De nouveau, 11h50

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11 h 50, elle me fait signe de l'approcher. Quoi ? Je suis un pantin ? Oui. Sûrement. Elle a l'air à sa place dans cet espace sans temps. Elle se balade naturellement entre ces statues humaines. Elle me sourit. Me prend la main. Cette décharge électrique reprend. Le bip aussi. "Vous êtes une marionnette au service du temps."

11 h 50, une marionnette. Je suis au service du temps. Elle a perdu la tête ? Non. Cela doit être moi. Je me suis enfermé dans ma solitude. Pourtant, je le vois. Il y a un monde entre le temps. Un monde dans l'arrêt du temps. Mais je n'en comprends pas très bien son sens. Bip…

11 h 50, ce bip encore. Tout comme la pause du temps, il est présent invariablement. Elle a encore sa main dans la mienne me tire dans son sillage. "Il faut que vous rentriez dans votre temps, marionnette." Encore ce surnom, où est-ce ce que je suis ? Le bip à nouveau.

11 h 50.

— Dépêchez-vous.

— Pourquoi ?

— Vous n'êtes pas à votre place. Il faut que les choses rentrent dans l'ordre. Je suis là pour ça.

— Comment ?

— En reprenant votre place.

11 h 50, à chacune de ces paroles, je ne suis pas plus avancé. Je sais seulement que je dois reprendre ma place dans le bus. Dans quel but ? Sûrement, pour reprendre le cours du temps en route. Mais, ce n'est pas moi, le fautif de son arrêt. Je me suis réveillé en constatant cette pause. Je n'en suis pas le maître.

11 h 50.

— Avancez ! Nous devons arriver avant la fin.

— La fin ?

— Votre fin.

11 h 50, ma fin ? Je… Le bip accélère. Elle aussi. Je ne comprends pas. Le bus est enfin à portée de vue. Elle tire sur mon bras comme s'il était, question de survie. Elle serre ma main à m'en faire mal. Le bip accélère encore. Le silence n'est plus, seul ce son occupe mon esprit. Bip. Bip. Bip. Puis un seul bip… Un son constant. Comme un signe de fin.

11 h 50.

— Montez ! Vous allez perdre le temps qu'il vous reste.

— Quel temps ?

— Montez !

11 h 50, je l'écoute. Monte dans le bus, m'assois. Elle me lâche. Me sourit. Mais rien ne se passe. Le temps est toujours arrêté. Je tente alors de me relever. Je ne le peux plus. Un poids dans ma poitrine me cloue sur place. "Respirez." C'est le dernier mot que je l'entends prononcer. Avant de la voir disparaître. Elle n'est plus là.

11 h 50, bip, bip, bip… À nouveau ce bruit. Je sursaute. Ouvre les yeux. Que font tous ces gens autour de moi. Quelle est cette main dans la mienne ? Que se passe-t-il ? Pourquoi me regardent-ils tous de cette manière ? Je m'en fiche. Tous ces bruits environnants.

11 h 50, je retiens mon souffle. Je n'arrive pas à croire ce que je vois, ce que j'entends. Le temps vient-il réellement de reprendre son cours ? Je ne peux m'empêcher de fixer ma montre. Cette montre qui n'a pas quitté mon poignet depuis le début de cette pause. Je regarde ses trois petites aiguilles. Rien. Mais l'instant suivant, je le vois.

11 h 51, je vois ce changement. Elles viennent de bouger. Je soupire. Mon dernier souffle avant de la voir parmi tous ces gens. Le bip se fait entendre une dernière fois. Avant de me faire à nouveau basculer dans le noir. Plus rien. C'est le vide qui m'englobe. Le temps ne s'arrête pas cette fois. Je suis englouti. Littéralement.

12 h 45.

Flash info.

Un incident à la centrale nucléaire ce matin a plongé la moitié du pays dans le noir le plus total. La ville la plus touchée fait état d'un trop grand nombre de victimes pour les compter. Un homme a pourtant pu être sauvé. Son récit est encore incohérent. Effectivement, celui-ci parle d'un arrêt dans le temps. Or, ce matin à 11 h 50 le reste de la population et des occupants du bus dont il était passager sont décédés.

12 h 50, je suis dans une chambre d'hôpital. Personne ne me croit et moi, je ne crois pas ce que j'entends. Je voudrais retourner dans cette pause. Je me sens plus seul que jamais. Le bip se répétant sans cesse était celui de l'alerte. L'alarme annonçant un incident à la centrale nucléaire. Celle où je travaille. Où je travaillais…

12h51, de ce que j'ai compris des hommes de l'armée m'ont retrouvé dans le bus. J'étais endormi mais vivant. Et j'étais le seul. Apparemment, mon discours n'est pas normal pour eux. Mais c'est bien ce que j'ai vécu. Je crois. Cette femme, dans la pause du temps. Elle m'a sauvé et je ne connais pas son nom…

12 h 52.

— Je suis Rose, la gardienne du temps, petit Pantin.

Je me sens observé mais je ne distingue rien, ni personne. Pourtant, je sens qu’elle est là, dans cet entre-deux. Elle patiente dans l’attente d’une nouvelle pause, d’une autre catastrophe. Une attente afin de guider le témoin, celui qu’on nomme le rescapé nucléaire.

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