83. Les mariées toutes griffes dehors

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Clothilde

Les Vikings sont fous. Je ne vois pas d’autres qualificatifs possibles alors que plusieurs d’entre eux dansent dehors au beau milieu de la nuit, verre à la main en chantant des paroles qui seraient sans doute plus compréhensibles si l’alcool ne réchauffait pas leur sang à ce point.

Le soleil s’est couché pour la troisième fois depuis qu’Einar et moi sommes unis et je crois pouvoir affirmer que certains n’ont pas dormi du tout, sauf peut-être une petite heure au bout d’une table pour éliminer un peu leurs excès. L’ambiance est vraiment bonne, j’en conviens, et c’est comme si ce mariage m’avait plus ou moins permis d’intégrer le clan Viking, car plusieurs femmes sont venues échanger avec moi durant ces deux jours de fête.

Quand j’entre à nouveau dans la Halle après être allée me reposer une petite heure dans le lit de Marguerite, Einar est en train de servir une nouvelle tournée de bière, le sourire aux lèvres. S’il semble fatigué, il ne perd pas sa bonne humeur et il reste toujours aussi beau. Mon cœur manque un battement lorsque son regard croise le mien, et son sourire me fait faire de même tandis qu’il me fait signe de le rejoindre.

Passant entre les tables, évitant au mieux les hommes et femmes debout en train de discuter ou de se chamailler, je ne peux manquer la scène qui se passe un peu plus loin. Si Iona est assise près d’Einar, Bjorn, lui, s’est un peu éloigné et semble très concentré sur le décolleté de Rhadia, qui minaude comme une jeune femme lors de ses premiers émois. Tout le monde ici a beau savoir qu’elle en est bien loin, il faut croire que notre Jarl ne reste pas insensible à ses yeux qui se baissent lorsqu’elle joue la fille gênée, à cette lèvre qu’elle mordille de manière faussement innocente ou à ces mains qu’elle pose sur lui de temps à autres.

Je soupire en me soustrayant à ce spectacle affligeant. Bjorn est à peine marié et, déjà, fait n’importe quoi. Nul doute qu’ils finiront par aller s’amuser en tête à tête quelque part, laissant la jeune mariée de côté.

Mon Viking m’attire sur ses genoux à peine arrivée près de lui, et je constate qu’il a dû bien fêter notre mariage au regard de ses yeux plus brillants que d’ordinaire.

— J’ai raté quelque chose en particulier ? lui demandé-je après l’avoir gratifié d’un baiser.

— Au moins une centaine de baisers, oui, mais sinon, la fête continue. Je crois qu’on n’avait jamais autant bu au village !

— Eh bien, les doubles mariages ne sont pas fréquents, la fête est longue… Tu as bien profité ?

— C’est la fête et ça fait du bien de s’amuser. J’espère que tu ne trouves pas ça trop long…

— Tu veux une réponse honnête ou je dois arrondir les angles ? ris-je en faisant courir mes lèvres le long de sa mâchoire. Je trouve ça un peu long, mais c’est sans doute parce que nous vivons tous les deux depuis des mois et que m’endormir et me réveiller dans tes bras me manque déjà.

— Eh bien, on reste encore un peu et on file à notre maison, alors. Ça te va comme ça ou tu veux qu’on s’enfuie dès maintenant ?

— On ne peut pas quitter la fête tant qu’elle n’est pas terminée, si ? ris-je. Je ne voudrais pas faire un affront aux Vikings par pur égoïsme… Je leur ai déjà volé l’un des leurs, tu te rends compte que je pars avec un sérieux handicap ?

— Quand on partira, ce sera signe que la fête se termine, je crois qu’on peut le faire désormais sans craindre que les gens nous reprochent que c’était trop court.

— Je crois que ton frère aimerait que la fête dure encore un moment, soufflé-je en dirigeant mon regard vers lui et Rhadia, qu’il tripote sans gêne.

— Oui, tu as raison. Je vais aller le calmer un peu, il devrait plutôt s’occuper de sa nouvelle épouse, soupire Einar en se levant.

Je le retiens, le temps d’embrasser ses lèvres tentatrices qui m’offrent un sourire resplendissant, et m’assieds à la place qu’il occupait après avoir récupéré de quoi grignoter sur la table. Mon Viking s’installe à côté de son frère et échange calmement avec lui tandis que Rhadia continue à le tripoter comme s’il lui appartenait. Iona, à quelques places de moi, semble faire avec, et je peux comprendre que dans sa situation, cela ne la dérange pas plus que ça après tout, même si son amour propre doit en prendre un coup. Soyons clairs, je trouve cette dernière bien plus jolie que la blonde qui tourne constamment autour des deux frères.

Voyant que je l’observe, elle se lève et vient s’asseoir à mes côtés en grimaçant. Je crois que je m’en veux toujours autant de lui avoir mis Bjorn dans les pattes, même si elle m’a dit, lors des derniers ajustements de sa robe, qu’elle avait déjà connu un mariage de convenance et que cela ne la dérangeait pas plus que ça tant que son fils est en sécurité.

— Tu as réussi à créer des liens ? lui demandé-je. Tu ne t’ennuies pas trop ?

— Des liens avec certaines ici, oui… mais pas avec mon mari, on dirait.

— C’est une longue histoire avec Rhadia, soupiré-je. Et elle n’aide pas, elle est bien accrochée aux deux frères.

— Surtout au mien, on dirait. En tout cas, je suis contente, nous sommes comme des soeurs, maintenant, non ? me lance-t-elle, le regard plein d’espoir.

Comme des soeurs ? Je tique mais ne nie pas pour ne pas la froisser. Je n’ai qu’une soeur et même si je ne vais sans doute jamais la revoir, considérer une autre femme comme telle me donne l’impression de la remplacer, et ça, c’est hors de question.

— Es-tu sûre qu’elle ne s’intéresse qu’au tien ? grommelé-je en voyant que Rhadia a changé de place, s’installant à côté d’Einar et se penchant outrageusement sur lui pour parler à Bjorn.

— Je crois qu’elle ne repousserait ni l’un, ni l’autre, si tu veux mon avis. Quelle garce !

— Je crois que je vais l’offrir en sacrifice pour vos Dieux si elle continue à toucher Einar comme ça, soufflé-je alors que mon époux lui fait les gros yeux.

— Je peux t’aider, si tu le souhaites. Ça promet, un époux comme ça. Il va falloir que je le remette dans le droit chemin et que j’utilise tous mes charmes pour lui faire oublier cette souillon sans dignité.

— Je te souhaite bon courage… Bjorn n’aime pas vraiment qu’on décide pour lui, j’espère que tu as de bons arguments, ris-je.

Mon rire se meurt rapidement quand je constate que Rhadia est quasiment couchée sur mon Viking. Je jure que des idées sanguinaires me passent par la tête à cet instant, surtout que lui discute avec son frère sans la repousser. Je sais qu’il a bu, mais quand même ! Je suis certaine que si je faisais ne serait-ce que le quart de ce qu’elle fait avec un autre homme, Einar entrerait dans une colère sourde.

— Tu veux bien m’excuser ?

Je n’attends pas la réponse d’Iona et me lève pour rejoindre ce petit groupe très complice qui me donnerait presque envie de vomir. Rhadia semble tellement occupée à caresser le torse d’Einar en lui parlant à l’oreille qu’elle ne me voit pas arriver. Lui, en revanche, croise mon regard alors qu’il lève les yeux au ciel en repoussant la main de la blonde avec une attitude tellement mollassonne que je pourrais en rire de voir un Viking si peu convaincant si ça ne m’agaçait pas.

D’ailleurs, je ne réfléchis même pas lorsque je me retrouve devant eux et constate que mon époux semble enfin se réveiller et tente de la repousser plus fermement. Cette sangsue s’accroche et glousse comme une poule, sa main posée sur le torse à moitié dénudé d’Einar. Ma main choisit toute seule d’attraper ses nombreuses nattes et de tirer fortement dessus. La surprise l’empêche de réagir et elle finit par tomber de la banquette où ils étaient confortablement installés. Son regard pourrait tuer et c’est vers moi qu’il est dirigé, mais elle ne me fait pas peur, je sens que ma limite est atteinte et c’est plutôt elle qui devrait s’inquiéter. Enceinte ou pas, je suis sûre que je pourrai lui faire voir des étoiles si elle me cherche.

— Ne me regarde pas comme ça, cinglé-je en la toisant de haut. Tu joues avec le feu, ne viens pas te plaindre de ce qui t’arrive, ma pauvre fille. Te rends-tu compte à quel point tu es ridicule d’oser venir chauffer les mariés de la sorte ?

— Eh bien, rigole Bjorn en aidant Rhadia à se relever, je crois qu’il y a quelqu’un qui va être frustré, ce soir ! Ta femme a l’air fâchée, on dirait, s’esclaffe-t-il.

— Ça te fait rire, toi ? Le Jarl qui ne se gêne pas pour manquer de respect à sa propre épouse devant le village, ça en dit long sur toi, tu en as conscience ?

— Et moi, je n’ai rien fait de mal, intervient Einar, contrairement à toi qui l’encourages plutôt que de lui faire comprendre qu’elle ne devrait pas se comporter comme ça.

Je rigole. Oui, j’avoue, j’ai beau ne pas avoir bu d’alcool, je crois que la fatigue me monte au nez parce que je ris de l’intervention d’Einar et me moque de lui ouvertement. Il ne mérite pas mieux, pour le coup.

— Tu manques d’efficacité, mon Chéri ! Elle n’avait absolument pas l’air de comprendre qu’elle devait te lâcher, tu devais lui parler ma langue plutôt que la vôtre, si tu veux mon avis ! Ou tu confonds les mots, je ne sais pas, mais elle semblait bien motivée à poursuivre.

— Mais, Chérie, je te promets que j’étais en train de lui dire que je ne voulais rien avoir à faire avec elle…

— Tu as trop bu, Einar, parce que moi, je n’ai rien entendu, parole de Jarl ! rigole Bjorn à nouveau avant d’embrasser Rhadia sur la bouche. Et je crois qu’on aurait tort de se priver d’un tel plaisir, si tu veux mon avis.

— Je commence vraiment à douter de ton intelligence, cher Jarl, ironisé-je alors que son épouse apparaît dans mon champ de vision. Tu vas te mettre toutes les femmes du village à dos avec une telle attitude. Manquer de respect à sa femme de la sorte est plutôt mal vu, si j’en crois vos coutumes. Quant à elle, vu qu’elle sort d’une maison différente chaque jour, je ferais attention à ta place, l’hygiène doit être douteuse à force.

— Clothilde a raison ! Ton attitude est inadmissible ! s’emporte Iona qui attrape à son tour Rhadia par le bras. Et toi, tu ne mettras plus tes vilaines pattes sur mon mari tant que je serai vivante ! Maintenant, la place est à moi et toi, tout Jarl que tu es, tu es mon mari et tu vas me respecter ! Parce que moi aussi, j’ai des arguments ! conclut-elle en collant le visage de son époux contre son décolleté.

— Je ne suis pas sûr que ma femme soit la plus fâchée des deux, frérot ! Bon courage avec la tienne !

— Fais le malin, toi, marmonné-je. J’en ai marre de faire la fête, j’ai envie de rentrer à la maison. Tu continues à te saouler et à tripoter tout ce qui a des seins ou tu m’accompagnes ?

— J’ai assez bu, je crois. Et puis, je pense que la fête va se terminer. Le Jarl semble avoir retrouvé le sens des priorités !

Effectivement, Iona se trouve à présent sur ses genoux et il n’écoute plus vraiment ce que son frère peut lui raconter. Je ne sais pas combien de temps son intérêt se portera sur son épouse, mais j’ai bien l’impression qu’elle sait y faire avec les hommes alors, qui sait ? Peut-être que Bjorn est tombé sur plus fort que lui ? Quant à Einar, il se lève en titubant légèrement et passe son bras autour de mes épaules. Bien que je sois agacée par son comportement avec Rhadia, je ne le repousse pas, tout simplement parce que je veux juste rentrer, quitter tout ce petit monde que je côtoie depuis vendredi, pour retrouver notre cocon. Nous verrons plus tard pour la dispute, tant qu’il me ramène à la maison, surtout que je doute qu’il soit très réceptif à ce que je pourrais lui dire.

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