107. La fromagère en famille

8 minutes de lecture

Clothilde

Installée sur une caisse pour nourrir Ivar, mon regard vogue entre les Vikings, occupés à monter le campement, et Maïeul, totalement hypnotisé par sa nièce qu’il tient au creux de ses bras. Mon frère a tellement changé en si peu de temps que j’aurais pu avoir du mal à le reconnaître. Je peine à réaliser qu’il est devenu un homme, mais son travail dans les champs a développé sa musculature et il a pris plusieurs centimètres, bien plus que je n’aurais pu l’imaginer.

— Je n’arrive pas à croire que tu sois en vie, souffle mon frère en berçant Liina avec tendresse. Et que tu aies des enfants. Jamais nous n’aurions pu imaginer ça.

— La vie est pleine de surprises, petit frère. Crois-tu qu’Einar et moi pourrions aller à la ferme ? J’ai tellement envie de voir tout le monde…

— Cela devrait pouvoir se faire. Tu penses que les Vikings se tiendront bien même sans votre présence ?

— Oui. Tout le monde ici est là pour survivre. Les conditions de vie, chez eux… La famine les guettait, ils sont là pour s’en sortir sans volonté de faire du mal à qui que ce soit. Einar ne le permettrait pas.

— Je vais en parler à Petit Jean, alors. C’est leur chef. Il a l’air méchant, comme ça, mais en fait c’est un grand gentil, cela ne devrait pas poser trop de difficultés.

Il se lève déjà pour aller lui parler, mais je l’arrête en le sommant de faire attention à sa nièce, ce qui le fait sourire d’un air si niais et attachant que mon palpitant s’emballe dans ma poitrine. Ma famille, je vais tous les revoir et même s’il m’a assuré que tout le monde allait bien, je ressens le besoin viscéral de le constater par moi-même.

Je rejoins Einar, occupé à monter notre tente, en tentant d’endormir un Ivar repus. Je n’ai pas manqué ses regards dirigés vers mon frère et surtout sa fille, blottie contre lui, et une fois encore je réalise à quel point je suis éprise de cet homme bon et protecteur, prêt à tout pour notre famille. Je l’arrête donc dans sa tâche et me moule tout contre son corps, enlaçant sa taille de mon bras libre sans retenir un soupir de bien-être.

— Maïeul voit avec leur chef pour que nous puissions aller à la ferme. Tu viendras avec nous ?

— Bien sûr. Je ne te laisse pas hors de ma vue, ni toi, ni les enfants d’ailleurs.

— J’ai vu ça, gloussé-je. Tu sais que mon frère m’a aidée avec les jumeaux lorsqu’ils étaient aussi petits que les nôtres, hein ? Ta fille ne craint rien.

— J’ai toujours peur que quelqu’un s’en prenne à nos enfants… Ils sont si petits, si fragiles, je me dois de les protéger.

— Maïeul est déjà fou d’amour pour eux, il ne laissera rien leur arriver non plus. Ils ont une famille ici aussi, tu sais ? Je… j’espère que tu ne regrettes pas de nous avoir amenés, mais je sais que nous serons bien ici.

— L’avenir nous le dira, répond-il sobrement. Je suis prêt à tout, le bon comme le mauvais. Tant que je suis avec toi et les enfants, tout me va.

Je dépose un baiser sur ses lèvres et me tourne vers mon frère lorsqu’un raclement de gorge se fait entendre. Son sourire, même s’il semble gêné de me voir si proche d’Einar, me fait comprendre que ma requête a été acceptée et je trépigne d’impatience de retrouver ma tribu. Mon Viking va parler un moment avec sa mère puis avec Cnut et je prends difficilement mon mal en patience en l’attendant.

Mon regard erre sur le paysage lorsque nous prenons le chemin de la ferme. Je crois n’avoir jamais marché aussi vite et je maintiens la cadence malgré mon essoufflement. Evidemment, les hommes ne semblent pas avoir ce problème, leurs grandes jambes leur permettant d’assurer. Je suis certaine qu’il ne s’agit que d’une promenade de santé pour mon Viking, même s’il tient fermement sa fille dans ses bras.

Les larmes me montent aux yeux lorsque j’aperçois la ferme au loin. Je ne repère personne à l’extérieur mais mes pas me portent instinctivement vers la fromagerie, où je trouve ma petite sœur, occupée à retourner les fromages. Je dois faire preuve d’une force extrême pour ne pas éclater en sanglots en la découvrant. Isolde, à l’instar de mon frère, a grandi. Son visage s’est affiné, sa silhouette me semble plus féminine. Ses longs cheveux sont ramassés en une tresse comme j’avais l’habitude de lui faire et mes souvenirs affluent. J’ai à la fois la sensation que ces moments datent d’hier mais qu’ils sont si lointains que les images sont floues dans mon esprit.

Isolde s’immobilise quand nos regards se croisent. J’ai à peine le temps de déposer Ivar dans les bras de mon frère qu’elle me saute dessus et m’étreint avec force. J’inspire son odeur à plein poumons, doux mélange familier de savon, de lait et de fleurs, et nous pleurons toutes les deux comme deux enfants.

Je ne sais pas comment les autres arrivent, mais je me retrouve rapidement entourée de la fratrie au complet. Mon cœur se serre de voir qu’ils ont tous grandi, que j’ai manqué tant de temps en leur présence, mais je refuse de gâcher ce moment avec ces pensées négatives, d’autant plus que leur présenter Ivar et Liina rend ce moment magique. Bien évidemment, ils semblent tous perplexes lorsque je leur explique être mariée à Einar, mais ils accueillent les jumeaux avec chaleur et je ne peux détacher mon regard de cette petite tribu qui est mienne.

J’approche d’Einar, resté en retrait alors que nos enfants passent de bras en bras sur le chemin de la maison. Il ne dit rien, mais son attention est toute tournée vers eux et un fin sourire se dessine sur son visage même s’il reste sur ses gardes.

— Tu tiens le coup ? me moqué-je gentiment. J’ai l’impression qu’une partie de toi a envie de récupérer les enfants pour aller les cacher.

— Je crois qu’ils n’ont jamais été dans autant de bras différents. Tu as une grande famille. Mais ça me fait plaisir de te voir aussi heureuse.

— Nous allons être bien ici, Einar, j’en suis certaine. Et en plus de Marguerite, ma famille veillera aussi sur les enfants. Regarde-les, ils sont déjà conquis !

— Ici ? Tu crois qu’il y aura de la place pour nous quatre ? me demande-t-il alors que je constate qu’il mérite vraiment son surnom de Montagne à l’entrée de notre maison.

— Non, je ne parle pas de la maison, mais du coin. D’ici. Je… je sais que cela ne se fera pas en quelques jours, mais j’ai envie que nous ayons notre maison, notre petit cocon, comme là-bas.

— Si c’est ce que tu veux, je ferai tout pour que ça arrive, alors. Mais il faut aussi que l’on trouve un endroit pour les autres Vikings. C’est ma responsabilité de m’assurer qu’ils sont bien installés, tu sais ?

— Je sais, et on va trouver, j’en suis certaine.

Nous nous retournons comme un seul homme lorsque la porte de la maison s’ouvre sur mon père, qui s’immobilise en nous découvrant. J’ai l’impression de voir passer tout un panel d’émotions dans ses yeux, et moi je redeviens une petite fille lorsqu’il m’ouvre ses bras. Je me précipite contre lui et savoure son étreinte, résistant difficilement à cette envie de pleurer qui me reprend. J’ai retrouvé ma famille, j’ai encore du mal à y croire.

Quand il me relâche, son regard se porte sur Einar qu’il observe un peu trop longuement, puis dévie sur Liina qui babille dans les bras d’Isolde. Ses sourcils fournis se froncent, la ride sur son front, accentuée par cette grosse année écoulée, apparaît, et la contrariété qui s’affiche sur ses traits se bat avec l’émotion.

Je m’éloigne le temps de récupérer les jumeaux et les lui présente avec la boule au ventre. J’ai beau savoir qu’il va les adorer, je crains sa réaction quant à mon mariage et son attitude avec Einar.

— Je te présente tes petits-enfants, Papa… Ivar et Liina.

— C'est ce rustre qui t'a engrossée ? me demande-t-il en posant son regard froid sur Einar qui accepte le défi et ne baisse pas les yeux même s'il ne réagit pas ouvertement.

— Il faut croire. Les jumeaux ne sont pas arrivés par l’opération du Saint Esprit, tu sais ? Einar et moi sommes mariés, si c’est ce qui t’inquiète…

— Mariés ? Mais… tu as fait ça sans mon accord ? Je ne te cache pas que ça me surprend… Je suis content de te revoir, n'en doute pas, mais… pourquoi est-il là ? Tu ne t'es pas enfuie ?

— Je l'aime, c'est tout simple à comprendre, intervient Einar. Et maintenant, nous sommes une famille, nous aussi. Nous sommes revenus pour être près de vous. J'espère que vous nous accepterez.

Mon père observe mon Viking en silence, le pli de contrariété entre ses sourcils ne disparaissant pas. Derrière nous, mes frères et ma sœur ne sont pas plus loquaces, et je sens toute la tension habiter notre petite maison. Ce que mon père retient, c’est que je me suis mariée sans son consentement, c’est fou !

— Et je l’aime aussi, Papa. Einar a toujours été très respectueux avec moi, il m’a protégée et ne m’a jamais forcée à rien, contrairement à ton prétendant pour moi. Il m’a même ramenée auprès de vous. Peu importe ce que tu penses ou ce que tu diras, il fait partie de la famille. N’avons-nous pas perdu assez de temps comme ça ? lui demandé-je en déposant délicatement Ivar dans ses bras.

— Tu l'aimes ? s'étonne-t-il. Et c'est lui qui t'a fait ces enfants si mignons malgré leurs noms barbares ?

— Ces noms n’ont rien de barbares, souris-je en enlaçant la taille de mon époux de mon bras libre. Crois-moi, ça aurait pu être bien pire ! Et oui, je l’aime. Comment faire autrement ? C’est un homme formidable, Papa. Je n’aurais pu rêver meilleur mari et meilleur père pour mes enfants.

Mon paternel soupire en nous observant tour à tour, puis reporte son regard sur son petit-fils, endormi contre lui. Ivar ressemble beaucoup à Einar, mais il partage aussi certains traits de ma famille et il me rappelle mes frères jumeaux lorsqu’il dort, son poing remonté contre sa joue. Je suis sûre que mon père fait lui aussi le rapprochement lorsqu’un léger sourire étire ses lèvres. Il acquiesce légèrement de la tête et part s’installer dans son fauteuil, notre fils toujours dans ses bras. Pas de mots, pas de grandes effusions, mais son attitude signifie qu’il accepte la situation malgré tout.

Isolde me dépossède de ma fille en prétextant vouloir que mes frères la voient, et j’en profite pour me presser davantage contre Einar en soupirant de contentement. Mon Viking me serre dans ses bras forts et je me retrouve finalement à raconter les mois passés loin de ma famille avant de les questionner à mon tour. Le temps file à vive allure et j’ai du mal à quitter la maison, mais je ne peux pas rester ici, je veux soutenir Einar auprès du groupe Viking, l’aider à nous établir et lui montrer que mon retour ici ne change rien pour nous. Peu importe le lieu où nous nous trouvons, lui et moi sommes ensemble et je ne le lâcherai pas.

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0