"Toi"
Les rayons du soleil se glissaient entre les rideaux et atteignirent le visage de l'endormie. Réchauffée par un étrange apaisement, Olivia ouvrit les yeux. La bonne frappa au même moment à la porte avec dans les bras un bouquet de roses fraîches.
-Sentez comme leur odeur est forte ! S'exclama-t-elle. Ceci vous requinquera Madame de la Crue !
Olivia admira sa jeunesse, son énergie à remplacer les fleurs déjà fanées par un bouquet joyeux et odorant. Elle chantonnait tout en ouvrant tranquillement les rideaux.
-Oh, encore un triste temps, Fit-elle d'une voix fluette.
-Monsieur est-il parti travailler ? Demanda brusquement la maîtresse de maison.
-Oui, depuis quelque temps déjà ! Vouliez-vous lui transmettre un mot ?
-Non...Justement, j'aimerai discuter avec vous.
Très étonnée, la domestique s'assit à ses côtés. Elle marqua les rides et l'épuisement sur le visage de Madame de la Crue, chose qui ne lui ressemblait pas du tout. Puis elle reçut des confidences gravissimes. Olivia se livra sur cette terrible soirée ainsi que sur ses ressentis depuis l'abandon de l'enfant. Elle était la seule à être au courant de la grossesse indésirée de Madame et émue par la situation, elle pleura avec elle.
-J'aurais donc quelque chose à vous demander, Dit Olivia après quelques embrassades. J'aimerai...pouvoir discuter avec mon fils, lui dire à quel point je l'aime.
-Il est encore temps d'aller le chercher Madame ! Il est peut-être en train de grelotter dehors !
-Ce n'est pas ça, je sais qu'il est perdu...Je voudrais continuer à communiquer avec lui, déposer des mots auprès de son corps pour lui dire à quel point je suis désolée.
-Vous pourriez lui écrire. Je ne sais que peu lire et écrire mais vous m'aviez promis que vous m'aideriez ! Cela serait bien pratique pour la liste de courses ainsi que pour des petits mots à de gentils garçons. Et je pourrais vous aider et vous conseiller sur ce que vous pourriez dire à votre enfant.
Olivia jugea l'idée très bonne. Pour la première fois, elles mangèrent toutes les deux ensemble dans la chambre de Madame sans qu'il y ait cette barrière de domestique et de maîtresse. Elle ne lui avait jamais demandé son nom. Rosa. Un prénom doux, agréable à prononcer. Olivia eut tout de suite confiance en elle.
C'est ainsi qu'elle opta pour un échange affectueux et sincère avec l'enfant qu'elle n'avait pas voulu...
*
Journal d'Olivia de la Crue
A mon petit
Je ne t'ai pas nommé puisque je n'y ai pas pensé. Je ne sais que te dire et ces mots ne te parviendront sans doute jamais. Comment une mère peut-elle autant détester son enfant qu'elle porte pendant des mois ? Veux-tu que je te donne un prénom ? Je vais te nommer « Toi ». je t'ai abandonné à un sort terrible mais je tiens à te dire à quel point ma grossesse a été compliquée. Je t'écris alors que ma colère est un peu redescendue. Je t'écrirais lorsque j'aurais plus de confidences à te faire.
Olivia demanda à Rosa de l'accompagner jusqu'au lieu où elle avait laissé l'enfant. Elles se parèrent de vêtements simples, couvrirent leur tête de leur capuche et sortirent dans le temps hivernal. La pluie ne cessait de tomber sur les pavés de la ville, les rendant glisser et dangereux pour les chevaux autant que pour les hommes. Elles ne se firent pas remarquer en quittant le village. À sa grande surprise, Olivia retrouva le chemin exact dans les bois. Elles piétinèrent longtemps, inquiètes des bruits étrangers de la nature.
-Nous y sommes.
Olivia écarta les branchages tombés pendant la nuit. Elle ne vit pas l'enfant. Son cœur cognait dans sa poitrine, elle fut incapable de reprendre son souffle. Rosa poussa un petit cri.
-Alors ça y est, on l'a dévoré ?
-Ne dites pas de sottises ! Fit Olivia d'une voix ferme mais mal assurée. Nous aurions dû retrouver du sang s'il avait été déchiqueté par les loups. Or, ce n'est pas le cas.
-Ils l'ont peut-être emporté. Allons vérifier.
Plus elles avançaient dans la forêt, plus le chemin devenait impraticable. Les animaux auraient du emprunter une route plus sûre pour transporter le bébé. Il n'avait pas pu servir ici de repas. Épuisées et à bout de forces, elles retournèrent près du petit nid confectionné par Olivia.
-Madame, il commence à faire très froid, rentrons.
-Non. Laissez-moi me recueillir.
Olivia avait pris un petit bouquet de chèvre-feuilles que la bonne voulait jeter. Elle le sortit doucement de sa poche et le déposa prudemment sur le nid de feuilles. On aurait dit un enterrement mais sans corps, sans proches, sans extravagants bouquets de fleurs. La pluie rythmait le recueillement de la mère pour son enfant. Le froid ne l'atteignait plus, les larmes ne coulaient plus, le cœur demeurait de glace. Lorsqu'elle jugea le moment opportun, Rosa lui tendit la petite lettre. Olivia le recouvrit de quelques feuilles puis se signa.
-Nous pouvons nous en aller, Souffla-t-elle.
Annotations
Versions