Chapitre 1

6 minutes de lecture

La pluie tombait doucement sur les toits de Forbach, formant un clapotis régulier qui résonnait dans le petit appartement de Nicolas. Installé à son bureau, il fixait l'écran de son ordinateur, où un curseur clignotait inlassablement sur un document vierge. Cela faisait plus d'une heure qu'il était là, immobile, à contempler cette page blanche qui lui donnait l'impression d'être face à un mur invisible, infranchissable.

À côté de lui, un tas de feuilles griffonnées s'entassait. Des débuts d'idées, des titres raturés, des paragraphes incomplets. Chaque tentative avortée témoignait de son incapacité à démarrer. Il savait qu'il voulait écrire un livre, mais "quoi" écrire restait un mystère. Un roman ? Des mémoires ? Une fiction sur ses propres échecs ? À chaque fois qu'il pensait avoir trouvé un fil conducteur, l'idée s'évaporait comme la fumée de sa cigarette.

Le bruit de la rue remontait jusqu'à lui. Des rires, des conversations indistinctes, la vie continuait à tourner en bas, mais dans sa petite pièce, le temps semblait suspendu. Il se leva et sortit sur le balcon exigu. D'en haut, il pouvait observer les passants pressés, les voitures qui défilaient, les lumières des cafés où il avait déjà passé bien trop de soirées. Il alluma une cigarette, tirant une longue bouffée en espérant que la nicotine réveille son esprit engourdi.

Il pensa à ses dernières tentatives d'écriture. Chaque fois, il s'était heurté à cette même question : "Qui pourrait bien vouloir lire ça ?". Sa vie n'avait rien de remarquable. Il n'était ni un grand écrivain ni un personnage digne d'un roman. Juste Nicolas, 41 ans, éducateur dans un centre d'hébergement pour personnes en difficulté, divorcé, un enfant qu'il voyait trop peu et une ex qui semblait s'épanouir depuis leur séparation.

Il soupira, jetant son mégot par-dessus le balcon avant de rentrer. Devant lui, l'écran brillait toujours, le document vierge l'attendant comme un défi silencieux. Il s'installa de nouveau, les doigts flottant au-dessus du clavier, mais aucun mot ne lui venait.

— Allez, merde... murmura-t-il pour lui-même, comme pour se motiver.

Il ferma les yeux, cherchant à se rappeler pourquoi il avait voulu écrire au départ. L'idée lui trottait dans la tête depuis des années, mais depuis quelque temps, elle était devenue une obsession. Peut-être était-ce la crise de la quarantaine, peut-être était-ce une manière de prouver à son entourage – et à lui-même – qu'il était capable de créer quelque chose, de laisser une trace.

Mais cette foutue page blanche le ramenait à une réalité implacable : peut- être n'était-il tout simplement pas fait pour ça.

Il commença à taper quelques phrases, juste pour voir. Une phrase. Puis une autre. Ça n'avait aucun sens, mais au moins, c'était quelque chose. Il relut ce qu'il venait d'écrire : "Je suis assis devant cette page blanche depuis une heure. Peut-être même plus. J'ai perdu la notion du temps. Je voudrais écrire, mais je ne sais pas quoi écrire. C'est con, non ?"

Il esquissa un sourire amer. C'était ridicule, mais c'était au moins la vérité. Il effaça tout d'un coup de touche. Puis, il laissa sa tête tomber dans ses mains, épuisé, malgré l'immobilité.

Ses pensées vagabondèrent et inévitablement, il se retrouva à repenser à cette nuit, celle où tout avait changé.

C'était la dernière nuit avec Astride. Ce souvenir revenait sans cesse dans son esprit, surtout quand il se sentait bloqué.

Ce n'était pas simplement une rupture, c'était un moment qui l'avait marqué à jamais, comme une cicatrice profonde qu'il essayait d'ignorer. Il se revoyait encore, assis dans ce même salon, regardant Astride se préparer pour sortir.

Elle lui avait dit qu'elle allait voir Sarah, comme elle le faisait souvent. Sarah, c'était toujours elle qu'elle invoquait lorsqu'elle ne voulait pas l'emmener. Mais ce soir-là, quelque chose clochait. Il l'avait senti, comme une petite voix sourde au fond de son ventre. Et puis, il avait vu ce message. Un message anodin, envoyé à quelqu'un qu'elle n'était pas censée voir. Eric. Ce nom qu'il n'avait jamais vraiment aimé, mais qu'il s'était forcé à tolérer.

Le message disait simplement : "Je vais avoir du retard." Rien de compromettant, mais Nicolas avait su. Tout était devenu clair en un instant. Elle n'allait pas chez Sarah. Elle allait le voir "lui", celui avec qui elle avait gardé contact pendant sept ans, pendant toute la durée de leur relation.

Quand elle s'était approchée de la porte pour partir, il n'avait pas pu s'empêcher de la confronter.

— Tu ne vas pas chez Sarah, avait-il lancé, d'une voix plus calme qu'il ne l'aurait cru possible.

Elle avait évité son regard, comme si elle n'avait pas entendu, continuant à ajuster son manteau.

— Si, je te dis que je vais chez elle, avait-elle insisté.

Il avait ressenti un frisson d'irritation monter en lui. Il savait qu'elle mentait. Il le savait depuis des mois, mais il n'avait jamais osé aller jusqu'au bout de ses suspicions.

— Non, avait-il répété, plus fermement cette fois. Attends, je reformule : tu ne vas pas chez Sarah. Tu vas chez Eric.

Un silence glacial s'était installé entre eux. Elle avait blêmi. C'était à ce moment-là qu'elle avait compris qu'il savait. Elle n'avait plus rien dit, mais l'absence de protestation avait suffi à confirmer ce qu'il savait déjà.

Le souvenir de ce moment fit grimacer Nicolas. Il revoyait sa propre colère, cette rage sourde qu'il n'avait pas réussi à contenir. Il lui avait lancé un dernier regard rempli de mépris.

— Va te faire foutre, avait-il murmuré avant de quitter la maison en claquant la porte.

Il était monté dans sa voiture et avait conduit sans vraiment savoir où aller. Il avait fini par se retrouver devant la maison de Eric, la rage au ventre, prêt à tout foutre en l'air. Il s'était imaginé casser une vitre, provoquer une scène, mais en arrivant, il s'était arrêté net. Peut-être était-ce la peur de se ridiculiser, ou un reste de bon sens. Il n'avait rien fait. Il était resté là, dans sa voiture, à regarder les lumières éteintes de la maison, avant de finalement rentrer chez lui, vidé de toute énergie.

Le lendemain, il devait passer son dernier oral pour le diplôme de moniteur éducateur. Deux ans de travail acharné, et tout s'était effondré en une nuit. Incapable de dormir, il avait fait son sac en pleine nuit, pris le téléphone d'Astride sans même savoir pourquoi, et était parti en direction du lieu de son examen. Il s'était arrêté sur une aire d'autoroute pour essayer de dormir, mais le sommeil ne venait toujours pas.

Il avait passé son oral dans un état second, persuadé d'avoir tout saboté. Il était certain d'avoir échoué. Mais quelques semaines plus tard, il avait reçu la nouvelle : il avait obtenu un 20. Un foutu 20. Un signe, peut-être, que cette séparation était nécessaire, que tout devait changer.

Il soupira en repensant à ce moment. Devant lui, l'écran brillait toujours, blanc et silencieux. Il se mit à taper quelques mots.

"Peut-être que le livre que je dois écrire, c'est celui de l'incapacité à écrire. Peut-être que c'est là que réside l'histoire."

Pour la première fois depuis longtemps, Nicolas sentit quelque chose se débloquer. Peut-être que, cette fois, il était enfin sur la bonne voie.

Annotations

Vous aimez lire Bad Sale ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0