86. Le dilemme du Viking

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Einar

Comme tous les matins depuis quelques semaines, je me suis levé à l’aube sans réveiller Clothilde qui a de plus en plus besoin de repos. Je m’inquiète un peu pour elle alors que je fais toutes les tâches habituelles. Nuage est à mes côtés, toujours aussi magnifique. Il gambade joyeusement autour de moi tandis que je vais couper du bois et cela me permet de penser un peu à autre chose. Une fois mes travaux terminés, je retourne dans la maison et découvre que Clothilde est réveillée. Je souris en m’approchant du lit où elle paresse encore.

— Bonjour, belle Normande de mon cœur. Tu te sens comment ce matin ?

Nuage m’a accompagné et lui lèche les mains alors qu’elle répond à mon baiser. Ces derniers jours, elle a de nouveau eu des nausées et s’inquiète par rapport à sa grossesse. Elle se demande si tout est normal et j’avoue que moi aussi, cela m’angoisse un peu. Je sais qu’elle est forte, qu’elle est capable de donner naissance à deux beaux enfants, mais je ne me vois pas vivre une vie sans elle s’il lui arrivait quelque chose.

— J’ai le droit de me plaindre ou ça va t’agacer ? Parce que je dormais comme un bébé pour une fois, tu sais ? Mais… je crois que j’ai des contractions. Plus fortes que ces derniers jours, c’est horrible.

— Ah encore ? C’est pire qu’hier ? Parce que tu avais déjà bien mal, m’inquiété-je en m’agenouillant près du lit.

— C’est pire, oui… Plus fort. La prochaine fois que te vient l’idée de me faire un enfant, je te jure que je risque de t’étriper, Chéri.

— Je suis désolé de te faire ainsi souffrir, tu sais ? commencé-je avant de me stopper en voyant Nuage se figer et gronder devant la porte. Oh, on dirait que quelqu'un arrive…

Je me relève rapidement et me saisis de mon épée avant de m’approcher de la porte. Je me détends en reconnaissant Cnut qui s’approche en courant. Cela n’est pas bon signe.

— C’est Cnut, informé-je Clothilde. Il a dû se passer quelque chose au village, ajouté-je en ouvrant la porte alors qu’elle se recouvre d’une couverture supplémentaire pour faire face à la fraîcheur qui entre.

Cnut, tout essoufflé, s’arrête à quelques pas de moi en constatant que Nuage est toujours sur la défensive. Je suis d’ailleurs obligé de poser ma main sur son encolure pour le calmer un peu.

— Einar, je suis désolé de t’apporter une mauvaise nouvelle de bon matin, mais Bjorn m’a demandé de te prévenir… Ta mère a fait une mauvaise chute cette nuit, elle s’est cogné la tête.

— Elle s’est juste cogné la tête ? Mais pourquoi tant d’inquiétudes alors ? demandé-je sans comprendre l’urgence de la situation.

— Parce qu’elle était encore inconsciente suite à sa chute quand je suis parti, et d’après Marguerite, il est possible que ce soit plus grave qu’il n’y paraît.

Mince. Si même Marguerite s’inquiète, c’est qu’il doit s’agir d’autre chose qu’une simple chute. Elle a dû faire un malaise… mais je ne vais pas m’absenter maintenant alors que Clothilde est elle aussi en souffrance.

— Merci pour l’information, Cnut. Je te laisse retourner au village ou tu veux manger un morceau avant de repartir ? Tu diras à Bjorn que je viendrai dès que je peux, mais… Clothilde a des contractions et je ne peux pas la laisser seule pour le moment. Elle aussi a besoin de moi…

— J’y retourne, mais merci pour l’invitation. Je passerai le message à Bjorn, mais tu devrais quand même venir dès que possible…

— Je t’ai dit que je viendrai dès que je peux, oui, le coupé-je sèchement avant de reprendre plus doucement car il ne fait que son travail de messager. Merci d’être venu me prévenir. Je… je vais faire au mieux. A plus tard, Cnut.

Celui-ci se contente de hocher la tête avant de repartir comme il est venu, en courant mais dans la direction opposée. Je referme la porte et rejoins Clothilde qui est restée dans notre lit mais qui n’a rien dû perdre de notre échange.

— Ma mère n’a pas l’air d’aller bien, soupiré-je en m’asseyant à ses côtés, sur le lit.

— Je n’ai pas tout entendu, mais… tu penses que c’est grave ? Ta mère semble solide.

— Bjorn a envoyé Cnut immédiatement et Marguerite s’inquiète, ce n’est pas habituel. Cnut a précisé qu’elle était toujours inconsciente quand il est parti. Si ce n’était qu’une chute, elle ne devrait pas être dans cet état-là.

Je ne parviens pas à cacher mon émotion et Clothilde me serre les mains. Ma mère a beau être un tyran qui préfère son autre fils, elle reste ma maman et je ne suis pas prêt à lui dire adieu si vraiment son état est critique.

— Pourquoi tu n’y vas pas ? Tu devrais y aller pour être rassuré ou… juste pour être là pour elle.

— Je ne veux pas te laisser, Clothilde. Tu es beaucoup trop importante pour moi et avec tes contractions, je suis inquiet. Tu imagines si tu te retrouves à accoucher et que tu es toute seule ? Ce serait catastrophique.

— Je vais bien, Einar, ça se calme. Va voir ta mère, c’est bon. Je vais rester allongée et Nuage va me tenir compagnie.

Elle dit ça mais je la sens toujours crispée et en proie à des douleurs qu’elle essaie de me dissimuler pour ne pas que je m’inquiète. Malheureusement pour elle, je la connais bien et sais quand elle souffre.

— Je t’ai dit que je restais avec toi, c’est non négociable. Si ma mère ne va pas bien, je ne peux rien faire pour elle, tandis que toi, je suis là pour te venir en aide si besoin. Ce n’est pas Nuage qui t’aidera à accoucher ou qui te permettra d’aller au village pour le faire.

— Qu’est-ce que tu en sais ? Nuage est aux petits soins avec moi, peut-être qu’il est très doué pour mettre au monde les enfants, ou qu’il fuira la maison pour venir te chercher, sourit-elle avant de soupirer en caressant ma joue. Je ne veux pas que tu regrettes de ne pas y être allé si jamais…

— Pour toi, je ne regretterai jamais rien. Allez, repose-toi un peu. Et appelle-moi si tu as encore mal. Je vais te préparer une petite tisane pour soulager tes douleurs.

— Comme tu veux, Chéri. Je te remercie de rester ici, souffle-t-elle en se penchant pour déposer un baiser sur mes lèvres. Tu viendras t’allonger un peu avec moi ?

— Oui, tout à l’heure. J’espère que ça va un peu se calmer, tes contractions…

— Je t’ai dit que ça se calmait déjà. Ça va aller. J’ai l’impression que tu ne m’écoutes que d’une oreille, parfois, rit-elle. Ou que tu n’entends que ce que tu veux entendre.

Je l’embrasse à nouveau avant d’aller lui préparer une petite tisane qui aura des vertus apaisantes, je l’espère. Je passe le reste de la matinée à vaquer à différentes occupations mais sans réellement savoir ce que je fais, mon esprit étant pleinement occupé par mes inquiétudes pour Maman et pour Clothilde. Plusieurs fois, je suis à deux doigts de prendre le risque de laisser ma bien-aimée seule pour aller au village mais je me retiens. Je sais que je m’en voudrais s’il lui arrivait quelque chose pendant mon absence et que je ne me le pardonnerais pas.

Lorsqu’arrive le moment du repas du midi, j’ai la surprise de voir Clothilde se lever et mettre sur le feu de quoi nous sustenter. Elle semble plus détendue et ses traits sont moins tirés.

— J’allais nous préparer à manger, tu sais ? Tu aurais pu rester au lit.

— Je me sens mieux, il était grand temps que je me lève pour me dégourdir les jambes. Et puis, mon mari ne m’a pas rejointe au lit, alors je m’ennuyais.

— Oh désolé… J’ai… je suis préoccupé, Clothilde, je suis désolé.

— Je sais, ce n’était pas un reproche. Je vais vraiment mieux, Einar, va voir ta mère. Tu n’auras qu’à passer demander à la guérisseuse de venir ici avant de t’y rendre. Comme ça, je ne serai pas seule très longtemps et elle pourra m’examiner, mais je t’assure que je me sens mieux.

— Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, Chérie. Je ne veux pas te laisser seule alors que tu pourrais accoucher d’un instant à l’autre.

— Dire que je pensais mes frères têtus, tu bats tous les records, Einar, soupire-t-elle en m’enlaçant. Crois-moi, aucune chance que je mette au monde nos enfants en trois ou quatre heures, je vais en baver plus longtemps que ça.

Je réfléchis un instant à ce qu’elle vient de me dire. D’un côté, j’ai vraiment envie d’aller voir comment va Maman et Clothilde, elle, semble réellement aller mieux. Mais puis-je la laisser seule dans son état ? Impossible…

— Et si tu venais avec moi en ville ? Tu t’en sentirais capable si on ne va pas trop vite ? Comme ça, je peux aller voir ma mère et te garder avec moi. Ce serait une bonne solution, non ? Enfin, si tu te sens de voyager… Et puis, vu tes contractions, si on s’installe un peu en ville, ça ne serait pas plus mal… Ici, on est vraiment isolés de tout.

— Venir avec toi ? Je… Oui, d’accord, si ça te permet d’aller voir ta mère sans t’inquiéter pour moi, on peut faire ça.

— Vraiment ? Tu es assez en forme pour voyager ?

— Mais oui, ça va aller. Je ne te promets pas de courir, mais on peut y aller.

Je l’attrape dans mes bras, la soulève malgré son gros ventre et la serre fort contre moi.

— Je t’aime, ma Clothilde trop courageuse. On mange, on prépare nos affaires rapidement et on y va, d’accord ? Et on n’oublie pas Nuage, surtout !

Le petit louveteau qui devient grand s’est en effet joint à nous et nous tourne autour en jappant d’excitation. Je ne sais pas ce qu’il comprend de ce qu’il se trame mais je jurerais qu’il ne lui manque que la parole car au niveau des émotions, il les partage toutes avec nous.

— A vos ordres, chef, mais ne compte pas sur moi pour avoir la même énergie que Nuage, je te préviens, sourit Clothilde en caressant la tête de ce dernier.

Je souris et remercie silencieusement une nouvelle fois les Dieux de m’avoir permis de croiser le chemin de cette femme admirable, capable de toujours se surpasser tout en gardant cet esprit léger qui allège mes soucis. Et là, tout de suite, j’ai besoin de ce soutien inconditionnel de sa part. Seul, je ne sais pas comment je pourrais affronter ce qui arrive à ma mère.

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