90. La révélation

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Einar

Je n’en reviens pas que je me sois assoupi et, quand j’ouvre les yeux, la première pensée qui me vient à l’esprit, c’est que j’ai sûrement dû écraser nos enfants vu mon poids et ma stature. Mais heureusement, lorsque je me tourne avec toutes les précautions du monde sur le côté, je les découvre collés contre le corps de Clothilde qui les couve telle une louve protègerait ses petits. Ses bras fins les entourent et je constate qu’ils sont tous les trois encore bien endormis. Je n’ose plus bouger et je souris en voyant le petit pied nu d’Ivar remuer dans son sommeil. Je n’arrive pas à croire que ce soit moi leur papa. Ils sont si petits, si mignons, si adorables. Je ne sais pas pourquoi, j’imaginais qu’ils seraient déjà grands, peut-être pas autant que moi, mais quand même. En même temps, ils étaient à deux dans le ventre de ma chérie, quel courage elle a eu de les porter ! Et quelle force de les mettre au monde. Elle semble fatiguée, mais pas plus qu’après une journée aux champs, c’est assez incroyable.

Je finis par me lever et sors me soulager à l’extérieur, dans le petit coin aménagé spécialement pour éviter les odeurs et les désagréments pour la maison. Lorsque je rebrousse chemin, je retourne immédiatement dans ce qui était mon ancienne chambre et suis soulagé de voir que mes trois amours sont toujours là. Ce n’est donc pas un rêve, j’ai bien la chance d’être devenu depuis ce matin chef de famille. Cette nouvelle aventure est à la fois excitante et terrifiante. Je ne sais pas ce qui m’attend mais ça risque d’être un vrai bonheur au quotidien.

Je ne sais pas trop où m’installer et reste debout à regarder les trois dormir. Clothilde finit par se tourner vers moi et je constate que je me suis trompé et qu’elle est bien réveillée. Ses beaux yeux émeraude me sourient et je n’ose prendre la parole de peur de réveiller nos deux bambins. C’est donc elle qui fait le premier pas et s’amuse à nouveau de mon stress.

— Est-ce que ça va ? chuchote-t-elle. Rassure-moi, tu ne comptais pas partir et disparaître, au moins ? On va avoir besoin de tes muscles pour porter les petits d’ici quelques mois, tu sais… Je crois que j’ai perdu un peu de force à ne plus travailler à la ferme.

— Je te rassure, je ne m’éloigne pas de toi plus qu’il ne faut ! C’est juste que j’ai trop peur de faire mal à nos petits. Tu as vu la taille de mes mains par rapport à leurs petits corps ?

J’approche mes mains délicatement d’eux et démontre qu’elles sont en effet presque plus grandes que ces deux enfants, cadeaux du ciel.

— Oui, et j’en ai éprouvé leur douceur aussi. Ces mains vont protéger nos enfants, les accompagner dans la vie et les aider à se relever lorsqu’ils chuteront. Je ne vois pas comment tu pourrais leur faire du mal, Einar. J’ai une confiance aveugle en toi, je n’ai aucun doute quant à tes capacités à être père.

C’est fou comme ça me fait du bien de l’entendre me dire tout ça. Je crois que pour la première fois depuis la naissance, je sens la peur me quitter et je reprends ma place près d’elle en lui caressant doucement le bras. Nous échangeons un regard rempli de tendresse et d’amour et je suis heureux, tout simplement.

— Eh bien, quelle belle famille !

Je sursaute et me redresse, presque prêt à sortir mon épée, mais j’ai reconnu la voix de Bjorn qui a soulevé la tenture et nous observe. J’espère que ce qui l’intéresse, ce sont les enfants et pas la poitrine de ma femme qui est bien découverte, mais son air plutôt bonhomme me rassure sur ses intentions. Il semble avoir fait une croix sur Clothilde.

— Merci, Bjorn. Je te présente Ivar et Liina, les deux plus beaux enfants du monde. Tu es d’accord avec ce constat, n’est-ce pas ?

— Ivar ? Tu… tu lui as donné le nom de Papa ? C’est bien, il veillera sur eux. Félicitations à tous les deux.

— Oui, au moins je continue à faire vivre sa mémoire. Cela ne te dérange pas, j’espère ?

— Non, bien sûr que non, sourit-il en posant sa main sur mon épaule. Ils sont vraiment minuscules, non ?

— Ne m’en parle pas, je m’imaginais que j’allais donner naissance à des géants, ris-je. Mais ça aurait été terrible pour Clothilde. C’est mieux comme ça.

— C’est sûr, rit-il. Il ne me reste plus qu’à vite faire mon boulot avec Iona et nos enfants grandiront ensemble… Ça devrait vite se régler, tu n’as pas perdu ton temps, toi, et pas fait les choses à moitié non plus. Fais quand même gaffe à ne pas toujours les faire par deux !

— Je n’y suis pour rien, moi, c’est Clothilde qui a fait tout le travail. Et oui, ça pourrait être bien que nos enfants grandissent ensemble, tu ne crois pas, Chérie ?

— Oui… Je n’ai pas eu la chance d’avoir de cousins ou de cousines, mais c’est important d’être proche de sa famille, sourit-elle légèrement. Espérons qu’ils ne feront pas trop de bêtises ensemble, c’est tout.

— J’espère qu’ils feront plein de bêtises, moi ! C’est comme ça que l’on grandit ! s’amuse Bjorn. Ah, j’entends Marguerite qui est déjà revenue. Je vais vous laisser. Bonne fin de journée, la jolie famille. Bientôt, ce sera mon tour.

— Je te le souhaite, lui répond Clothilde. Iona est quelqu’un de bien et une maman en or. Passe-lui le bonjour pour moi, s’il te plaît, et dis-lui de venir me voir.

— Je lui dirai.

Je n’entends pas la suite de ses propos car tout mon esprit est tourné vers Marguerite. Il faut absolument que je lui parle, elle ne va pas pouvoir continuer à me fuire comme ça, c’est impossible. Et lorsque c’est sa tête qui apparaît sous la tenture, je bondis sur mes jambes, incapable de me retenir.

— Alors, l’attaqué-je d’entrée, c’est vrai ce que ma mère m’a dit ? Enfin, ma mère…

Je constate du coin de l'œil que Clothilde est surprise de ma véhémence mais elle se contente de resserrer les petits contre elle et nous observe en silence.

— Je… Que t’a dit ta mère ? me demande-t-elle sans oser me regarder dans les yeux alors qu’elle dépose sur le lit un sac.

— J’ai vraiment besoin de te poser la question ? Tu ne te doutes pas de ce qu’elle m’a annoncé ?

— Einar… Crois-tu vraiment que j’ai eu le choix ? soupire-t-elle en s’asseyant au bord du lit.

— Donc, c’est vrai ? C’est bien toi ma vraie mère ?

J’entends un petit cri de surprise derrière moi mais ne détourne pas mon attention vers Clothilde. Je reste concentré sur celle que Tyra m’a dit être ma vraie mère.

— C’est vrai, oui… Je suis bien ta mère.

— Cela explique beaucoup de choses, murmuré-je alors que je sens la main de mon épouse se poser dans mon dos. Mais pourquoi toutes ces années de mensonge ? Pourquoi tu n’as rien dit ? Pourquoi tu as accepté ça ?

J’ai encore des centaines de questions sur le comment, le pourquoi, le quand, mais je m’arrête pour lui laisser le temps d’expliquer un peu les choses.

— Ta relation avec Tyra était déjà compliquée… sans parler de celle avec Bjorn. Je ne voulais pas tout chambouler. Et puis… j’ai promis à tes parents de ne rien dire, je… Ça ne m’a pas empêché de veiller sur toi. Jamais je n’aurais pu m’éloigner de toi, d’ailleurs…

— Et mon père, c’est donc bien le Jarl quand même ? Maman m’a dit qu’il t’avait mise enceinte et que c’est pour ça qu’il t’avait ramenée avec lui. Elle a dû t'accueillir froidement, la connaissant.

— Ça n'a pas été évident, en effet… mais je ne regrette rien. Regarde-toi, regarde ta famille ! Je… je suis tellement fière de toi, tu n’as pas idée.

— Je n’arrive toujours pas à y croire. Ni à croire qu’aucun villageois ne m’en ait jamais parlé. Ils ont pourtant dû comprendre que le bébé n’était pas de Tyra, non ? Comment avez-vous caché ta grossesse et fait croire à tout le monde que le bébé était d’elle ?

— Ta mère et moi avons passé mes derniers mois de grossesse loin du village… Elle devait se reposer, ton père a prétexté une grossesse difficile.

Je m’approche d’elle et lui ouvre mes bras, pris par l’émotion.

— Je ne sais pas si je pourrais un jour t’appeler Maman, mais sache que je t’ai toujours considérée comme une mère. Beaucoup plus que… Tyra, me forcé-je à dire au lieu de “Maman”. Et maintenant, tu as la chance de pouvoir découvrir tes petits-enfants.

Je ne lui laisse pas le temps de répondre et l’enferme dans une étreinte qui n’a rien à voir avec celles que je pouvais avoir avec ma mère. Enfin, Tyra, devrais-je vraiment dire. Nous nous étreignons et je me mets à sangloter, sans pouvoir stopper les larmes qui coulent de mes yeux. Trop d’émotions en peu de temps. Ma mère qui meurt, mes enfants qui naissent, ma mère qui me dit qu’elle n’est pas réellement ma mère, ma vraie Maman que je découvre… Le monde semble s’être désagrégé en peu de temps. La raison a chaviré et il ne subsiste que les émotions. Le reste n’a aucune espèce d’importance.

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