85. Galop d’essai des futurs parents
Clothilde
Est-ce que je traîne au lit alors que nous sommes déjà au milieu de la matinée ? Oui. Est-ce que je culpabilise alors qu’Einar s’est levé tôt, s’est occupé des bêtes et est parti au village ? A peine… J’avoue que je suis plutôt fatiguée. Plus la grossesse avance et plus je me traîne, alors je ne fais pas plus que le strict nécessaire.
Nuage est couché contre moi, sa tête posée contre mon ventre. Notre louveteau grandit à vue d'œil, c’est un animal intelligent et vraiment doux et affectueux, protecteur et obéissant. Qui l'eut cru ? C’est un loup après tout… Et pourtant, il est vraiment adorable.
Il lève d’ailleurs son museau lorsque je m’étire et je le gratifie d’une caresse en me redressant. Mon Viking ne devrait pas tarder à arriver et la journée ne sera sans doute pas de tout repos. Iona et Bjorn partent dans un village à quelques kilomètres d’ici et nous avons proposé de nous occuper du petit. Enfin, c’est plutôt Marguerite qui trouvait que ce serait une bonne idée de nous entraîner un peu. Espérons que ça ne soit pas une catastrophe, histoire que mon Viking ne panique pas trop. Si l’idée de devenir mère me stresse, je crois qu’il en est de même pour lui. Pourtant je n’ai aucun doute sur ses capacités à s’occuper d’enfants. C’est un homme très prévenant et attentif, soucieux de mon bien-être. J’ai du mal à l’imaginer différent avec nos petits Vikings
Le voir entrer dans la maison avec un bébé de quelques mois dans les bras fait s’emballer mon coeur. J’avoue que j’appréhende la naissance de nos bébés autant que j’ai hâte. J’ose espérer avoir l’occasion de découvrir Einar avec nos petits, même si je pense souvent à ma mère qui n’a pas survécu à la naissance des jumeaux.
Je rejoins Einar, lui prends le petit des bras le temps qu’il se déshabille et m’installe sur un fauteuil que mon Viking a construit cette semaine, particulièrement confortable sur lequel il a installé des couvertures. Il paraît que ce sera parfait pour nourrir nos enfants. Bref, je ne mens pas quand je dis qu’Einar est un amour, c’est le cas et le mot est faible.
— Il est vraiment trop mignon soufflé-je en observant le petit, sagement endormi. Je sais qu’ils ne sont pas toujours aussi sages, mais si les nôtres pouvaient beaucoup dormir, ça m’arrangerait vraiment.
— Oui, j’espère que Bjorn s’en occupe bien. Il n’est pas très bébé, tu sais ? Je crois qu’il n’a jamais été assez mature pour vraiment vouloir s’occuper d’un petit. Je me demande comment ça se passe pour lui, maintenant qu’il est devenu papa depuis le mariage.
— Eh bien, peut-être que ça lui aura fait du bien plutôt que l’inverse. Vous êtes… frères, après tout, vous ne pouvez pas être si différents l’un de l’autre.
— Je t’assure que nous n’avons pas grand-chose en commun, à part peut-être une grosse voix et la capacité à se faire respecter sur un champ de bataille. C’est fou que nous soyons frères, vu comment nos caractères s’opposent.
Einar approche une chaise et s’assied à côté de moi. Le regard qu’il porte sur le fils de Iona me chamboule et je me dis que la grossesse me rend vraiment trop émotive. Toute son attitude transpire la tendresse et j’ai tout à coup très envie de me blottir contre lui… ou de le déshabiller, mais le moment n’y est pas vraiment propice.
— C’est sans doute ce qui vous rend si complémentaires sur un champ de bataille. Tu sais, je doute que Iona le laisse faire n’importe quoi avec le petit.
— C’est clair qu’elle a l’air de vouloir contrôler un peu ce qu’il fait, rigole-t-il. Tu as vu comment elle l’a pris par le bras, le dernier soir de la fête ? Bon, je crois qu’ils n’ont pas fait que dormir, mais ce n’est pas sûr qu’il arrive à prendre le dessus sur elle, si tu veux mon avis !
— Et c’est une excellente nouvelle. Ton frère a besoin de s'adoucir un peu et surtout de comprendre que nous ne sommes pas que des objets qu’il peut s’approprier pour son plaisir, soupiré-je. Je doute qu’il apprécierait qu’un homme traite votre mère comme il peut traiter les femmes.
— Il joue au dur, comme ça, mais c’est pas ce qu’il est vraiment. Je crois qu’il essaie de prendre la place qu’avait notre père et que c’est le seul moyen qu’il a trouvé… C’est pour ça que je ne lui en veux pas. Oh regarde Gustaf ! Il sourit ! Il doit bien aimer ma voix ! s’enthousiasme mon Viking.
Je devrais regarder le petit, non ? Pourtant, je ne parviens pas à quitter des yeux le visage d’Einar qui s’est littéralement illuminé alors qu’il détaille l’enfant sous toutes les coutures. J’ai l’impression qu’il pourrait littéralement fondre comme de la glace quand Gustaf s’étire dans mes bras, sortant ses petites mains de sous la couverture. Mon Dieu, j’ai tellement hâte de le voir avec nos bébés dans les bras ! La Montagne au cœur tendre…
— Prends-le, souris-je en le déposant dans ses bras. As-tu récupéré une corne de vache chez Marguerite pour le nourrir ?
— Ah oui, j’ai tout laissé dans le sac à l’entrée. Je vais aller le chercher, dit-il en prenant le petit dans ses grandes mains.
— Tu as pensé au lait de brebis ? Marguerite m’a dit que les enfants si petits ne supportaient pas le lait de vache.
— Elle n’en avait plus… C’est la fin de l’hiver, les brebis ne produisent plus beaucoup de lait. Il devra faire avec le lait de vache et s’endurcir, ce petit.
Je soupire en me levant finalement et prépare une petite gamelle de lait que je mets sur le feu pour le faire bouillir, tout en observant discrètement Einar qui a pris ma place et qui babille avec le petit. Gustaf a attrapé le doigt de mon Viking et rit de ses grimaces, et moi je tombe encore un peu plus amoureuse de cet homme, si c’est possible.
— Pourrais-tu arrêter d’être aussi parfait, s’il te plaît ? chuchoté-je finalement à son oreille en caressant sa nuque.
Il ne m’a même pas vue arriver tant il est concentré sur le petit, ce qui relève de l’exploit étant donné la taille de mon ventre.
— Je ne suis pas parfait, tu sais ? Loin de là… J’essaie juste de faire de mon mieux. Et j’ai trop hâte de faire la même chose avec nos enfants. Vraiment hâte.
— Te voir avec un bébé dans les bras me donne envie de pleurer, Einar, ris-je. Autant te dire que je risque de ressembler à une cascade quand tu auras nos bébés contre toi.
— Je te fais si peur que ça ? se moque-t-il en soulevant Gustaf dans ses grands bras. Tu vois, il vole comme un oiseau !
— Peur ? Oh non, crois-moi, je pense surtout que mes hormones ne résisteront pas à ton côté papa… J’en suis même certaine, en vérité, j’ai déjà l’impression que mon petit cœur va exploser en te regardant là, avec cet enfant qui n’est même pas le nôtre.
— Je ne sais pas si je saurai faire, Clothilde. Tu sais que ça m’angoisse un peu ? Surtout s’il y en a deux dont il faut s’occuper tout le temps…
— J’ai à peine dix-neuf ans et je vais devoir mettre deux bébés au monde toute seule, Chéri. Ça, c’est angoissant. Nous serons deux pour nous occuper de nos enfants, et j’ai déjà un peu d’expérience avec mes frères et ma sœur, alors je suis persuadée que nous allons bien nous en sortir. Je t’ai déjà vu jouer avec les enfants au village, et à la ferme avec les jumeaux, tu seras un père formidable, Einar.
— Je suis sûr que tout va bien se passer. Les Dieux nous observent et prennent soin de nous. Et Marguerite sera à tes côtés, comme elle l’était pour ma mère à ma naissance et à celle de Bjorn. Ne t’inquiète pas pour rien.
— Les Dieux n’étaient pas là pour prendre soin de ma mère, soupiré-je en m’éloignant pour verser un peu de lait dans la corne de vache maintenant qu’il a refroidi.
J’imagine que le petit a faim pour s’être réveillé, pourtant il ne pleure pas et a passé son temps à nous regarder tandis que nous discutions, jouant avec les doigts de mon Viking. Un enfant très calme, apparemment, ce qui n’est sans doute pas plus mal quand on sait qu’il vit avec Bjorn.
— Tu le nourris ou tu veux que je m’en charge ? demandé-je à Einar pour changer de sujet.
— Non, fais-le, je vais te regarder. Je ne suis pas sûr de savoir comment utiliser cette corne.
— J’ai dû le faire pendant des mois avec les jumeaux. Enfin, avec mon père, évidemment. Nous avons dû apprendre sur le tas, après tout.
Mon Viking se lève pour me laisser la place et dépose le petit dans mes bras lorsque je suis installée confortablement. Je ne suis pas certaine que la position soit idéale pour Gustaf étant donné mon ventre, mais il ne se fait pas prier pour avaler quelques gorgées de lait avant de se mettre à tousser. Je le redresse précipitamment et lui tapote le dos en grimaçant. Je ne saurais dire combien de fois mes petits frères ont ainsi avalé de travers, la corne de vache n’étant pas l’idéal pour nourrir un bébé.
Quand je lève les yeux sur Einar, je constate que son petit air d’homme en adoration a disparu au profit d’une panique clairement visible sur son visage. Gustaf peine un peu à reprendre son souffle mais le pire est passé et je le berce de mon bras libre pour l’apaiser.
— Respire, Chéri, souris-je. Dis-toi que tu n’auras pas à nourrir nos enfants, ce sera du stress en moins pour toi.
— Je ne sais pas comment tu fais pour être aussi calme. Gustaf est si petit, si fragile…
— Et c’est un Viking. Nos enfants seront aussi petits, même davantage à la naissance, comme tu l’as été, comme je l’ai moi-même été. Et puis, ils grandiront et deviendront grands et forts comme leurs parents. En attendant de le devenir, ils auront une maman louve pour les protéger, un papa loup et un véritable loup, souris-je en caressant sa joue. On va s’en sortir, les Dieux nous observent et prennent soin de nous, non ?
— Je l’espère, ma belle Normande. Je l’espère du fond du cœur.
Gustaf réclame son lait et je me remets à la tâche, baissant le nez sur lui plutôt que d’affronter le regard de mon Viking. Je ne veux pas lui faire peur, j’essaie d’éviter d’évoquer cet avenir incertain, de ne pas lui parler trop souvent de ma propre peur de ne pas voir nos enfants grandir. Lui qui semble tant appréhender leur venue, je ne doute pas qu’il a déjà dû se demander comment il ferait si je ne survivais pas. Je ne devrais pas penser à cela, ma mère était plus âgée, elle était épuisée, élevant déjà trois enfants en plus de son travail à la ferme. Pourtant, comme Einar, j’espère moi aussi de tout coeur et j’use et abuse de la prière, quand bien même je ne suis pas une bonne chrétienne depuis un moment. Je veux voir mon Viking devenir père, fondre devant nos bébés, flancher et céder lorsqu’ils se ligueront contre lui pour obtenir ce qu’ils veulent. C’est tout ce que je désire, vivre heureuse et rendre heureux mes proches.
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