Hommage à l'enfant

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Récit d'Olivia de la Crue


A mon petit


J'espère que tu as apprécié mon petit mot. Je ne savais pas quoi te dire. Je suis perdue. Je sens ton âme virevolter autour de moi, je rêve de toi et de ton abandon. Tu es sous la forme d'un démon monstrueux aux griffes assassines. Ta fureur fait de mon visage un lambeau de peau, de mon corps, un amas informe. Je ne pouvais faire autrement que de céder à ta colère. Et je te comprends. Je ne t'ai pas trouvé dans le petit cocon que je t'avais confectionné. Je me suis inquiétée pour toi et ta santé. Ma bonne a pensé que tu avais été emporté par les loups et dévoré dans les profondeurs des bois. Oh mon petit, j'espère que tu n'as pas trop souffert. Je pense que quelqu'un t'a récupéré et prend bien soin de toi. Je prie pour que ce soit le cas.


*


Chaque jour, Olivia et Rosa retournèrent dans les bois faire un bel hommage à l'enfant. Josselin ne semblait pas se préoccuper de cette sortie et ignorait tout de ce qu'elles faisaient. Mais notable dans un petit village, les gens n'hésitaient pas à parler. Comme il tenait un petit cabinet médical, il eut vent des déplacements de sa femme. Il s'agissait d'une vieille dame, bavarde et toujours au courant des dernières nouvelles du patelin qui l'informa de cet étonnant changement.

-Vous savez Monsieur de la Crue, je vais vous dire des choses qui ne vous plairont pas de trop.


-Quoi donc Madame Ducrère ?


-Oh vous êtes un homme bon Monsieur de la Crue, cela vous ferait bien du mal. Je vais donc vous raconter. Apparemment, votre femme se rendrait tous les matins dans les bois. Avec sa bonne, vous vous rendez compte ! Comment une femme de la bonne société peut-elle emmener une pauv' fille avec elle ? Quelle honte !


Très étonné du discours de la célèbre commère, Josselin attendit patiemment la suite et demanda calmement :


-Ce n'était qu'une simple promenade Madame Ducrère. Madame a l'habitude de prendre l'air et elle demande à ce que la bonne l'accompagne.


-Mais non, vous ne comprenez pas ! S'écria la patiente.


Elle se pencha vers lui avec un air mystérieux, comme une espionne qui détient une information capitale.

-Elles étaient habillées comme des paysannes !


Josselin fit payer la vieille commère et se retrouva seul dans son cabinet. Très choqué, il réfléchit à la situation. Rien ne le surprenait dans cette promenade que sa femme affectionnait tant. Mais lorsque la vieille lui avait exposé ce déguisement outrancier, il commença à se poser des questions. Que faisaient-elles, fourrées toutes les deux ? Et pourquoi porter des vêtements de roturier pour se balader ?


Josselin rentra très perturbé.

Il retrouva sa femme près du feu en train d'écrire. Il ne put s'empêcher de sourire.


-Bonsoir.


-Oh bonsoir Josselin. Comment s'est déroulée ta journée ?


-Bien, je te remercie.


Le jeune homme confia sa sacoche à Rosa qu'il trouva plus pimpante que d'habitude puis s'assit en face de sa femme. Il ne savait pas comment aborder le sujet qui l'avait tant perturbé. Il se mordit la lèvre inférieure puis se lança.


-Le dîner est-il prêt ?


-Mais oui, quand tu le voudras !


-Je dois absolument te parler de quelque chose.


Olivia posa délicatement le papier et la plume sur la table basse puis le fixa.


-Qu'y-a-t-il ?


-Une cliente est passée me voir ce soir. Et elle m'a raconté des choses étranges à ton sujet ainsi que celui de la bonne. Vous vous promèneriez en habits de roturier.


Il marqua une hésitation chez sa femme qui se ressaisit immédiatement.

-Tu veux parler de cette insupportable Madame Ducrère ? Mon petit Jos', tu sais fort bien qu'elle délire ! Jamais nous ne nous serions vêtues comme des pauvresses. Elle nous a confondu avec d'autres, jamais nous n'aurions fait cela.


Son rire sonna faux. Josselin fronça les sourcils mais hocha la tête en signe d'approbation. Durant le dîner, ils discutèrent vivement et le sujet des vêtements ne revint pas sur le tapis. Ils se couchèrent de bonne heure, Olivia continua l'écrit de petits mots destinés à son fils perdu...

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