103. Retour à la maison

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Clothilde

Le silence est plutôt pesant alors que nous marchons depuis des heures tous les deux. Einar est pensif et je comprends qu’il ait du mal à intégrer les derniers événements. Moi-même, je ne réalise pas. Tout ce que je peux dire, c’est qu’ils ont été malins. Difficile de ne pas le noter. Ils ont rapidement cerné mon Viking, compris que l’humain primait pour lui et qu’il ne pourrait se résoudre à les laisser mourir de faim.

Ce qui va être plus complexe, c’est de devoir annoncer la nouvelle à Bjorn, j’imagine. Pire, Einar ne pourra pas faire de miracles. Le village du Nord ne cultive pas assez, n’a pas assez d’hommes ou se repose un peu trop sur ses lauriers… Difficile à dire, en vérité. Tout ce que l’on peut noter, c’est qu’ils n’en sont pas à piller les autres pour se nourrir et, dans leurs conditions, je me demande si c’est une bonne ou une mauvaise chose.

Le rythme de notre marche est plutôt soutenu et le soleil est bas dans le ciel. Pour une fois, je ne ronchonne pas, j’avoue même que c’est moi qui donne le rythme. Parfois, mon Viking se perd suffisamment dans ses pensées pour ralentir l’allure et je dois l’attendre alors que je n’ai qu’une hâte, retrouver notre maison et mes bébés. Je sais combien il est préoccupé, mais pour ma part, mon seul objectif est de serrer mes enfants dans mes bras et de m’assurer qu’ils vont bien.

Je souris en apercevant la maison au loin et me tourne vers Einar, encore en retrait. L’impatience me pousse à soupirer et à le rejoindre. J’attrape sa main et tire sur son bras pour l’entraîner à ma suite, ce qui le fait sourire.

— Tu traînes. Je suis sûre que j’étais plus rapide que ça même quand j’étais sur le point de mettre au monde nos enfants.

— Désolé, je suis en train de réfléchir à ce que je peux faire pour sauver le village… J’en suis responsable, maintenant.

— Je sais… Et nous allons trouver des solutions, mais dans l’immédiat, il y a deux amours qu’il me tarde de retrouver, alors soit tu tiens la cadence, soit je t’abandonne, mon cher époux, lui lancé-je en souriant, tentant vainement de le détendre.

— Oui, tu as raison, dépêchons-nous de retrouver ces deux petits anges qui rêvent de dévorer à nouveau ta jolie poitrine.

— Et j’ai hâte qu’ils le fassent, même si je ne pensais jamais dire ça, ris-je. J’en ai bien besoin, là.

Plus nous approchons de la maison et plus je me sens fébrile. J’ai bien conscience que c’est ridicule, je sais que Marguerite s’est bien occupée d’eux, que je n’ai pas été absente très longtemps, mais j’ai l’impression de les avoir abandonnés et le besoin viscéral de les sentir contre moi, de les dorloter et de leur dire combien je les aime.

J’ouvre la porte plutôt vivement, faisant sursauter Marguerite, affairée à nourrir Liina avec une corne de vache. Je déteste ces trucs… Mes petits frères avalaient souvent de travers lorsqu’ils étaient petits et je paniquais systématiquement, mais pas le choix lorsqu’on ne peut pas nourrir un enfant à son sein.

Marguerite semble soulagée de nous voir tous les deux et je profite de son étreinte pour prendre ma fille dans mes bras. J’inspire son odeur à pleins poumons, avale difficilement la boule que j’ai dans la gorge et dénoue le haut de ma robe pour la mettre à mon sein. Ivar est endormi dans leur berceau mais je ne peux m’empêcher de le toucher, de caresser ses petites joues rondes en l’observant. J’ai l’impression d’avoir été séparée d’eux durant des jours et je ne veux plus jamais que cela arrive.

Je souris quand mon Viking se plante à mes côtés et reproduit les mêmes gestes que moi de ses grandes mains. La douceur qu’il y met me fascine toujours autant, en total contraste avec sa carrure et la force qu’il dégage. Je me glisse contre lui et savoure son étreinte, quand bien même il semble toujours aussi préoccupé. Sa mère doit le ressentir aussi puisqu’elle nous sert à manger et nous incite à nous asseoir.

— Alors, racontez-moi tout. Comment as-tu réussi à récupérer Clothilde ?

— Je n’ai pas eu à faire grand-chose, tu sais ? Ils ont eu peur de moi, ça a suffi pour les calmer.

— En même temps, tu faisais peur, souris-je. Quel homme ! Tu es complètement fou, Einar… S’ils t’avaient attaqué, tu n’aurais pas pu t’en sortir.

— Ils n’ont pas assez de courage pour m’attaquer… Pas étonnant qu’ils aient du mal à s’en sortir. Et dire que c’est à moi, maintenant, de leur trouver des solutions…

— A toi ? Que veux-tu dire par là ? lui demande sa mère alors que les yeux d’Einar se perdent dans l’observation de notre fille.

— Ils ont tellement eu la frousse qu’ils m’ont proclamé Jarl. Comme si j’allais pouvoir les sauver comme j’ai pu le faire pour Clo.

— Pardon ? Mais… qu’est-ce que tu vas faire ?

— J’y réfléchis depuis que nous avons repris la route. Et il faut que je trouve quelque chose avant d’y retourner. Je… j’avoue que je ne sais pas trop comment les aider.

Le silence s’installe dans la pièce,comme si chacun de nous réfléchissait à ce qui pourrait aider les Vikings du Nord… Seuls les petits bruits qu’émet Liina et le léger ronflement de Nuage brisent cette quiétude qui n’en est pas réellement une.

— C’est plutôt simple, non ? demande soudain Marguerite. Que ferais-tu si ta famille risquait de mourir de faim, Einar ?

— J’irais chercher à manger ailleurs… mais je ne veux pas créer une nouvelle guerre.

— Donc tu n’irais pas piller ? Où irais-tu ? Comment trouverais-tu de la nourriture ?

— Je ne sais pas, Mère… Piller, ça ne me tente plus, je trouve ça déloyal. Je n’étais déjà pas très convaincu avant d’y aller moi-même, mais depuis que Clothilde m’a ouvert les yeux, je le suis encore moins.

Marguerite sourit en me jetant un regard. Je dépose une Liina rassasiée dans les bras de son père et récupère délicatement mon fils pour ne pas le réveiller. Égoïstement, j’ai besoin de l’avoir contre moi quand bien même lui n’en ressent pas la nécessité à cet instant. Je me fige dans mes gestes en entendant la mère d’Einar reprendre la parole.

— Et pourquoi pas les installer ailleurs ? Certaines terres sont bien plus prospères que celles du Nord. Toi qui as visité la Normandie, tu vois bien qu’on peut largement cultiver de quoi se nourrir.

— Tu sais que j’y ai pensé ? Mais si on part à un ou deux bateaux, ça veut dire que tous les autres restent à quai et vont finir par mourir de faim. Si on fait ça, il faut qu’on emmène tout le village, je ne veux laisser personne derrière… Mais cela semble être une mission impossible à réaliser.

Je m’assieds à nouveau près d’Einar sans ouvrir la bouche. A-t-il vraiment pensé à partir ? A rentrer chez moi ? Ou imagine-t-il simplement voyager plus au Sud ?

— Pourquoi dis-tu que c’est impossible à réaliser ?

— Parce que ça ne s’est jamais vu, emmener tout un village. La Normandie, c’est riche, je pense qu’on pourrait y trouver notre place, mais comment emmener tout le monde ? Il faudrait quoi ? Six bâteaux ? Et des longs en plus. Je ne vois pas comment rendre ça possible.

— Parce que ça ne s’est jamais vu, c’est irréalisable ? Libérer une esclave normande et l’épouser ne s’est jamais vu dans ce village et pourtant, tu l’as fait.

— Tu as raison. Il faut que je change de façon de penser et réfléchir sur les moyens d’y arriver plutôt que de me casser la tête à savoir si je peux y arriver… Et il va falloir les convaincre, aussi, mais ça, ça devrait aller. Un petit tour d’épée, quelques cris et ils vont tous dire oui, sourit-il en me regardant avec amour.

— Tu… tu envisages vraiment de tous les emmener en Normandie ? lui demandé-je doucement, ne voulant pas y croire.

— Oui, et vous aussi, si les conditions le permettent. Vous ne voudriez pas retourner là-bas ?

J’ose un regard à Marguerite qui ne semble pas oser sourire ou manifester sa joie à l’idée de rentrer chez elle, mais ses yeux pétillent et elle est plutôt lisible. Pour ma part, j’ose à peine croire qu’Einar en arrive à cette option…

— Je pensais le voyage trop dangereux pour le faire avec les enfants ?

— C’est vrai, mais c’est toi qui me dis qu’il ne faut pas que je pense que c’est irréalisable. J’essaie, tu vois ?

— Et tu crois vraiment pouvoir convaincre les Vikings de partir à coup de menaces et de quelques cris ?

— Je n’ai rien d’autre à leur proposer de toute façon. Et puis, ça devrait leur plaire, non ? Surtout si tu es à mes côtés, ils vont tous s’imaginer avec une jolie Normande à leurs bras.

— Je… Il faut que tu t’assures qu’ils viennent avec de bonnes intentions, Einar. Les amener en Normandie, c’est fou mais pourquoi pas, après tout… Mais les derniers Vikings qui ont mis les pieds chez moi nous ont pillés, il ne faut pas que cela se reproduise.

— Oui, si on y va, ce n’est pas pour faire des raids, ça, c’est certain.

— Est-ce que tu envisages sérieusement ce voyage, Einar ? lui demandé-je après quelques secondes de réflexion. Je ne veux pas commencer à y croire et être déçue…

— Oui, il n’y a vraiment pas beaucoup d’autres solutions, tu sais ? Il faut réfléchir à plein de choses, mais c’est une vraie piste.

Une piste… Une possibilité, une option… Rien de certain, mais l’idée de rentrer à la maison me gonfle le cœur aussi certainement que d’observer Ivar qui s’éveille dans mes bras ou Einar qui dorlote Liina et la couve d’un regard protecteur. Une chose est certaine, je suis prête à revivre ce voyage, et je compte bien aider mon époux à convaincre le village. J’espère simplement ne pas regretter de ramener des Vikings sur mes terres. Je crois qu’ils ont suffisamment malmené les miens et je suis persuadée que nous pourrions vivre sereinement les uns à côté des autres. Peut-être suis-je aussi folle qu’Einar, finalement. Parce que c’est de la folie d’envisager ce voyage, non ?

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