Chapitre 27
"Marc ouvrit la porte du sas de l’immeuble avec un sourire qu'il espérait non forcé, tout en se répétant mentalement que ça passerait ou ça casserait. Devant lui, trois policiers se tenaient droits, l'air sérieux, mais sans agressivité apparente.
— Bonjour messieurs, lança-t-il d'un ton qu'il voulait détaché, tout en leur ouvrant grand la porte.
Sans hésiter, il les invita à entrer d’un geste poli, retenant même la porte intérieure qui s'apprêtait à se refermer derrière lui. Il jouait la carte de la courtoisie, comme si leur présence était une formalité administrative de plus. Il faisait tout pour éviter de montrer que l’urgence dans cette situation, c’était lui.
Mais qui pouvait le deviner à cet instant ?
Personne.
Les policiers le remercièrent d’un hochement de tête, l’un d’eux lançant un bref « merci » sans vraiment le regarder. Ils traversèrent le hall, laissant Marc là, debout, avec ce sentiment d’irréalité qui pesait sur ses épaules. Il les suivit des yeux, le cœur battant la chamade, mais sans rien laisser paraître. Il était déjà parti, dans sa tête, sans même se retourner.
À cet instant, il se sentait comme un acteur dans un mauvais film, jouant un rôle qu'il ne maîtrisait pas. Mais tout avait fonctionné. Pour l'instant."
Nicolas se souvint du vide qui l'avait envahi après ce moment. Une sensation étrange, comme si tout ce qui s’était passé ensuite s’était dissous dans une brume épaisse. Les détails étaient flous, effacés par le poids des antidépresseurs qu'il avait pris à l'époque, cherchant à échapper à la réalité. Ce souvenir n’était qu’un fragment d’une époque où il se débattait contre lui-même, où chaque jour semblait une lutte pour ne pas sombrer.
Le passage des policiers, leur indifférence apparente, tout cela lui revenait par bribes, mais sans clarté. Il se souvenait de leur départ, du soulagement temporaire, et puis... plus rien. Comme si son esprit avait tiré un rideau sur ce qui avait suivi. Ce vide oppressant lui laissait un goût amer, celui d'une époque où il ne savait plus très bien ce qu’il voulait, ni qui il était.
Les médicaments avaient anesthésié ses émotions, ses souvenirs, et même sa volonté de se battre. Il s’était laissé glisser dans un quotidien mécanique, où la seule chose qu’il parvenait à faire, c’était avancer, sans vraiment savoir où il allait. Aujourd’hui, il s'interrogeait encore sur ces choix. Peut-être que tout aurait pu être différent s'il n’avait pas cherché à se protéger de ses propres pensées, mais c’était trop tard pour savoir.
Ce vide, c’était la preuve que même quand il avait cherché à fuir ses émotions, elles étaient toujours là, tapies quelque part, prêtes à revenir. C'était comme si, à chaque moment critique, lorsqu'il devait être "présent", l'adrénaline le ramenait à la réalité, suffisamment fort pour qu'il prenne les bonnes décisions. Un mécanisme de survie qui l'avait déjà sauvé plusieurs fois, même quand tout autour de lui semblait s’effondrer. Son corps réagissait avant son esprit, un réflexe ancré dans le chaos de ses pensées, comme une boussole intérieure qui lui permettait de naviguer dans le brouillard.
Il se rappelait aussi à quel point cette montée d'adrénaline le rendait presque lucide, comme s'il pouvait temporairement sortir de cette torpeur qu'il entretenait avec les antidépresseurs. Son cerveau, brouillé par les médicaments, se réveillait soudainement lorsqu’il était confronté à une situation où il n'avait pas d'autre choix que d’agir. La panique initiale se transformait alors en une sorte de clarté étrange. Tout devenait simple, comme si, dans ces moments-là, le voile du doute et de la confusion se levait juste assez pour lui permettre de prendre une décision.
C’était un équilibre fragile, cette tension constante entre la fuite dans l’oubli et les moments de lucidité imposée par l'urgence. Il avait toujours réussi à retomber sur ses pieds à la dernière minute, mais à quel prix ?
" Marc était revenu quelques heures plus tard, la tête basse et le corps lourd, comme s’il portait un fardeau invisible. Le silence régnait dans l’appartement. La lumière du jour avait commencé à décliner, et tout semblait étrangement calme. C’était ce calme pesant, presque oppressant, comme une accalmie avant une nouvelle tempête. Sophie était là quand il avait franchi la porte d’entrée, dégainant son téléphone. Il n’avait pas beaucoup de temps.
Il n’était pas là pour discuter, ni pour essayer de recoller les morceaux. Tout ce qu’il voulait, c’était récupérer son ordinateur et une clé de voiture. Rien de plus. Cet ordinateur qu’il chérissait autant qu’il détestait. Celui qui abritait des morceaux de sa vie, des fragments d’histoires qu’il avait écrites, des échanges avec des gens qui semblaient si loin de sa réalité. Et cette clé... juste une clé pour se barrer.
Il fouillait méthodiquement, cherchant ce qu’il était venu prendre, évitant soigneusement de penser à autre chose. L’appartement lui semblait étranger, presque irréel, comme s’il marchait dans un décor vide, dans une vie qui n’était plus vraiment la sienne. Chaque pas résonnait, chaque souffle était calculé. Il était sur le point de trouver l’ordinateur quand il entendit Sophie parler aux flics.
Son cœur s’accéléra un instant, il fallait qu'il sorte comme si dehors des camarades dans Fort Boyard le sommaient de partir parce que le sablier arrivait à sa fin. L'atmosphère était chargée de tension. C'était comme si un fil invisible s'était tendu entre eux, prêt à céder au moindre geste brusque.
Sophie n’avait qu’une idée en tête : l’empêcher de repartir. Elle ne put contenir son anxiété plus longtemps. Alors que Marc s’apprêtait tourner la clé de la serrure de l'appartement, elle se précipita vers lui, les sourcils froncés, le regard chargé de colère et de panique. C’était instinctif, une réaction née de la peur qu’il s’échappe, qu’il lui échappe, encore une fois. Avant même qu’il ne comprenne ce qui se passait, elle bondit sur lui, se jetant presque contre son bras.
D’un geste désordonné, elle lui asséna un coup sur la main qui tenait fermement l’ordinateur. Le choc fut inattendu. Marc faillit perdre l’équilibre, ses doigts se desserrant brièvement sur la machine, mais il la rattrapa au dernier moment. Le geste de Sophie n’était pas calculé, il n’était qu’une tentative désespérée pour le stopper. Elle n’avait pas mesuré sa force, elle n’avait même pas réfléchi à ce qu’elle faisait. Juste... empêcher Marc de s’en aller.
Le coup l’avait pris de court. Une vague d’adrénaline monta en lui, son cœur battant à toute vitesse, le visage brusquement tendu par la colère. Il ne savait pas d'où cette furie était venue. Peut-être était-ce les médocs, la fatigue, la frustration de ce qui s'était écroulé autour de lui depuis des mois. Mais à cet instant précis, tout ce qu'il ressentait, c'était cette montée brûlante en lui.
Il se retourna brutalement, emporté par l’élan, et dans un mouvement désespéré pour se libérer de Sophie, il la poussa violemment. Son bras, tendu, frôla son visage. Elle recula en titubant, son dos claquant contre le dressing du hall d’entrée. Dans la précipitation, Marc n’avait pas mesuré l’impact de son geste. Il la regarda se tenir le visage, la lèvre légèrement fendue, un mince filet de sang perlant. Son cœur manqua un battement.
Il n’avait jamais voulu ça.
Sophie le dévisagea, son visage crispé par la douleur et la surprise. Elle porta une main à sa lèvre, en touchant le sang qui commençait à couler. Ses yeux se remplirent de rage, mais ce fut sa voix, froide et cinglante, qui déchira l’air.
— Putain, t'es un homme violent. Dégage.
Marc, abasourdi par ses propres actions, murmura d’une voix brisée :
— Je suis désolé... je... je ne voulais pas...
Mais c’était trop tard. Elle secoua la tête, furieuse. Son regard était maintenant glacial, impitoyable. Elle ne voyait plus en lui l’homme qu’elle avait connu. Juste une menace, quelqu’un de dangereux.
— Dégage, répéta-t-elle, le ton plus sec, plus coupant encore.
Le poids de ses paroles l’écrasait. Il ne pouvait rien dire, rien faire pour changer la situation. Ses mains tremblaient légèrement, et l’ordinateur dans ses bras semblait peser une tonne. Cet objet, cette machine, symbole de leurs vies parallèles, des secrets cachés, de cette trahison invisible qui s'était installée entre eux, devenait soudain une barrière insurmontable.
Marc détourna enfin les yeux, incapable de soutenir son regard accusateur plus longtemps. Ses jambes semblaient lourdes, comme engluées, mais il parvint à faire un pas en arrière, puis un autre. Il savait qu’il devait partir, s’éloigner avant que tout cela ne prenne une tournure encore plus tragique. Alors, sans un mot de plus, il quitta l’appartement, laissant derrière lui une femme blessée et une relation en ruine."
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