Chapitre 31
Salva continuait à raconter, tandis que Nicolas l’aidait à empaqueter les objets, remplissant méthodiquement les cartons. Le récit de Salva devenait de plus en plus sombre, révélant une violence qui dépassait les simples disputes de couple.
— Et puis, il y a eu cette nuit-là, commença Salva d'une voix rauque. On s'était disputés comme d’habitude, mais cette fois, c’était... différent. Tif était complètement hors d’elle. Ce n’étaient plus que des mots qui volaient, cette fois elle est passée à l’acte.
Il s’arrêta un instant, ses mains tremblantes alors qu’il jetait un vieux magazine froissé dans un carton.
— Elle m’a sauté dessus. Littéralement. Elle m’a attrapé par le cou, Nicolas. Elle serrait si fort que je pouvais à peine respirer. Elle voulait... elle voulait m’étrangler. Je n’en revenais pas. C'était pas juste des insultes, des cris... Là, elle me faisait comprendre qu’elle voulait me faire du mal. Elle voulait me voir craquer, me pousser à bout.
Nicolas, silencieux, se contentait d’écouter, fasciné par cette confession qui se dévoilait lentement. Il sentait la tension dans la voix de Salva, comme si revivre ce moment le replongeait dans l’horreur de cette nuit.
— Quand elle a enfin lâché prise, continua Salva, j'ai perdu le contrôle, mais pas physiquement. J’aurais pu la foutre dehors à coups de pieds, mais je l’ai pas fait. Je lui ai dit de dégager, mais avec des mots, des mots que je regrette pas d’avoir dits. Je voulais qu’elle parte, qu’elle comprenne que c’était fini, qu’elle n’avait plus sa place ici après ça.
Salva prit une profonde inspiration, ses mains s'affairant autour des cartons, mais son esprit replongeait dans un souvenir bien plus lourd à porter que les objets qu’il manipulait. Nicolas continuait de ranger, silencieux, respectant le moment, mais curieux d’en savoir plus.
— C’est moi qui ai appelé les flics, tu sais, dit soudain Salva, brisant le silence lourd.
Nicolas leva un sourcil, surpris.
— Ouais. C’est moi qui les ai appelés. J'ai jamais levé la main sur elle, mais cette nuit-là... Tif était devenue complètement incontrôlable. Elle m’avait sauté dessus quoi. J’ai voulu rester calme, je ne voulais pas que ça dégénère encore plus. Mais j’ai fini par décrocher le téléphone et expliquer aux flics qu’il y avait une dispute et qu’elle en était venue aux mains.
Salva se redressa légèrement, prenant une pause dans sa tâche. Son regard se perdit dans un coin de la pièce.
— Elle a pris notre fils et elle est partie juste avant que les flics arrivent. J’ai rien pu faire. C’était surréaliste. J’étais là, debout, dans MA maison, et elle s’enfuyait avec le petit.
Nicolas continuait à ranger en écoutant attentivement, mais l’histoire prenait un tournant qu’il ne s’attendait pas.
— Et elle est revenue, murmura Salva, la voix empreinte d’amertume. Elle a du faire un tour du paté de maisons, comme si de rien n’était. Je pensais que c’était par remord, que peut-être elle s’excusait intérieurement, mais la réalité était bien plus pourrie. Quand les flics sont arrivés, elle a dit que c’était moi qui l'avais frappée. Qu’elle avait peur pour elle, pour ces enfants et pour notre fils. T'imagines ? Ils ont débarqué, et elle a retourné toute la situation. Comme si j’étais le monstre dans l’histoire.
Nicolas, qui connaissait son ami, savait que cela devait l'avoir détruit. Salva, avec toute sa carrure imposante, n’était pas quelqu’un qui se laissait marcher sur les pieds. Mais cette trahison semblait l’avoir profondément touché.
— Elle a même demandé aux flics que je quitte la maison pendant quelques jours, juste pour qu’elle puisse récupérer ses affaires tranquillement. Comme si j’étais celui qui devait s’en aller. Comme si c’était moi le problème. Regarde-moi, Nic. Je suis costaud, j'ai l'air d'un mec qui pourrait facilement casser des gueules si je le voulais. Alors bien sûr, quand les flics ont vu mon gabarit, ils ont tout de suite pensé que c’était moi le problème. Ils m'ont dit de quitter la maison. Ma maison ! C’est moi qui devais partir, comme si j’étais un putain de squatteur !
Salva marqua une pause, jetant une vieille boîte à outils dans un carton, l’air désabusé.
— Ils m'ont demandé si je pouvais faire un effort et partir quelques jours, parce qu'elle voulait que je m'en aille pour soit disant avoir le temps de récupérer ses affaires et de les déménager. Mais je leur ai dit qu’il en était hors de question. C’était ma foutue maison ! J’ai trimé pour l’avoir, je l'ai construite avec mes propres mains. Si je partais, je savais que je ne remettrais jamais les pieds ici. Elle aurait tout pris, tout retourné à son avantage. Alors j’ai refusé. Et là, j'ai montré les marques sur mon cou. Les traces de ses mains.
Nicolas se figea un instant, comprenant la tension de ce moment.
— Et tu sais quoi ? Ils ont fini par lui demander de partir, à elle. Ils ont compris qu'il n'y avait rien de vrai dans ce qu'elle racontait. Mais cette soirée m’a marqué. Elle a tout pris avec elle, même notre fils. Et moi, je suis resté là, seul. Ma maison vide, mon projet de vie qui s’écroulait.
Salva se laissa tomber lourdement sur une chaise, le visage marqué par l'épuisement de cette histoire qui le hantait toujours. Nicolas restait silencieux, respectant la douleur de son ami, tout en sachant que ce récit symbolisait bien plus que cette nuit-là. C’était le reflet d’une accumulation de sacrifices et de désillusions, d’une relation qui, malgré ses efforts, était devenue toxique.
— Et après ça ? demanda Nicolas doucement.
Salva haussa les épaules.
— Elle est partie. Je suis resté. Mais ça m’a coûté bien plus que cette maison. En tout cas, c’est pas simple de tourner la page, continua Salva. C’est comme tout ce bordel ici. T’as l’impression que tout ce que tu gardes, c’est important, mais en fait... c’est juste des vieilles angoisses matérialisées. Une fois que tu les balances, t’as plus de place pour respirer. C’est comme si je pouvais enfin vider ma tête en même temps que la maison.
Il lança un dernier regard à l’un des cartons qu’ils venaient de remplir, comme si cet objet insignifiant contenait encore les ombres de son passé.
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