Chapitre 25

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Nicolas était assis à son bureau, les yeux encore légèrement rouges de fatigue, mais le masque du professionnel en place. La porte s’ouvre, laissant entrer Pierre, un résident de longue date du CHRS. La quarantaine entamée, le visage marqué par les années difficiles, Pierre s’approche et s’assoit sans un mot.

— Salut, Pierre. Comment ça va aujourd’hui ? demande Nicolas, le ton posé, bien qu’un peu mécanique.

Pierre hausse les épaules, le regard fuyant.

— Comme d’habitude, tu sais. On survit, quoi.

Nicolas prend une longue inspiration. C’est souvent ainsi que débute les entretiens. Une sorte de danse verbale où chacun essaye de comprendre ce que l’autre est prêt à dire. Il ajuste ses lunettes et ouvre le dossier devant lui.

— J’ai vu que t’as pas donné de nouvelles à la mission locale la semaine dernière, reprend Nicolas. C’est important que tu suives ces démarches si tu veux avancer sur le projet d’insertion.

Pierre hoche la tête, sans grande conviction.

— C’est pas facile, Nico. Des fois, je me dis que ça sert à rien, tu vois. Ils disent qu’ils vont t’aider, mais au final, t’es tout seul. Comme toujours.

Nicolas observe le résident, se souvenant de ses propres luttes, des moments où il s’était lui-même senti perdu. Il ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec la situation dans laquelle il est avec son foutu texte publié en ligne, les jugements, les attentes… Il comprend trop bien cette fatigue morale.

— Je sais que ça peut sembler inutile parfois, Pierre, mais si tu lâches tout maintenant, tu vas juste stagner. Peut-être que c’est pas eux qui vont tout régler, mais ça peut te mettre sur une piste.

Un silence s’installe, seulement brisé par le bruit des gens qui passent dans le couloir. Pierre regarde fixement la table, puis finit par murmurer :

— Tu crois vraiment à tout ça, toi ? Les aides, les démarches… ça marche pour qui, au final ?

Nicolas reste un instant silencieux. Il a été de l’autre côté, à tenter de remettre de l’ordre dans sa vie. Il a vu de près à quel point la société est une machine lente et imparfaite. Mais là, dans ce moment, il doit jouer son rôle, celui qui garde espoir, même si parfois, il ne le ressent plus vraiment.

— Ce qui marche, Pierre, c’est ce que tu décides de faire avec. Y’a rien de magique, mais si tu veux t’en sortir, t’as pas d’autre option que de continuer à pousser. Tu sais, moi aussi, je me pose beaucoup de questions sur le sens de ce qu’on fait ici, sur ce qu’on peut accomplir. Mais je crois qu’on n’a pas le choix. Si tu veux avancer, même un tout petit peu, tu dois t’y accrocher.

Pierre sourit légèrement, un sourire triste.

— Ça fait quoi, Nico, quand on a l’impression de tout foutre en l’air ? Ça t’arrive, toi aussi ?

Nicolas baisse les yeux vers son dossier. Il pense à Alice, à Sophie, à ce texte en ligne qui pourrait tout exploser, aux possibles répercussions dans sa vie personnelle et professionelle. Oui, ça lui arrive. Souvent.

— Ouais, ça m’arrive. Mais ça ne veut pas dire qu’on doit tout abandonner. On se relève, on continue. Parfois, c’est juste une question de temps.

Pierre acquiesce, l’air pensif. Il semble réfléchir à ce que Nicolas vient de dire, même si la lassitude reste ancrée dans ses traits.

— Je vais essayer, lâche-t-il finalement, sans grande conviction mais avec une pointe de résolution.

— C’est tout ce que je demande, Pierre. Juste… essaie. On est là pour t’aider, mais tu dois aussi y mettre du tien.

L’entretien touche à sa fin, et Pierre se lève doucement. Nicolas le raccompagne à la porte, avant de retourner à son bureau, l’esprit encore embrouillé. Ses propres problèmes se mêlent à ceux de ses résidents, créant un tourbillon de doutes et de responsabilités.

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