102. Peur de rien

7 minutes de lecture

Einar

Mais qu’est-ce qui m’a pris ? Pourquoi est-ce que j’ai invoqué la loi divine ? En même temps, après la folie qui s’est emparée de moi quand je suis arrivé au village, c’était peut-être la chose la plus raisonnable à faire parce que clairement, seul contre tous, je ne peux pas tenir longtemps. J’ai complètement perdu la tête quand j’ai aperçu au loin Clothilde. C’est comme si Odin lui-même s’était emparé de mon bras et m’avait guidé. Personne n’aurait pu me résister tellement j’étais empli de rage. Malgré ça, je n’en reviens pas que je sois parvenu jusqu’à mon épouse sans encombre. Tout le monde s’est écarté, personne n’a osé me résister. Et là, encore, après ma proposition, il semblerait que personne ne veuille se mettre en avant. J’hésite à les relancer pour les provoquer ou à baisser un peu dans mon agressivité pour essayer de trouver un arrangement et pouvoir m’échapper avec Clothilde.

— Alors, vous allez refuser ma proposition et vous jeter tous ensemble sur moi pour essayer de me maîtriser ? Je vous préviens, le premier qui s’avance, je l’embroche. Et les autres suivront.

Je fais le fier mais intérieurement, je n’en mène pas large. Encore, je serais seul, je pense que j’aurais plus confiance, mais là, Clothilde est à mes côtés et c’est sa vie aussi que je mets en jeu.

— Tu te méprends sur nos intentions, Einar. Nous voulons juste faire réagir ton Jarl.

— En vous en prenant à une Normande ? Mais vous êtes stupides en plus d’être des couards ? m’emporté-je, furieusement. Vous pensez qu’il se bougerait pour une étrangère, même si c’est ma femme ?

Ouh là, j’y suis allé un peu fort avec ces paroles qui m’ont échappé alors que je devrais rester en maîtrise et je vois quelques sourcils qui se froncent, j’entends quelques grognements mais je reste campé sur mes positions pour garder l’avantage que j’ai pris dans les débats.

— Tu es ici, c’est une bonne chose. Il va sans nul doute vouloir récupérer son frère.

— Parce que vous croyez que je suis votre prisonnier ? m’esclaffé-je en faisant un grand mouvement de mon épée qui les fait tous reculer d’un pas. Clothilde, tu as tes affaires ? On y va, ajouté-je effrontément. J’en ai fini avec ces messieurs, nous rentrons chez nous.

— Il faut que tu nous aides, Einar ! s’agace l’un des villageois. On ne vous veut pas de mal, on veut juste survivre !

— Eh bien, moi, je m’en moque si vous ne survivez pas ! Vous êtes venus chez moi, vous avez osé toucher à mon épouse et la faire prisonnière. Je suis révolté par votre attitude alors que j’ai tout fait pour vous aider ! Vous vous rendez compte que là, tout ce dont j’ai envie, c’est de vous tuer un par un ? Vous savez que vous avez commis l’irréparable en vous emparant d’elle ?

— Einar, souffle Clothilde en posant sa main sur mon avant-bras, je crois qu’ils ont saisi, Chéri…

Je me tourne vers elle qui me sourit. Je lis dans ces yeux à la fois beaucoup d’amour, une énorme fierté mais aussi une vraie angoisse qui me transperce le cœur. J’ai l’impression de ne pas avoir été à la hauteur et de l’avoir laissée tomber en la laissant se faire ainsi capturer.

— Ils n’auraient jamais dû s'en prendre à toi et réveiller ainsi ma colère. Je…

Je m’interromps en voyant qu’effectivement, elle aussi a saisi ma pensée. J’ai du mal à ne pas tourner en boucle sur ce sujet mais il est vrai qu’ils m’ont mis dans une telle rage que j’ai du mal à redescendre.

— Alors, comme ça, vous voulez de l’aide ? Et c’est à celui que vous venez d’offenser que vous la demandez ? les tancé-je, ne pouvant m’empêcher de m’énerver.

— On fait ce qu’on peut ! Tu vois bien qu’ici nous n’avons pas la possibilité de prendre votre village… Nous nous ferions tous tuer si nous attaquions là-bas. Ta maison… c’était prenable.

Je jette un regard noir à celui qui vient de parler. Certes, il a eu le cran de prendre la parole, mais ce qu’il vient de dire a réussi à me faire bouillonner à nouveau.

— Prenable ? Non mais, je rêve ou quoi ? Prenable ? répété-je, incrédule. Tu as juste profité que je n’étais pas sur place pour t’en prendre à deux femmes et deux bébés ! C’est ça, prenable, pour toi ? Mais il est où ton honneur ?

J’ai relevé mon arme et la pointe vers lui, ce qui le fait blanchir à vue d'œil alors que tous ses courageux voisins se sont un peu écartés.

— Je t’en prie, calme-toi, Chéri, intervient à nouveau Clothilde. J’ai besoin de toi auprès de moi. Mets-toi à leur place, dans de telles conditions, ne ferais-tu pas tout pour nous, quitte à bafouer l’honneur ?

Je reporte un instant mon attention vers elle et le gars qui a osé prendre la parole en profite pour s’éclipser, sentant que je suis à fleur de peau.

— Jamais, je ne m’en prendrais à une femme sans défense, quelles que soient les circonstances. Mais tu as raison, je m’énerve pour rien, là.

Je reste un instant silencieux et dévisage chacun de mes assaillants. Enfin, assaillants, c’est un bien grand mot car aucun n’ose s’approcher de moi et tous détournent le regard quand le mien se pose sur eux. C’est une bande de pauvres habitants désespérés mais pas vraiment méchants.

— Bon, vous nous laissez repartir, ça vaut mieux pour tout le monde, non ? Et profitez que ma femme ait réussi à me calmer un peu parce que même seul, je crois que je peux vous faire beaucoup de mal si vous m’énervez à nouveau.

— On ne peut pas te laisser partir tant que le Jarl ne nous l’a pas ordonné…

— Est-ce que tu crois qu’on pourrait leur apporter de la main-d'œuvre ? chuchote mon épouse de telle sorte à ce que je sois la seule personne à l’entendre. Pour les aider aux champs, par exemple.

— Ce n’est pas possible, ma Chérie, si nous faisons ça, ce sera juste transférer le problème à notre village, soupiré-je.

— Et pourquoi ne déménagent-ils pas plus au sud ? Les terres doivent y être plus fertiles, non ? Ou… il y a ce village Viking en Normandie, ils n’ont jamais été envahissants avec nous, ils font leur vie de leur côté… et nos terres sont bonnes.

Pourquoi pas, en effet, mais cela me semble difficilement réalisable. Et là, même si toutes leurs armes sont baissées, l’urgence est autre. Ils m’agacent à rester ainsi autour de nous. Ils sont tous en plein conciliabule, je n’arrive pas à percevoir ce qu’ils disent, mais la situation a assez duré. Je suis convaincu qu’ils ne me feront aucun mal, à la fois parce qu’ils ont peur de moi, mais surtout parce que ce ne sont pas de vrais méchants. Ils sont clairement désespérés mais ils ne sont pas fous. Délibérément, pour signifier que la fête est terminée, je range mon arme et les défie du regard de m’empêcher de passer. Je saisis la main de Clothilde et commence à m’avancer vers le chemin qui retourne chez nous. Tous s’écartent sauf le dernier, celui qui avait osé prendre la parole et qui, si j’ai bien compris la dynamique de ce village, est l’actuel Jarl.

— Laisse-nous passer, tu vois bien que les autres ne te suivent plus ? Tu ne fais pas le poids contre moi, indiqué-je avec résignation. Enfin, si tu veux te battre, je suis prêt à relever le défi.

— Je n’ai aucune envie de me battre, je veux sauver les miens, tu le sais. Mais puisque notre sort ne semble pas vraiment t’importer, je pense qu’il faut changer les choses. Que diriez-vous d’élire un nouveau Jarl ? Je laisse ma place avec plaisir et souhaite nommer Einar à ma place. Qu’en pensez-vous ?

— Mais, commencé-je, je ne suis même pas d’ici…

— C’est toi qui es venu ici avant l’hiver, toi qui m’as mis dans cette posture de Jarl, je te rappelle. Tu n’es pas d’ici mais tu es déjà impliqué dans notre village. Alors voilà tes nouvelles responsabilités, puisque tu penses pouvoir mieux faire que moi.

— Mais…

Je n’ai pas le temps d’aller plus loin que les autres villageois se mettent à crier alors que Clothilde et moi restons incrédules. Ils se mettent tous à scander mon nom et semblent ravis de la proposition qui vient d’être faite. Je me tourne vers mon épouse qui se contente de hausser les épaules.

— Vous êtes fous, lancé-je, une fois l’agitation un peu retombée. C’est quoi, cette idée ? Je viens ici, vous manquez de me tuer et là, vous voulez que je sois votre Jarl ? Dites-moi que c’est une blague…

Le problème, c’est qu’ils n’ont pas l’air de rigoler. Tous sont sérieux comme jamais et cela me fait étrange de voir l’espoir qu’ils ont retrouvé dans leurs regards. Ils croient quoi ? Que je suis en capacité de les sauver ? Que je pourrais faire un bon Jarl ?

— Tu en penses quoi, Clothilde ? demandé-je en désespoir de cause, espérant qu’elle trouve un moyen de me sortir de cette situation pour le moins improbable.

— Je… tu peux faire ça ? C’est quand même… Et Bjorn, dans tout ça ? C’est… c’est ce que tu voudrais, toi ?

— On dirait bien que je n’ai pas le choix, expliqué-je en montrant le Jarl actuel qui vient de s’agenouiller devant moi, me tendant son épée. Je…

Je n’ai pas le temps de terminer que tous se mettent à pousser des cris de joie, une fois que l’épée se retrouve dans mes mains. En la prenant, je sais que j’ai accepté la charge, mais comment la refuser ? Ils sont perdus et j’ai le sentiment d’être leur première lueur d’espoir depuis longtemps. La situation est incroyable car je ne suis pas sûr que dans notre histoire, deux frères se soient déjà retrouvés Jarls de deux villages différents. Et je ne sais pas quoi répondre à Clothilde sur la façon dont Bjorn va réagir. Ce que je sais par contre, c’est que je ne suis pas du genre à me défiler devant mes responsabilités et que je vais les prendre au sérieux. Et l’urgence, ça va être de trouver le moyen de permettre à tous ces villageois de survivre. Je n’ai pas le droit de me tromper ou d’échouer, ils comptent tous sur moi.

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0