Chapitre 17

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Nicolas écrivait comme on exorcise un démon, l’histoire de Marc et Sophie défilant à l’écran, prenant vie. Dans sa tête, c’était un souvenir bien plus personnel qu'il ne voulait l’admettre, mais sur cette page, il devenait l’histoire d’un autre.

"C’était une époque étrange. Celle où les réseaux sociaux naissants allaient peu à peu redessiner les contours des relations, les pousser dans des zones d’ombres, offrir une nouvelle échappatoire. Le monde se connectait en apparence, mais quelque chose dans ces interactions virtuelles semblait fragmenter les vies réelles. Sophie et Marc n’échappaient pas à cette tendance. Leurs discussions devenaient plus difficiles, plus distantes, alors que les notifications vibraient en arrière-plan, apportant une distraction qui grandissait comme une ombre entre eux.

La critique de Sophie contre la famille de Marc avait commencé comme des remarques en l'air, quelques piques lancées avec le sourire. Mais au fil des mois, cela s'était amplifié. Pour elle, les parents de Marc étaient toxiques, envenimaient leur relation par des jugements constants qu'elle assurait percevoir à chaque conversation. « Ils parlent sur mon dos, j’en suis sûre », répétait-elle. Marc, peu à l'aise avec les conflits, se retrouvait coincé dans ce jeu, pris entre la colère de Sophie et ses propres angoisses à l’idée de contacter sa famille. Déjà qu’il n’était pas du genre à appeler souvent, sa réticence augmentait à mesure que Sophie envenimait la situation.

— Tu devrais les appeler, ça fait longtemps, disait-elle un jour avec une pointe de mépris dans la voix.

— Tu dis toujours qu’ils racontent des choses sur toi, je préfère éviter les drames, répondait Marc en cherchant à éviter une confrontation.

— Mais arrête, c’est toi qui les écoutes trop. Appelle-les, sinon ils vont encore dire que c’est moi qui t’empêche de le faire.

Marc restait souvent silencieux face à ces injonctions. Il sentait bien qu’il était piégé dans une boucle où, peu importe ce qu’il ferait, la tension continuerait d’exister. Quand il appelait ses parents, Sophie écoutait toujours d’une oreille, prête à bondir à la moindre remarque qui, selon elle, contenait une attaque voilée. Quand il ne les appelait pas, c’était pire. Sophie le harcelait avec l'idée qu'il les laissait parler en mal d'elle, qu'il validait leurs critiques par son silence.

— Je ne veux pas appeler, ça finit toujours pareil, tu le sais, disait-il un jour avec lassitude.

— Mais non, je te promets, cette fois je vais rester tranquille. Ils ne me dérangent plus, assurait-elle avec un faux sourire.

Marc savait ce qui allait se passer. Il cédait souvent, malgré tout. Et comme à chaque fois, la promesse de calme était vite oubliée. Sophie réagissait au moindre mot avec une agressivité passive. Elle se mettait à marmonner des reproches à voix basse, rendant l’appel de plus en plus insupportable. C’était devenu une routine : il composait le numéro, espérant que cette fois, cela se passerait mieux. Et puis, inévitablement, Sophie se plaignait, s’érigeant en victime de ce qu’elle appelait « la toxicité familiale »."

Le scénario donna un peu plus soif à l'écrivain, de whisky mais aussi d'écriture :

"— Tu vois ? Ils ne peuvent pas s’empêcher de me juger ! clamait-elle à la fin de chaque appel.

— Je n’ai rien entendu de tel, répliquait Marc en soupirant.

— C’est que tu ne veux pas voir, tu es trop naïf, répétait-elle, le ton glacial.

Dans sa tête, Marc se retrouvait de plus en plus seul, écartelé entre son envie de protéger son couple et cette pression constante d’un jugement qu’il ne percevait pas toujours, mais que Sophie brandissait à tout moment pour se justifier. Sophie devenait experte dans l’art de manipuler l’incertitude, alimentant sans cesse cette distance croissante entre lui et sa propre famille, et, inévitablement, entre eux deux. Leur relation commençait à ressembler à un labyrinthe sans sortie, un cercle vicieux où chaque discussion ramenait les mêmes accusations, les mêmes silences étouffés.

Sophie, elle, passait de plus en plus de temps sur les réseaux sociaux, partageant ses humeurs et opinions à des inconnus qui, eux, ne la jugeaient pas. Ses posts accumulaient des likes, des commentaires bienveillants qui la confortaient dans son rôle de victime incomprise. Pendant ce temps, Marc se sentait s’évaporer dans cette relation où la communication, déjà fragile, se dissolvait peu à peu, remplacée par des connexions virtuelles qui n’appartenaient qu’à Sophie.

Le poids de ce silence imposé, des non-dits, de ce monde où la distance était devenue une arme, devenait de plus en plus lourd."

Les émotions se bousculaient : la colère, la lassitude, et ce mélange d’impuissance qu’il connaissait si bien. Chaque mot était une libération, chaque phrase un coup de poing contre cette époque où tout semblait se déliter, où les promesses de bonheur se dissipaient dans le vacarme des reproches et des non-dits. Nicolas revivait cette période, mais à travers Marc, il s’offrait le luxe de ne plus être directement concerné.

Il se souvenait du moment où tout avait commencé à basculer. Marc, pensait-il, s’était accroché à cette Sophie, cette relation idyllique qui avait fait naître une petite fille. Une famille qui aurait dû être le pilier de sa vie.

Mais au fil des jours, c’était devenu insupportable. Mais elle parlait sans cesse de ce collègue, une présence fantomatique qui, malgré la distance, envahissait leur quotidien. Sans cesse de critiques déconstructives, envers lui, envers sa famille. Nicolas ressentait la même irritation, ce même goût amer que Marc devait éprouver à chaque fois que son nom revenait dans la conversation.

Il écrivit les mots comme s’il se débarrassait d’un poids : « Elle pestait, critiquait, s’érigeait en victime à chaque discussion. Peu importait ce qu’il faisait, c’était toujours lui qui se retrouvait en tort. » Les phrases coulaient, une à une, déversant des vérités qu’il avait gardées trop longtemps pour lui.

L’histoire de Marc n’était pas celle d’un homme ordinaire. C’était l’histoire d’un homme coincé dans une toile tissée de reproches et de culpabilité. Nicolas le savait bien, car cette histoire, c’était la sienne.

Les larmes commençaient à lui piquer les yeux, mais il continua. Parce que cette fois, il n’écrivait pas pour oublier. Il écrivait pour se souvenir. Pour se libérer.

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