Chapitre 29

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C'était le week-end, et comme il l'avait promis, Nicolas sonna à la porte de Salva, le sentiment partagé entre la résignation et la sensation d’un devoir inévitable. Il savait que Salva avait besoin d’un coup de main. Promis pour une journée “digne d’un grand ménage”, Nicolas se demandait à quoi s’attendre. Pourtant, rien ne l’avait préparé à l’ampleur de la tâche. Dès que la porte s’ouvrit, le désordre de l’appartement sauta aux yeux. Des piles de magazines abandonnés, des vêtements éparpillés sans logique, des cartons accumulés dans les coins… Tout indiquait que Salva avait laissé les choses s’entasser, sans jamais trouver le temps ou l’énergie pour les ranger.

— J’ai pas eu une minute à moi ces derniers mois, expliqua Salva, avec un sourire désolé, presque coupable. Entre les petits boulots et les répètes avec le groupe, j’ai tout laissé s’amonceler.

Nicolas parcourut la pièce du regard, réalisant l’ampleur de l’accumulation.

— On dirait que t’as entassé bien plus que des objets, dit-il doucement. Ça t’a bouffé tout ça, non ?

Salva hocha la tête en silence, dissimulant maladroitement la reconnaissance derrière un masque d’indifférence. Mais à travers ce sourire forcé, Nicolas devinait l’impact plus profond de cette pagaille. Sans plus attendre, Salva lança la première pile de vieilleries dans un grand sac-poubelle. Un geste simple, mais qui semblait avoir plus de signification qu’il n’en montrait.

Pendant qu’ils triaient, Nicolas se surprit à faire des parallèles entre ce ménage physique et sa propre vie intérieure. Se débarrasser de ces vieilles choses, ces souvenirs matériels sans importance, c’était comme essayer d’effacer des morceaux de vie qui n’avaient plus leur place. Pour Salva, chaque sac-poubelle rempli marquait la fin d’un chapitre. Pour Nicolas, cette tâche prenait un tout autre sens.

— Tu sais, reprit Salva après un moment de silence, y’a des trucs qui devraient partir bien plus facilement. Comme elle, par exemple.

Il tenait une vieille boîte dans ses mains, visiblement chargée de souvenirs liés à sa dernière ex, avec qui il a eu un fils. Un instant d’hésitation passa sur son visage.

— J’ai failli tout perdre à cause d’elle, continua-t-il d’une voix plus grave. La maison, et même plus que ça. Elle voulait me faire passer pour le méchant, alors que c’est elle qui m’a poussé à bout. Elle m’a donné un coup, et c’est elle qui a crié à la victime. Elle voulait que je dégage de cette maison que j'ai acheté avant de la connaitre, avant même que je la connaisse. J'ai du appeler les flics pour la faire sortir de chez moi ! Heureusement que lorsque les poulets ont débarqué, j'ai pu m'expliqué, et ils ont compris que c'était elle le problème. Ils étaient a deux doigts de me foutre hors de chez moi ! Tu t'en rends compte, putain de merde !

Nicolas sentit un frisson parcourir son échine. Ce que Salva décrivait faisait écho à sa propre expérience. Les objets accumulés autour d’eux n’étaient pas seulement physiques. Il s’agissait de morceaux d’eux-mêmes, des fragments d’histoires non résolues, de cicatrices invisibles. Jeter des objets, écrire ou ne pas écrire, quitter quelqu’un ou rester… Tout revenait au même.

— T’es sûr de vouloir tout virer ? demanda Nicolas en lançant un coup d’œil à la boîte que Salva tenait toujours.

— Ouais, maintenant ou jamais. Je peux plus continuer comme ça, répondit Salva en la jetant finalement dans le sac. Faut tout balancer, même si c’est dur. Et puis je vais la vendre cette putain de baraque, je ferais une plus value sur le dos d'un boche*. Ils adorent les petites maisons comme ça.

Il est vrai qu'il avait mis un peu d'investissement dans cette baraque, niveau domotique aussi. De dehors, elle ne payer pas de mine mais dire "Ok Google ! Allumes les lumières" ou "Fermes les volets" ou "Bonne nuit" pour que même l'alarme s'active, franchement ça pouvait qu'être vendeur.

Nicolas saisit un autre carton et, avec un sentiment de satisfaction grandissant, le jeta dans le sac-poubelle. Il se surprit à penser que ce grand ménage était peut-être tout aussi libérateur que d'écrire son bouquin. S’il pouvait jeter toutes ses histoires sur le papier avec la même facilité, sans avoir à boire, peut-être qu’il réussirait, lui aussi, à se libérer du poids de tout ce qui le retenait.

Plus la journée avançait, plus l’appartement de Salva se vidait. Mais, à chaque objet jeté, Nicolas ne pouvait s’empêcher de penser à son propre désordre intérieur, à ces fragments de vie qu’il avait encore du mal à mettre en ordre, à écrire.

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*boche : terme péjoratif pour désigner un soldat allemand ou une personne d'origine allemande encore utilisé par les boomers que nous sommes.

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