ce rôle, ça m’a largement suffi, soupire-t-elle en s’asseyant à-même le sol pour jouer avec Nuage qui lui lèche le visage, lui tirant un sourire.

Je me penche pour l’embrasser mais elle détourne le visage, ne m’offrant que sa joue. Je me relève en maugréant et vais à la recherche de ma mère au village. Je la retrouve sortant de la maison du Jarl et visiblement, la proposition de mariage n’a pas convenu à mon frère car elle a l’air fâchée. Ce n’est sûrement pas le meilleur moment pour l’aborder à nouveau, mais je repense à Clothilde et me dis que je ne peux pas patienter.

— Maman, j’ai discuté avec Clothilde et il faut qu’on maintienne le mariage. Donc, que tu le veuilles ou non, nous nous marierons dans deux semaines, affirmé-je avec force alors qu’elle m’adresse un regard noir.

— Elle te mène vraiment par le bout du nez, c’est fou ! Il y a plus important que son petit mariage, Einar. Le village, par exemple.

— Eh bien, on fera les deux mariages en même temps, c’est tout. Comme ça, tu auras une occasion de te réjouir avec ton fils préféré, lâché-je en m’énervant.

— Les deux en même temps ? Je ne suis pas sûre que ta Normande apprécie, s’esclaffe-t-elle. Et le mariage du Jarl doit être spécial !

— Il sera spécial car il aura la chance de se marier en même temps que son frère. Clothilde sera contente parce que nous nous aimons, au moins. Pas comme mon pauvre frère à qui tu imposes encore une fois ton choix personnel.

— Je te rappelle que c’était l’idée de ta future femme et non la mienne.

— Qu’importe d'où vient l’idée, on fait un double mariage ou je fais un scandale dans le village jusqu’à ce que tu cèdes.

— Je te déconseille d’agir de la sorte. N’oublie pas à qui tu parles et ne sois pas ingrat ! s’agace-t-elle en me fusillant du regard. De plus, ton frère est Jarl à présent, alors il va falloir composer avec ! S’il refuse de se marier en même temps que toi, vous changerez de date, c’est ça qui est non négociable.

— Eh bien, je vais lui demander de ce pas. Mais qu’il dise oui ou non, je me marie !

J’ai beau prendre ma grosse voix, celle que j’utilise devant les forces ennemies, cela ne fait que sourire ma mère qui se moque clairement de mon avis. Pourquoi ai-je toujours l’impression de redevenir un gamin quand je suis en face d’elle ? Bref, je ne poursuis pas la discussion et entre chez Bjorn qui m’accueille froidement.

— Tu as entendu notre discussion ? lui demandé-je en m’approchant de lui.

— Oui, difficile de ne pas l’entendre. Sérieusement, c’est quoi cette idée stupide ?

— Eh bien, un double mariage, ça se fait… Ce n’est pas si stupide que ça, tu sais ? Et puis, cela sera bien de partager ce moment à deux, non ?

— Double ou simple, je m’en contrefiche ! Je te parle de l’idée de ce mariage arrangé, grogne-t-il. Quelle connerie ! Elle va m’entendre, ta future femme, je te le garantis.

— Avoue que ce n’est pas une mauvaise idée. Cela t’assure la paix avec le village du Nord. C’est plutôt bien vu, il me semble.

— Et alors ? Est-ce que j’ai une tête à me marier, Einar ? Moi, une femme ? C’est n’importe quoi ! Et Maman n’en démord pas, c’est insupportable.

— Tu n’as pas le choix… Et ça devait arriver… Mais tu as de la chance, elle est plutôt mignonne et son bébé est adorable.

— Son quoi ? Elle a un gosse ? Tu plaisantes, j’espère ! s’insurge-t-il.

— Maman ne t’a pas prévenu ? Elle a un petit bébé… Quelques mois, mais il est mignon, vraiment. On ne l’a pas entendu du voyage. Et il est tellement petit qu’il pensera que tu es son père en grandissant. C’est plutôt une bonne nouvelle, non ?

— Une bonne nouvelle ? Tu délires, Einar ! J’ai la tronche d’un père de substitution ? Ce gosse ne sera jamais le mien ! Et elle a intérêt à être jolie et docile, parce que ça va vite m’insupporter de vivre avec une femme. Bon sang, c’est un vrai cauchemar, geint-il.

— Tu feras ça très bien. Donc, tu es d’accord, pour le double mariage ?

— Va au diable, Einar. Laisse-moi tranquille, j’ai d’autres problèmes à gérer, là.

Il me signifie clairement que l’entretien est terminé et je me demande si ça signifie qu’il est d’accord. Je vais considérer que oui si je veux éviter que Clothilde ne me refasse une scène. Je ressors et retourne chez ma mère récupérer ma future épouse et Nuage. Je fais un petit câlin à Marguerite, la seule à ne pas m’attaquer aujourd’hui, et nous nous empressons de reprendre le chemin de notre maison. Nous avons à peine fait quelques pas que Clothilde m’interpelle.

— Qu’a dit ta mère, alors ?

— De voir avec mon frère.

C’est à peu près ça, je ne lui mens pas, même si je cache toutes ses remarques perfides.

— Et donc, tu as vu ton frère ?

— Oui, oui. Il… il n’est pas contre le double mariage, même s’il n’a pas trop envie de se marier, lui.

Une fois de plus, je suis dans le vrai même si j’enjolive un peu la réalité. Il faut bien ça pour éviter de me prendre une nouvelle colère.

— Un double mariage… Je vais déjà finir couverte du sang d’un animal pour respecter vos coutumes étranges, et en plus, nous allons partager ce jour avec un autre couple, dont ton frère qui… Bref, vous allez tout me faire, satanés Vikings, soupire-t-elle, visiblement dépitée. Rassure-moi, la nuit de noce, c’est chacun dans son coin quand même ?

— Ce qui compte, c’est qu’on se marie, non ? Les circonstances importent peu, ma Chérie. Je t’aime et dans deux semaines, nous serons liés à jamais devant les Dieux. Et la nuit de noce, je te promets que personne ne viendra nous déranger et que je m’occuperai de mon épouse aussi bien que je m’occupe de ma fiancée.

— En espérant que, d’ici là, ta mère ne nous impose pas ton cousin ou je ne sais qui encore, marmonne Clothilde.

Je préfère ne pas répondre parce que j’ai l’impression que quoi que je dise aujourd’hui, tout se retourne contre moi. J’ai réussi à me disputer avec toutes les personnes que j’aime et même si Clothilde semble finalement se satisfaire de la solution que j’ai proposée, elle n’a pas l’air ravie, c’est le moins qu’on puisse dire. Je lui prends néanmoins la main et suis soulagé de voir qu’elle vient se nicher dans mes bras. Je fais un clin d'œil à Nuage qui nous attend patiemment un peu plus loin sur le chemin et embrasse ma chérie qui, cette fois, ne se défile pas et répond avec chaleur à mes lèvres. Je suis passé à côté de la catastrophe et je remercie les Dieux d’avoir finalement entendu mes prières. Après une journée comme celle-ci, la suite ne peut qu’être plus relaxante, n’est-ce pas ?

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