106. Retour en terre inconnue

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Einar

Enfin, nous nous approchons des côtes normandes et j’avoue que je suis soulagé. Le voyage a été long et nous avons bien failli devoir accoster sur les côtes angloises en raison du mauvais temps. Je n’ai pas fermé l'œil du voyage, je pense. Je me suis peut-être assoupi quelques instants par ci, par là mais j’ai trop souvent cru que c’était la fin pour vraiment me reposer. Et Clothilde n’a rien fait pour m’aider. Je ne sais pas combien de fois je lui ai demandé de rester à l’abri du vent et des vagues, mais elle n’en a fait qu’à sa tête, souhaitant aider dès qu’elle le pouvait aux manœuvres. Heureusement que ma mère a été plus raisonnable et qu’elle a fait attention à garder les enfants au chaud !

Je jette un œil à Nuage qui a l’air de regretter nous avoir suivis. Clairement, la mer, ce n’est pas son domaine et il est couché, ses pattes avant sur son museau. Au moins, il a cessé de geindre comme il le faisait les premières heures, mais le pauvre semble à l’agonie. Je me rapproche de lui et le caresse doucement alors qu’il me lance un regard suppliant, comme si je pouvais faire quoi que ce soit pour accélérer le rythme ou diminuer le mouvement de roulis imposé par les vagues.

— T’inquiète pas, Nuage. Le plus dur est passé, on va bientôt arriver dans le pays de ta maîtresse. Qui sait comment nous y serons reçus ?

— Nous venons en paix, il y a peu de chances que nous soyons mal reçus, non ? Tu t’inquiètes bien trop, je pense…, tente de me rassurer ma bien aimée.

— Les Vikings ne sont jamais les bienvenus quand ils arrivent en terre ennemie. Je dirais qu’il y a peu de chances que nous soyons bien reçus…

— En même temps, vu la dernière expérience qu’ont vécue les miens, ce serait compréhensible aussi.

— N’en parlons plus, on va attirer la malchance sur notre périple. Embrasse-moi plutôt, pour me donner du courage.

Clothilde ne se fait pas prier et dépose un tendre baiser sur mes lèvres avant que je ne reprenne mon poste à l’avant, pour guider au mieux le navire. Des enfants pleurent à l’arrière du bateau et, sans me retourner, je sais que ce ne sont pas les miens. C’est inhabituel comme bruit, sur un bateau, mais je me dis que c’est bien là la meilleure preuve que nous ne venons pas avec des intentions belliqueuses.

Quand nous approchons de la côte, mon regard se pose sur des palissades en bois construites le long de la plage, ce qui nous empêche de mettre pied à terre où nous l’avions envisagé.

— On continue, direction la plage, crié-je pour mon navigateur.

Déjà que j’étais stressé, mais là, l’angoisse monte encore d’un cran. Surtout qu’ils ont dû voir nos embarcations et que l’alerte a déjà dû être donnée. Bref, nous sommes en train de faire une erreur que plus aucun Viking ne fait : revenir deux fois au même endroit.

— Clothilde, tu peux venir à l’avant avec moi, s’il te plait ? l’appelé-je sans détourner mon regard de ce point où je veux accoster.

— Je suis là… Qu’attends-tu de moi ?

— Rien de spécial. Reste-là debout, à mes côtés et espérons qu’ils aient une bonne vue. Quel meilleur symbole de paix qu’une femme ? D’autant plus si elle est normande… C’est fou, tout ce qu’ils ont construit… Les Normands ne sont pas si bêtes qu’ils peuvent parfois en avoir l’air, n’est-ce-pas ?

— Bêtes, vraiment ? Parce qu’on vivait en paix sans craindre que toi et tes compagnons débarquent pour nous voler ? Oh, Chéri, je te déconseille de tenter ce genre de compliment quand nous aurons les pieds sur la terre ferme.

— Dans notre langue, je peux dire ce que je veux, non ?

— Hum… Je te déconseille de critiquer mon peuple, peu importe la langue, sinon je risque de retourner vivre chez mon père, mon cher époux, me lance-t-elle avec un sourire qui se veut innocent.

— Je ne dirai plus rien, ris-je, un peu détendu par cet échange alors que le drakkar continue d’avancer à un rythme plus lent.

J’ai l’impression que cette partie du voyage est la plus longue et que le temps semble s’être figé. J’essaie de ne pas penser à ce qui nous attend et observe la plage où nous avons posé pied lors de notre précédent voyage. Elle semble déserte mais je ne m’y trompe pas. Un comité d’accueil est prévu. Aussi, à peine stoppons-nous le bteau dans les eaux peu profondes de la côte que je crie en normand :

— Nous venons en paix ! Nos femmes et nos enfants sont avec nous, nous ne sommes pas une menace.

Techniquement, nous sommes une menace, mais mon normand ne me permet pas d’exprimer les choses avec plus de nuances et je suis soulagé de ne pas me faire attaquer lorsque je saute du navire. Clothilde me suit et j’ai envie de lui dire de rester à bord, mais je sais que ça serait peine perdue, elle fait comme d’habitude ce qu’elle veut. J’ai à peine posé le pied sur le sol normand qu’un groupe armé apparaît et nous encercle, armes levées, et je lève les bras en l’air pour leur montrer que de mon côté, je ne suis pas là pour les provoquer au combat. Mon instinct guerrier se révolte mais je le fais taire et cherche à garder un air le plus neutre possible.

— Halte là ! Vous n’êtes pas les bienvenus ici ! crie la voix forte d’un guerrier dont les protections semblent tout droit inspirées des nôtres.

— Nous venons en paix, répété-je. Avec nos femmes et nos enfants…

— Nous sommes plusieurs Normandes ramenées par ce groupe pacifiste, intervient Clothilde en avançant lentement, les mains levées en signe d’apaisement. Je suis la fille aînée du fromager du village.

— La fille du fromager est chez le Seigneur, tu mens !

Eh bien, c’est mal parti, tout ça. S’ils ne la reconnaissent pas, ils vont finir par nous sauter dessus et j’hésite à sortir mon épée de son fourreau pour nous protéger. Heureusement, Clothilde ne se démonte pas et j’admire son courage quand elle reprend la parole.

— Je me sens pourtant bien vivante, rit-elle. Je te conseille d’envoyer quelqu’un rapidement à la ferme pour que mon père soit informé de mon retour. J’aimerais pouvoir le retrouver au plus vite, ainsi que mes trois frères et ma sœur. Pour l’amour du Ciel, pourquoi mentirais-je ? Allez trouver Maïeul, il doit… J’imagine qu’il est au champ ! Il pourra vous assurer de ma sincérité ! Et vous pouvez baisser vos armes, nous venons en paix.

Je sens que leurs convictions sont ébranlées et ils échangent des regards entre eux qui semblent perplexes. Il est vrai que ce ne sont pas là les villageois auxquels nous avions eu affaire quand nous sommes venus, mais ils devraient tout de même pouvoir reconnaître Clothilde qui est une fille du pays.

— Toi, le Viking, m’interpelle celui qui semble être leur chef, fais descendre tes hommes sans armes et lâche la tienne. On va vous emmener au village pour vous interroger et voir avec le fromager si ce que vous dites est vrai. Quand on vient en paix, de toute façon, on n’a pas besoin d’armes.

— Je ne dépose pas mes armes, dis-je fermement. C’est la seule chose qui vous empêche de nous sauter dessus. Vous ne pouvez pas aller chercher la famille de Clothilde pour vous rassurer ?

— Clothilde ? C’est bien ça, ton nom ? demande leur chef à ma compagne.

— C’est cela. Je suis la fille aînée d’Amaury. Dois-je vous déballer toute l’histoire de ma famille pour que ma parole ait du poids ? Ma mère est morte en couche il y a neuf ans, après avoir mis au monde des jumeaux, Nevel et Alaric.

— Tu es vraiment la sœur de Maïeul ? Le fils du fromager ? Il nous a dit que sa sœur était disparue… C’est vraiment toi ?

— Mais oui, bon sang ! perd patience mon épouse. Faites venir ma famille et vous verrez !

— Je ne veux pas que vous bougiez de là. Et surtout, personne d’autre que vous ne descend, compris ?

Sacré revirement, mais j’acquiesce avant de passer mon bras autour des épaules de Clothilde qui se blottit contre moi. Il échange quelques mots avec un jeune homme qui part en courant. Les autres ne bougent pas et nous nous observons dans une sorte de moment un peu hors du temps où tout semble figé. Nuage grogne depuis le ponton et quand je tourne mon attention vers lui, je constate qu’il a envie de nous rejoindre mais que Mère l’en empêche. Tout le monde est dans l’attente. De quoi ? Je ne sais pas trop mais j’espère que ce sera de quelqu’un du village de Clothilde qui pourra la reconnaître.

Quand nous apercevons au loin le jeune homme revenir en courant accompagné d’un homme de belle stature, je sens les doigts de mon épouse se crisper sur mon bras.

— Dis-moi que c’est bien ton frère… sinon, je ne donne pas cher de notre survie.

— C’est lui, chuchote-t-elle, des trémolos dans la voix. Mon Dieu, comme il a grandi…

Je crois qu’elle ne peut plus se retenir et elle me lâche pour courir vers lui. Quelques Normands tournent leurs épées vers elle mais je sors la mienne, prêt à bondir si l’un d’entre eux ose toucher à un cheveu de ma dulcinée, ce qui a le mérite de les calmer. Clothilde, elle, se moque de tout ça et saute dans les bras de Maïeul qui semble aussi ravi qu’étonné. Voyant ce qu’il se passe, les Normands semblent se détendre.

— Je peux faire descendre les miens ? demandé-je en rangeant mon arme. Nous venons en paix, je vous le répète. Et le voyage a été long et éprouvant, nous avons besoin de nous reposer.

— Oui, mais personne ne bouge de la plage, d’accord ?

Je fais un signe d’assentiment et ordonne à tout le monde de descendre. Les autres navires font rapidement de même, ce qui ne rassure pas les Normands qui restent sur leurs gardes. C’est clair qu’avec tous ces Vikings, ils ne feraient pas le poids si on décidait de les attaquer, mais je m’assure que personne ne fasse la moindre provocation, le temps de pouvoir discuter avec Maïeul et le convaincre que nous ne sommes pas belliqueux. Ce n’est pas encore gagné mais je commence à me dire que notre plan, aussi fou soit-il, est peut-être en train de se réaliser.

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